La Suède et le Danemark désormais plus enthousiastes à l’égard de l’euro

par Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas

Le Danemark et la Suède n’ont pas rejoint la zone euro. L’objectif de la politique monétaire danoise est de maintenir le taux de change de la couronne vis-à-vis de l’euro dans une fourchette étroite. De son côté, la Banque centrale de Suède a adopté un objectif d’inflation de 2%.

situation monétaire n’aurait été guère différente si les deux pays avaient rejoint la zone euro dès le début.

L’utilité d’une politique monétaire indépendante afin d’absorber des chocs asymétriques doit être examinée en tenant compte de la volatilité du marché des changes.

Les derniers sondages d’opinion font état d’une augmentation du nombre de personnes favorables à l’adoption de l’euro dans les deux pays.

Le traité de Maastricht est très clair sur ce point : les Etats membres de l’UE doivent adhérer à l’euro dès qu’ils satisfont les critères de Maastricht (voir Encadré). Seuls le Royaume-Uni et le Danemark ont obtenu une exemption (« opt-out ») concernant cette clause. L’exemption danoise a été accordée après le rejet du texte original du traité de Maastricht, le 2 juin 1992. Lors d’un nouveau référendum, en date du 28 septembre 2000, l’adhésion à la zone euro a été, une fois de plus, rejetée. Toutefois, le gouvernement danois a exprimé récemment son intention d’organiser un nouveau référendum sur les quatre clauses d’exemption, dont l’adoption de l’euro, d’ici à 2011. Selon les derniers sondages, 50% de l’électorat est favorable à l’entrée dans la zone euro. Cependant, le résultat dépendra en partie de la manière dont le référendum sera organisé. On ignore si les Danois seront appelés à se prononcer sur chacune des clauses d’exemption séparément ou sur les quatre à la fois.

La Suède est dans une situation assez différente car, contrairement au Danemark, le pays n’a pas de clause d’exemption. Lors de son accession à l’UE en 1995, le pays a accepté d’entrer dans la zone euro. Cependant, il n’a pas encore rejoint le mécanisme de change européen (MCE II), stade antérieur et condition préalable à l’adhésion à l’euro. L’opinion politique est largement favorable à l’entrée dans la zone euro, seul le Parti du Centre y étant hostile. Cependant, l’électorat a une opinion très différente. Lors du référendum de 2003, 56,1% des votants ont rejeté l’entrée dans l’Union économique et monétaire (UEM). Les derniers sondages montrent que le « non » l’emporte toujours. Le gouvernement n’a pas l’intention d’organiser un nouveau référendum au cours de cette législature, qui expire en 2010. De plus, un tel référendum n’aura probablement pas lieu avant que le camp du « oui » ne soit en avance dans les sondages. Ce qui pourrait être le cas après l’adoption de l’euro par le Danemark.

Politique monétaire au Danemark et en Suède

Depuis la création de l’UEM en 1999, le Danemark est membre du mécanisme dit « MCE II ». Les monnaies participant au MCE II bénéficient d’une marge de fluctuation de 15% de part et d’autre du cours pivot par rapport à l’euro. L’objectif du Danemark est de maintenir le taux de change EUR/DKK dans la fourchette la plus étroite de part et d’autre de ce cours pivot (1 EUR = 7,46038 DKK).

Dans la pratique, la Nationalbank maintient le taux dans une fourchette beaucoup plus étroite encore (Graphique 1). Du fait du ciblage explicite du taux de change de l’euro, les taux d’intérêt danois sont largement déterminés par ceux de la BCE. Le taux de change cible est l’objectif intermédiaire de la Banque centrale pour le maintien de la stabilité des prix.

Pour la Sveriges Riskbank, l’objectif de la politique monétaire est aussi d’assurer la stabilité des prix. Comme la Suède n’a pas rejoint le mécanisme MCE II, elle n’a pas de taux de change cible mais un objectif d’inflation, soit 2% avec une marge de tolérance de plus ou moins 1%.

Malgré ces différences de politique monétaire dans les deux pays, l’inflation a connu une évolution similaire. Entre 1999 et 2009, l’inflation suédoise se situe en moyenne à 1,7%, alors qu’au Danemark, au cours de la même période, les prix à la consommation ont augmenté de 2,1% en moyenne, un niveau proche de la moyenne de la zone euro.

Les avantages de l’union monétaire

L’un des principaux arguments en faveur de l’adhésion à la zone euro est la réduction des coûts de transaction entre le Danemark, la Suède et cette même zone euro. Les deux pays ont des économies très ouvertes, et la zone euro est de loin leur principal partenaire commercial. En 1992, une étude Emerson et al. estimait que l’introduction de l’euro pourrait permettre d’économiser 0,4% du PIB par an si l’ensemble de l’UE adoptait la monnaie unique.(1)

Les partisans de l’euro ajoutent que son adoption va dans le sens d’une plus grande transparence sur les prix, qui pourrait se traduire par leur baisse. Cependant, de tels arguments sont difficiles à faire valoir après les expériences enregistrées dans les pays de la zone euro. Ils ont tous connu, en effet, une hausse temporaire de l’inflation au moment du passage à la monnaie unique.

Il faut donc comparer les économies réalisées, d’une part, et, de l’autre, les coûts « one-shot » du passage à l’euro. Ceux-ci sont très difficiles à estimer mais, dans le cas du Danemark et de la Suède, ils devraient être nettement inférieurs à ceux qu’ont eu à subir les premiers membres de l’UEM. Premièrement, sur les marchés financiers de gros, nombre de ces investissements ont déjà été faits. Deuxièmement, les entreprises danoises et suédoises ont eu suffisamment de temps pour se familiariser avec l’euro. Certaines sociétés acceptent déjà la monnaie unique, et des distributeurs proposant aussi bien des couronnes que des euros sont sur le marché. Troisièmement, l’euro est de plus en plus utilisé par les entreprises suédoises et danoises comme devise de facturation pour les échanges avec les pays de la zone euro. Au premier trimestre 2006, près d’un tiers des importations danoises était facturé en euro, contre 39% en devise locale. Friberg and Wilander(2) parviennent à la même conclusion pour la Suède. Il fait état d’une utilisation plus large de l’euro dans les transactions avec les pays membres de l’UEM, mais aussi dans les échanges avec les pays n’y appartenant pas.

Le coût de l’union monétaire

Le principal argument pour un pays en faveur de la conservation de sa propre devise est la maîtrise de l’instrument monétaire à des fins de stabilisation macroéconomique. Cet argument vaut en particulier pour la Suède, car, en liant sa devise à l’euro, le Danemark a de fait renoncé à utiliser la politique monétaire à d’autres fins. Ce n’est qu’en cas de choc asymétrique sérieux que le Danemark serait en mesure d’agir sur le levier monétaire en quittant le mécanisme MCE II.

La première question qui se pose est la suivante : la situation monétaire aurait-elle été bien différente si la Suède avait rejoint la zone euro dès le début ? Probablement pas. Tout d’abord, les objectifs de la BCE et de la Riksbank sont très voisins. La Riksbank s’est fixée un objectif purement symétrique de 2% avec une marge de fluctuation de 1% de part et d’autre. Officiellement, la BCE a elle aussi une fourchette cible, dont le plafond est fixé à 2%. Comme la limite inférieure de la fourchette cible est “proche de 2%”, cela ne devrait pas faire une grande différence dans la pratique.

Ensuite, les cycles économiques de la zone euro et de la Suède – tels que mesurés par l’indicateur du climat économique de la Commission européenne – ont été très proches au cours de la période janvier 1999- janvier 2009 (Graphique 4). Autrement dit, si les taux ont été appropriés à la situation dans la zone euro, ils l’étaient aussi à celle de la Suède. De fait, les autorités monétaires dans la zone euro comme en Suède ont mené des politiques monétaires semblables. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les différences de taux d’intérêt – telles que mesurées par le Libor 3 mois. Depuis 2004, en particulier, les taux d’intérêt ont évolué dans la même direction.

La deuxième question porte sur l’utilité de la politique monétaire comme instrument de stabilisation. Un pays qui connaît un choc asymétrique, tel qu’une chute brutale de la demande pour ses produits, peut, de fait, en alléger l’impact en assouplissant sa politique monétaire et en œuvrant à la dépréciation de sa devise.

Toutefois, il s’agit là, au mieux, d’une solution temporaire qui n’empêchera pas nécessairement l’économie de connaître un processus d’ajustement douloureux.

L’utilité d’un contrôle de la devise pour l’absorption de chocs asymétriques doit aussi être examinée en tenant compte de la volatilité du marché des changes. Or, une fois de plus, les récentes turbulences des marchés financiers montrent que les marchés des changes ne se comportent pas toujours de manière rationnelle. Les taux de change peuvent s’écarter très longtemps de leur valorisation fondamentale sous l’effet de comportements grégaires, de mouvements de panique ou de rumeurs, etc. C’est aussi pour cette raison que les Suédois sont plus favorables à l’adoption de l’euro depuis quelques mois.

Essentiellement une décision politique

Même si l’adhésion à l’UEM peut sembler souhaitable pour des raisons économiques, les électeurs danois et suédois peuvent encore s’y opposer pour d’autres motifs tels que la souveraineté et l’identité nationale. Or, la crise financière internationale aura peut- être contribué à infléchir le sens du débat en montrant l’importance des liens financiers internationaux et les risques grandissants pour les petites monnaies. De fait, les derniers sondages d’opinion font état d’une augmentation du nombre de personnes favorables à l’adoption de l’euro dans les deux pays.

NOTES

(1 ) M. Emerson, D. Gross, A. Italianer, J. Pisani-Ferry, H. Reichenbach, 1992, “One Market, One Money: An Evaluation of the Potential Benefits and Costs of Forming an Ecnomic and Monetary Union”, OUP.
(2 )Richard Friberg and Fredrk Wilander, 2007, “ Price Setting Transactions and the Role of Denominating Currency in FX Markets”, Document de travail 201, Sveriges Riksbank.

Encadré : Les critères de Maastricht

1- Stabilité des prix : le taux d’inflation ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point de pourcentage celui des trois membres de l’Union européenne avec les taux le plus bas.

2- Finances publiques : le déficit public doit être inférieur à 3% du PIB, et la dette publique ne doit pas être supérieure à 60% du PIB. Si cette dernière condition n’est pas satisfaite, la dette devrait s’approcher des 60% à un rythme satisfaisant.

3- Taux de change : l’Etat membre doit appartenir au MCE II pendant au moins deux ans consécutifs sans dévaluation de la monnaie par rapport à celle d’un autre Etat membre pendant cette période.

4- Taux d’intérêt à long terme : ils ne doivent pas excéder de plus de 2% ceux des trois membres de l’Union européenne qui présentent les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.

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