La zone euro est-elle en passe de renouer avec une croissance durable ?

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

Le PIB de la zone euro s’est quasiment stabilisé au T2 2009, après s’être effondré au trimestre précédent.

L’économie est manifestement en train de se redresser. Toutefois, nous ne tablons pas sur le retour d’une croissance durable et solide avant le deuxième semestre 2010. Plusieurs facteurs risquent de peser encore sur l’économie dans les trimestres à venir.

Malgré la récente amélioration des données économiques, le Conseil des gouverneurs de la BCE ne devrait pas modifier substantiellement son message lors de sa réunion de la semaine prochaine. La prudence devrait être le thème dominant. La BCE devrait laisser ses taux directeurs inchangés pendant une assez longue période.

D’après les derniers chiffres publiés, l’économie de la zone euro se redresse après la pire récession depuis la Seconde Guerre Mondiale. Au T2 2009, l’économie de la zone euro s’est quasiment stabilisée (le PIB enregistrant une légère contraction, -0,1% t/t), après s’être effondrée au trimestre précédent). Selon les indices PMI dans l’industrie et dans les services, l’activité pourrait renouer avec la croissance au second semestre de l’année. L’indice PMI composite s’est inscrit en hausse et a atteint 50 en août, soit une progression de plus de 14 points par rapport à son niveau le plus bas enregistré en février. L’indice du climat économique tiré de l’enquête mensuelle de la Commission européenne fait état d’une tendance similaire. Des politiques monétaires et budgétaires accommodantes, conjuguées à l’arrêt progressif du processus de déstockage, ont manifestement contribué au rebond de l’activité ces derniers mois.

Nous tablons maintenant sur une contraction du PIB de moins de 4% en 2009 et sur une légère progression l’année prochaine. Ces révisions à la hausse sont essentiellement le résultat d’une croissance probablement plus forte qu’initialement attendu au second semestre de cette année. Plusieurs facteurs sont toutefois susceptibles de peser sur les perspectives de la zone euro.

Les expériences passées nous enseignent que les reprises économiques dans la zone euro sont généralement tirées par le redressement des exportations, grâce au rebond de la demande mondiale. Les secteurs industriels fortement cycliques, tels que les secteurs des biens de consommation intermédiaire, des biens d’équipement et des biens de consommation durables, sont normalement les premiers à bénéficier de la reprise. Ce sont donc manifestement les pays les plus orientés vers l’exportation et les plus spécialisés dans la production de ces biens (telle l’Allemagne) qui devraient bénéficier en premier lieu du rebond de l’activité. Cette croissance de l’activité incitera les entreprises à reprendre les embauches, ce qui soutiendra les dépenses des ménages.

La demande extérieure risque de ne pas être suffisamment forte pour soutenir la croissance des exportations

La sortie de la crise actuelle risque d’être plus compliquée. La demande mondiale est incontestablement en bien meilleure santé qu’il y a quelques mois, grâce principalement au fort rebond de la demande des pays émergents d’Asie. Toutefois, celle-ci, bien que non négligeable, ne suffira pas à soutenir la croissance des exportations. En outre, les principaux marchés à l’exportation pour la zone euro restent le Royaume-Uni et les Etats-Unis (environ 14% et 12% respectivement des exportations totales hors zone en 2008). Or, la demande dans ces pays n’est guère susceptible de se redresser à court terme compte tenu du fort endettement des ménages.

Enfin, on notera avec intérêt que, ces dernières années, les pays d’Europe centrale et de l’est (PECO), et, dans une moindre mesure, la Russie et les pays baltes, sont devenus des débouchés de plus en plus importants pour les exportations de la zone euro.

En 2008, la part des exportations vers les PECO (dans les exportations totales) n’a été que légèrement inférieure à celle des exportations vers le Royaume-Uni. Les chiffres sont encore plus impressionnants en termes de progression. En 2007, les exportations vers les PECO ont augmenté de plus de 17%, celles vers les pays baltes d’environ 19% et celles vers la Russie de plus de 22%. La même année, les exportations vers le Royaume-Uni ont progressé de 6%, tandis qu’elles baissaient de plus de 2% vers les Etats-Unis. En 2007, les PECO ont enregistré la plus forte contribution à la croissance en glissement annuel des exportations de la zone euro hors zone. En 2008, la conjoncture s’est dégradée.

Le total des exportations hors zone euro pour l’ensemble de l’année a continué d’augmenter, mais à un rythme beaucoup plus lent (3,8% contre 11,2% en 2007). Les exportations vers le Royaume-Uni et les Etats-Unis se sont contractées de 4% et 5% respectivement, tandis qu’elles ont continué de progresser, bien qu’à un rythme bien plus modéré, à destination de la Russie et des PECO. Les exportations vers les pays baltes ont reculé de plus de 8%. Les PECO ont continué d’enregistrer la plus forte contribution à la croissance des exportations en glissement annuel mais en 2008, cette contribution a baissé de moitié par rapport à l’année précédente. Etant donné les difficultés rencontrées par ces économies (Russie, PECO, pays baltes), il est peu probable que les exportations de la zone vers ces pays se redressent à court terme. Au total, les exportations ne devraient pas être un moteur de croissance robuste au cours des prochains trimestres.

Excédent de capacités

La léthargie de la demande et l’excédent de capacités devraient continuer de limiter les investissements dans les prochains mois.

Dans le secteur manufacturier, l’écart de production (output gap), mesuré en pourcentage du trend sous-jacent, est de plus de 3%, proche des plus hauts niveaux historiques jamais enregistrés. Le taux d’utilisation des capacités dans le secteur se situe à son point le plus bas enregistré, selon la Commission Européenne. Enfin, le taux de marge bénéficiaire, c’est-à-dire la différence entre le déflateur de la valeur ajoutée et les coûts unitaires de main d’œuvre, une mesure de la dynamique des investissements, s’est inscrit au T1 2009 à son plus bas niveau historique. Etant donné l’état de l’économie, nous ne tablons pas sur une amélioration prochaine de la situation. Selon les données d’enquêtes, la faiblesse persistante de la demande limite le « pricing power » des entreprises. Celles-ci continuent de pratiquer des rabais pour soutenir leurs ventes. Si cette situation devait se prolonger, les entreprises réduiront probablement leurs coûts avec des conséquences négatives sur les investissements et les embauches.

Nette hausse du chômage

L’emploi est un autre problème essentiel. D’après les dernières données d’enquêtes, l’emploi pourrait continuer de se contracter dans les trimestres à venir, quoiqu’à un rythme moins rapide. A 9,4% en juin, le taux de chômage risque d’augmenter nettement dans les mois prochains. Pour le moment, le chômage a nettement progressé en Espagne. L’économie espagnole souffre particulièrement de l’éclatement de la bulle immobilière et de l’effondrement du secteur de la construction, qui représente un pourcentage important de l’activité totale. Les autres grandes économies de la région ont été moins exposées au retournement de la conjoncture dans ce secteur. Cependant, l’Allemagne, la France et l’Italie devraient voir leurs marchés du travail se détériorer rapidement dans les mois à venir. Le marché du travail en Allemagne, en particulier, a très bien résisté au cours des derniers trimestres. Selon les mesures harmonisées d’Eurostat, le taux de chômage dans ce pays a été stable, à 7,7% en juin, soit 1,7 point de pourcentage en dessous de la moyenne de la zone euro. Cette performance est due, au moins en partie, aux mesures prises par les autorités allemandes sur le marché du travail qui ont plutôt favorisé la diminution du nombre d’heures travaillées par personne et non pas la baisse de l’emploi dans l’absolu1.

Toutefois, ces mesures ne peuvent pas être reconduites à l’infini et, si comme nous le présageons, l’activité devrait demeurer faible au cours des trimestres à venir, le taux de chômage en Allemagne s’inscrira probablement en nette hausse.

Des conditions financières et monétaires toujours restrictives

L’orientation en matière de crédit demeure relativement restrictive.

Les taux d’intérêt nominaux à court terme (principalement) et à long terme, sous l’influence d’une politique favorable à la croissance monétaire, ont nettement baissé. Néanmoins, en raison du fort recul de l’inflation, les taux d’intérêt réels ont augmenté. En outre, l’appréciation de l’euro contribue aussi à durcir les conditions financières et monétaires. Ces effets n’ont été que modérément compensés par la récente hausse des marchés actions (l’EuroStoxx 50 a progressé de plus de 5,2% depuis le début de l’année). Selon l’indicateur de la conjoncture financière et monétaire2 qui prend en compte les taux d’intérêt réels à court et à long terme, les taux de change, les marchés actions, les rendements des obligations de sociétés et l’évolution monétaire, les conditions financières et monétaires sont relativement serrées et l’indice est proche de son niveau le plus haut.

En juillet, les prêts des banques au secteur privé n’ont augmenté que de 0,6% en glissement annuel, la progression la plus faible en termes historiques. Les prêts aux ménages, notamment, ont stagné en juillet, après une croissance modeste de 0,2% en glissement annuel le mois précédent. D’après la BCE, les prêts aux entreprises non financières ont continué de progresser en juillet, mais cette augmentation, de 1,6% en glissement annuel, est la plus faible enregistrée. C’est un signe particulièrement préoccupant étant donné l’importance du secteur bancaire en tant que source de financement pour le secteur privé. Il y a une forte corrélation qui existe entre la croissance du PIB et celle des prêts bancaires au secteur privé.

Cela doit toutefois être interprété avec prudence. Il est en effet difficile de démêler les effets de l’offre et de la demande, des données récemment publiées3. Toutefois, d’après la dernière enquête sur les prêts bancaires, les conditions des prêts aux entreprises non financières sont restées serrées, mais moins au T2 qu’au T1.

BCE : prudence, le thème dominant

Les données récemment publiées montrent globalement que la reprise économique dans la zone euro s’accélère. Lors de la prochaine réunion du conseil des gouverneurs, la BCE présentera ses nouvelles prévisions de PIB et d’inflation pour 2009 et 2010. La BCE relèvera probablement ses prévisions de PIB pour 2009, en indiquant une croissance du PIB plus forte que prévue au second semestre. La croissance du PIB en 2010 devrait aussi être revue à la hausse. Néanmoins, nous ne tablons pas sur un net changement de ton du communiqué de la BCE. Les déclarations récentes du président de la BCE, M. Jean-Claude Trichet, et d’autres membres du Conseil des gouverneurs sont plutôt prudentes et n’expriment qu’un optimisme mesuré. Il reste un certain nombre de points négatifs (hausse du chômage, excédent de capacités disponibles, conditions monétaire et financière toujours tendues) qui risquent de peser sur l’activité au cours des prochains trimestres.

Les anticipations concernant l’inflation à moyen et plus long terme, telles que le point mort d’inflation implicite à 5 ans et le taux d’inflation à 5 ans résultant de l’enquête des prévisionnistes professionnels, sont conformes à l’objectif plafond d’inflation de la BCE, compatible avec la stabilité des prix (inférieur à mais proche de 2%). Cependant, les anticipations d’inflation des prévisionnistes professionnels à horizon un et deux ans sont bien plus basses, et les anticipations d’inflation des prix à la consommation d’ici à un an d’après les données d’enquêtes, sont les plus faibles en termes historiques. 

Dans ces conditions, la BCE maintiendra probablement inchangés ses taux directeurs pendant assez longtemps. En effet, la BCE, en donnant le signal d’un changement trop hâtif de sa politique monétaire, risquerait de provoquer des dégâts dans l’économie et de la faire replonger dans la récession. Certes, la confiance s’est améliorée, mais elle n’est pas entièrement revenue, et la santé des marchés de capitaux est encore fragile.

NOTES

  1. De nombreuses entreprises industrielles et de services ont eu massivement recours au « Kurzarbeit », un programme d’aides publiques subventionnant les travailleurs qui acceptent de réduire leur nombre d’heures travaillées ou de prendre des congés de longue durée.
  2.  L’indicateur des conditions financières et monétaires est une moyenne pondérée du taux de change effectif réel (en glissement annuel), des cours des marchés actions (en glissement annuel), de la croissance monétaire, des rendements des titres de la dette publique en termes réels à court et long terme, des rendements obligations des entreprises en termes réels et le « TED spread ». Les pondérations sont inversement proportionnelles à la volatilité de chaque composante. L’indice est normalisé en sorte que sa valeur moyenne est égale à zéro et son écart-type est égal à 1.
  3. En d’autres termes, il est difficile de dire si le recul des prêts est dû à la forte diminution de la demande ou à l’existence de goulets d’étranglement au niveau de l’offre. Si c’est la première partie de l’alternative qui prédomine, c’est donc la croissance du PIB qui tire la croissance des prêts bancaires. Par contre, si les effets du côté de l’offre sont plus importants, c’est le ralentissement des taux de croissance des prêts qui pèse sur l’activité.

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