Le bilan des marchés financiers 2008

par l’équipe Global Macro du service de la recherche économique de Natixis

L’effet papillon

Les conséquences de la crise des subprimes auront largement dépassé les emprunteurs hypothécaires américains. La crise financière a touché l’ensemble des intervenants sur les marchés financiers (rehausseurs de crédit-monolines, fonds monétaires, agences, banques d’affaires, assureurs, prime brokers, hedge funds…) pour atteindre son apogée avec la faillite de Lehman Brothers. Dans un contexte d’illiquidité totale, un ensemble de réactions en chaîne aura mis en avant la vulnérabilité d’un système financier devenu extrêmement complexe, au sein duquel les acteurs sont totalement interdépendants. Sans aucun doute, 2008 marquera un tournant pour l’industrie financière.

Ainsi, la résurgence d’un risque systémique bien moins théorique qu’on ne le pensait a provoqué une explosion de l’aversion pour le risque au dernier trimestre. Des niveaux de volatilité, inimaginables quelques mois auparavant, ont été atteints sur l’ensemble des marchés. En corollaire, le deleveraging amorcé depuis déjà plusieurs mois -amplifié par les ventes forcées des institutionnels contraints par le mark-to- market et des hedge funds faisant face à une vague de rédemptions significative- s’est traduit par une spirale baissière dont l’ampleur a fait se multiplier les références à la crise de 1929.

De part et d’autre de l’Atlantique, la transmission à la sphère réelle a été accélérée par le durcissement des conditions de crédit de la part des banques, elles-mêmes en difficulté de refinancement sur le marché interbancaire. Le ralentissement de la consommation domestique, amplifié par la perte de pouvoir d’achat (hausse des prix des matières premières) et la fin de la thèse du decoupling, ont fait basculer les pays de l’OCDE en récession. En effet, au second semestre, les entreprises n’ont plus pu compter sur les pays émergents pour maintenir leur profitabilité. Les sorties massives de capitaux, conséquence directe de l’explosion de l’aversion pour le risque, ont alors été à l’origine d’une dégradation des conditions de financement des économies émergentes (bien que les spreads souverains soient restés bien inférieurs à ceux connus en 1998). Pour nombre d’entre elles, le risque de crise de change est réel. Face à un tel bilan économique et financier, l’interventionnisme dont font preuve à la fois les Banques Centrales, les gouvernements et les autorités de tutelles, apparaît comme une condition nécessaire à un redémarrage de l’activité mondiale.

Au lendemain de cette année 2008, alors que l’on a assisté à une réallocation globale des gestions vers le cash et l’obligataire, l’année 2009 devrait apporter des réponses aux problématiques d’allocation d’actif :

  • Quelle place pour les actions dans les portefeuilles d’investisseurs à long terme quand le rendement de l’obligataire est désormais supérieur sur les 30 dernières années ?
  • Après une année extrêmement volatile et corrélée aux marchés actions (au second semestre), les commodities conserveront-elles leur nouveau statut d’actif diversifiant ?
  • Quelles perspectives pour l’industrie des hedge funds au sortir d’une année décevante pour nombre d’investisseurs (faible protection face à l’effondrement des actions, illiquidité exacerbée en période de crise, affaire Maddoff…) ?

Récession dans les pays de l’OCDE et fin du decoupling des émergents

Si nos prévisions de début d’année tablaient sur un ralentissement de la croissance mondiale en 2008 (2,9% contre 3,5% en 2007), la contraction globale de l’activité économique s’est avérée plus marquée que prévu (2,2% de croissance pour le PIB mondial, soit 3,4% en PPA). Deux facteurs peuvent être mis en avant :

(i) les pressions inflationnistes exercées par la flambée des prix des matières premières durant le premier semestre (énergie et alimentaire) ;
(ii) la transmission de la crise bancaire et financière à la sphère réelle. Au-delà de l’entrée en récession des principales économies de l’OCDE, 2008 marque également la fin de la thèse du decoupling entre les pays développés et les pays émergents. Malgré une bonne résistance à la crise financière, ces derniers ont été significativement affectés par le ralentissement de leurs exportations vers les États-Unis et l’Europe, par les pressions inflationnistes et les sorties massives de capitaux inhérentes au mouvement de deleveraging global. Avec une croissance de 9,4%, le dynamisme de l’économie chinoise reste un cas isolé au regard des pays développés et des autres pays émergents.

Les sentiers de croissance des principaux pays développés ont suivi la voie récessive, même s’ils montrent des divergences importantes dans leur intensité et leur chronologie. Pour les États-Unis, le ralentissement de la croissance (environ 1,2% en 2008 contre 2% en 2007) a été plus marqué que ce que nous anticipions en début d’année (1,7%). La dépréciation du dollar, la croissance des émergents, le retard du cycle économique européen et les politiques de soutien (package fiscal notamment) ont contribué au maintien du commerce extérieur et de la croissance du PIB durant le premier semestre, Mais au cours du second semestre, le choc patrimonial généré par la crise boursière est venu se greffer aux effets négatifs du ralentissement de l’activité immobilière sur l’emploi et aux pressions inflationnistes du premier semestre. La contraction de la consommation qui en a résulté, couplée à la forte dégradation des conditions de crédit et d’investissement, a activement contribué au ralentissement de l’activité durant les deux derniers trimestres (respectivement -0,5% et -5,3% pour les variations T/T annualisées du PIB en T3 et notre prévision pour T4 ou comme le montrent également les différentes enquêtes sur le climat des affaires aux Etats-Unis).

Nos prévisions de croissance pour la Zone Euro ont également été mises à mal par l’intensité de la crise financière (soit une progression du PIB proche de 0,8% contre une prévision de 1,7%). Durant le premier trimestre, l’économie européenne a bénéficié de facteurs de soutien importants, comme une moindre exposition à la crise immobilière, la résistance de la consommation des ménages, la faible exposition des exportations aux États-Unis ou la progression de l’investissement productif. Cependant, le rattrapage du cycle américain, couplé au renforcement de la crise financière et bancaire (choc patrimonial, credit crunch), à la forte hausse du prix des matières premières et à l’Euro historiquement fort (face au dollar notamment), a nettement pesé sur la consommation, l’investissement et la demande extérieure. En conséquence, dès le deuxième trimestre, les pays membres ont été confrontés au recul de l’emploi et de l’investissement et à la remontée des taux d’épargne, engendrant trois trimestres consécutifs de croissance négative (respectivement -0,2% ; -0,2% et -1% pour T2, T3 et notre prévision pour T4). De son côté, le sentier de croissance du Royaume-Uni a suivi une voie similaire (0,9% sur l’année contre une prévision à 2% en début d’année), subissant davantage les effets de la crise immobilière et des faillites bancaires durant le premier semestre.

Si la croissance des émergents a globalement bien résisté au contexte économique et financier international, certains pays ont été significativement affectés par l’entrée en récession des pays développés et par la hausse historique de l’aversion au risque sur les marchés de capitaux. En tête, la croissance de l’Asie a été tirée vers le haut par la Chine (une croissance de 9,4% – soit une contraction de 1,5 point de PIB – contre une prévision de 10,8% en début d’année) qui, malgré un ralentissement attendu en T4, a su faire face à la contraction de l’activité mondiale (pesant sur ses exportations) et à la pression inflationniste du premier semestre (alimentaire, pétrole). Pour les autres pays de la zone, on distingue deux groupes. D’une part, la Corée du Sud, la Thaïlande, Singapour et Hong Kong (entre 2,6% et 4,1% de croissance annuelle) ont vu leur consommation et leur investissement intérieurs significativement affectés par d’importantes sorties de capitaux. D’autre part, les pays du Sud-Est asiatique ont enregistré des taux de croissance annuels compris entre 4,4% et 5,7%. Les fortes pressions subies sur le marché des changes par le Vietnam et la Thaïlande en fin d’année laissent cependant présager une évolution plus délicate pour ces pays.

En ce qui concerne l’Amérique Latine, le constat est similaire : avec 4,4% de croissance annuelle, la zone a globalement su se préserver des effets de la crise. Nous notons cependant une forte hétérogénéité entre les différents pays. Si le Brésil, le Pérou ou l’Uruguay ont agréablement surpris (avec des croissances supérieures à nos anticipations), d’autres pays comme le Mexique ont été nettement plus affectés par la crise, en fonction (i) de la structure de leurs exportations (80% des exportations mexicaines sont à destination des États-Unis), (ii) de leur sensibilité à l’inflation importée (prix des matières premières, effet change) et (iii) de la résistance de leur devise à la défiance des investisseurs (notamment en fin d’année pour le Brésil et le Venezuela). Globalement, si le ralentissement des économies émergentes marque la fin de la thèse du decoupling, ces dernières ont fait preuve d’une forte résistance au contexte international. Cela s’explique notamment par les importantes réserves de change constituées ces dernières années, qui laissent aux gouvernements des marges de manœuvre significatives dans un contexte de marché difficile (ventes massives d’actions et d’obligations souveraines, attaque indirecte des devises durant les épisodes de flight-to-quality – recherche de safe currency).

Quelles sont les perspectives pour la croissance mondiale en 2009 ?

Pour les États-Unis et l’Europe, nous prévoyons des taux de croissance négatifs. Outre-Atlantique, la croissance se fixera autour de -1% en moyenne. La forte désinflation, les effets combinés du stimulus fiscal et des politiques quantitatives ne pourront pas totalement compenser les effets du credit crunch, les effets richesse négatifs (immobilier et marchés actions), les effets cycliques sur l’emploi, sur les revenus et donc sur la demande intérieure. Pour la Zone Euro, les effets positifs de la désinflation sur la consommation devraient amortir le choc lié au ralentissement marqué des exportations et de l’investissement productif durant le premier semestre.

Cependant, la croissance des exportations durant le second semestre – alimentée par les plans de relance – devrait permettre de contrebalancer le ralentissement de la consommation intérieure (hausse du taux de chômage, effet richesse négatif). En conséquence, la croissance de la Zone Euro devrait s’afficher autour de -0.8% en moyenne. Du côté des émergents, nous anticipons un ralentissement en Chine (+ 8%), maintenue par une intention ferme de l’État de défendre la croissance (dévaluation marginale du Yuan fin 2008, dépenses budgétaires), nous anticipons un ralentissement plus marqué pour certains pays d’Asie (Taïwan, Corée du Sud, Singapour, Hong Kong, entre 1% et 1,4%) et d’Amérique Latine (Mexique autour de 0,8%, Venezuela et Équateur à 2,5%). Au final, la croissance mondiale devrait s’établir autour de 0.5% (1.7% en PPA) l’année prochaine avec un risque haussier.

Politiques monétaires conventionnelles et non-conventionnelles

Au cours de l’année 2008, les banques centrales ont dû arbitrer entre risques inflationnistes d’une part et risques récessifs d’autre part. Si la première problématique a été un facteur commun de soutien pour les taux directeurs, les décalages cycliques et l’hétérogénéité des expositions à la crise immobilière et à la crise bancaire ont parfois amené les fonctions de réaction des principales banques centrales à diverger, notamment entre la Zone Euro et les États- Unis. Étant donné l’ampleur de la crise financière et la réduction des marges de manœuvre dans un environnement sous pression inflationniste (taux directeurs approchant de 0), les banques centrales ont eu massivement recours à des politiques monétaires non-conventionnelles – la Fed en tête – afin de garantir la liquidité des marchés interbancaires et les besoins de trésorerie des corporates.

En début d’année, l’avance des États-Unis dans les cycles économiques et résidentiels, ainsi que l’exposition des banques américaines et des assureurs monoline à la crise des subprime (perte historique de 9,8 Mds USD pour Merrill Lynch, downgrade d’Ambac par Fitch), a amené la Fed à réduire son taux directeur de 4,25% à 3% en deux temps en janvier (75pb en inter-meeting, puis 50pb). Malgré la pression inflationniste exercée conjointement par la forte hausse des prix du pétrole et par le recul du dollar (inflation importée), la quasi-faillite de la banque Bear Stearns – reprise par JP Morgan à l’aide d’une ligne de crédit de 29Mds USD débloquée par la Fed – a conduit à une forte contraction de la liquidité sur le marché interbancaire, se traduisant par le doublement du TED spread. En conséquence, la Réserve Fédérale a assoupli une nouvelle fois sa politique monétaire, fixant les Fed Funds à 2% fin avril. De plus, pour enrayer la spirale de contraction de la liquidité, la Fed a mis en place le Primary Dealer Credit Facility (PDCF) permettant aux Primary Dealers de lever du cash en contrepartie d’actifs éligibles laissés en garantie. Malgré l’aggravation de la crise économique durant l’été, la Fed a été contrainte à un statu quo sous la pression du risque inflationniste (le prix du pétrole a dépassé les 140 USD / baril début juillet). Cependant, afin de fournir de la liquidité au marché, elle a renforcé le PDCF (extension des actifs éligibles) et a mis en œuvre le Term Securities Lending Facility (TSLF). Ce second plan a consisté à délivrer des titres du trésor en contrepartie d’actifs laissés en garantie par les banques commerciales.

La faillite de Lehman Brothers aura marqué un tournant dans la gestion de crise de la Fed, dans le sens où les mesures qui ont suivies ont eu comme conséquence une augmentation du bilan de l’institution. Le 19 septembre, l’ABCP Money Market Mutual Fund Liquidity Facility (AMLF) a été mis en place pour faciliter l’achat par les banques de papiers commerciaux garantis. Quelques semaines plus tard, le Commercial Paper Funding Facility (CPFF) a permis l’achat de papiers commerciaux éligibles non-garantis (3 mois de maturité) par un véhicule dédié (SPV), dans le but de satisfaire les besoins de trésorerie des banques et des entreprises. Ce n’est que le huit octobre, avec le repli du cours du brut que la Réserve Fédérale américaine – conjointement avec la BCE, la BOE, la BOC, la Riksbank, la BOS et l’appui ferme de la BOJ (ne disposant que d’une très faible de marge de manœuvre avec un taux directeur à 0,5%) – a annoncé une réduction de 50pb de son taux directeur. Cette action historique a été mise en œuvre pour faire face à un contexte exceptionnel : forts reculs des places financières mondiales, contraction de la liquidité d’une ampleur inédite (TED spreads multipliés par 5 en quelques semaines et forte hausse des taux interbancaires, et explosion des spreads de crédit. En dépit de l’adoption du Plan Paulson, l’aversion pour le risque et les spreads des financières n’ont cessé de croître pour atteindre des niveaux record, comme l’illustrent la forte hausse de la volatilité implicite (l’indice VIX a atteint les 80 points à la fin du mois d’octobre).

Cette aversion pour la dette bancaire a conduit la Fed à autoriser un ensemble de SPVs à racheter des instruments de dette bancaire (maturité maximale de 90 jours, émis par 10 institutions), programme baptisé Money Market Investor Funding Facility (MMIFF) financé à 90% par la Réserve Fédérale et à 10% par l’émission d’ABCP. Dans ce même objectif d’enrayer la crise financière et de rassurer les marchés, la Fed a opté pour une nouvelle baisse de taux de 50pb le 29 octobre. En novembre, elle a renforcé le plan de sauvetage d’AIG (recapitalisation via le TARP, extension et allègement de la ligne de crédit) et a annoncé le TALF (Term Asset-Backed Securities Loan Facility), plan permettant des lignes de crédit à un an contre des dépôts d’ABS AAA éligibles (avec comme sous-jacents des cartes de crédit, des prêts étudiants…). La dernière action conventionnelle, une baisse des Fed funds de 75 pb mi-décembre, est survenue dans un contexte de forte baisse des investissements productifs, alors que la situation semblait se stabiliser sur les marchés boursiers.

La politique monétaire de la BOE s’est positionnée en ligne avec la politique monétaire « conventionnelle » de la FED, notamment de part la proximité des risques inhérents aux secteurs immobiliers et bancaires. Suite aux baisses de taux du premier trimestre (deux fois 25 pb), la banque centrale britannique a mis en œuvre sa seule action non-conventionnelle au travers d’un Special Liquidity Scheme permettant aux banques de swapper des MBS de haute qualité contre un équivalent en titres d’État, pour une durée d’un an renouvelable jusqu’à 3 ans. Après la baisse concertée (50 pb), la BOE a envoyé un signal fort aux marchés avec une baisse historique de 150 pb le 6 novembre, fixant ainsi le taux directeur à 3% (niveau qui n’avait pas été atteint depuis 1954). Cette baisse se justifiait par l’exposition du secteur financier à la crise du crédit immobilier (difficultés des banques Northern Rock, HBOS, Bradford and Bingley, RBS, Lloyds…), ainsi qu’à la forte exposition de l’activité et des emplois britanniques à ce secteur.

Malgré le plan de relance annoncé par Gordon Brown (cf. infra), le renforcement de la dégradation de l’activité durant le quatrième trimestre a conduit à une nouvelle baisse de taux (100 pb) début décembre.

Le retard cyclique de l’Europe sur les États-Unis et la place privilégiée de l’inflation dans la fonction objectif de la Banque Centrale Européenne ont logiquement conduit la BCE à opter pour des actions différentes de celles de la Fed durant le premier semestre. En effet, en dépit d’un biais haussier – alimenté par la flambée des prix du pétrole – la BCE a été contrainte de maintenir un statu quo durant les six premiers mois de l’année. La fin du cycle immobilier, la dégradation continue du contexte financier international, le rattrapage du cycle économique américain et le ralentissement progressif de la consommation interne ont été autant de facteurs de risque pour la croissance. L’absence de biais baissier était d’autant plus justifiée que la Zone Euro était moins affectée par la crise immobilière que les États-Unis ou la Grande Bretagne. Cependant, les banques européennes, comme leurs homologues américaines et britanniques, ont été vivement touchées par la contraction de liquidité sur le marché interbancaire.

C’est pourquoi la BCE a rallongé les horizons de refinancement (3 mois à 6 mois) et a étendu la qualité des papiers pris en pension jusqu’au BBB. Au début du mois de juillet, la pression exercée par les prix du pétrole était telle que la BCE a augmenté le refi de 25 pb, décision relativement mal accueillie par les marchés dans un contexte de crise de liquidité. Durant le second semestre, avec le repli des prix des matières premières et des craintes inflationnistes, la politique monétaire menée a été plus en ligne avec celle de la FED, l’objectif des baisses de novembre (-50pb) et décembre (-75pb) étant de soutenir la croissance de la Zone Euro dans un contexte récessif marqué par les reculs de la consommation, de l’investissement, de l’emploi et le renforcement du credit crunch.

Marchés actions : aversion pour le risque, deleveraging massif et ventes forcées

2008 restera comme une année extrêmement difficile pour les marchés d’actions. Sur l’année, le MSCI monde a enregistré un recul de 40% (en total return). Si les pertes subies ont été de même ampleur que celle constatée entre septembre 2000 et septembre 2001 (-37%), la violence de certains retournements s’est davantage apparentée aux chocs subis par les marchés d’actions durant la crise de 1929. Il est par exemple frappant de constater que la performance enregistrée par le S&P500 en octobre (-16,9%) est la quatrième plus mauvaise performance mensuelle de l’indice depuis… février 1871 ! Au total, cinq des performances mensuelles de 2008 ont franchi le seuil d’une Value at Risk empirique à 5% calculée sur cette même période. Comment expliquer la violence de cette crise alors que les valorisations fondamentales semblent avoir été en grande partie hors de cause ? Les marchés ont réagi à une conjonction de situations exceptionnelles (crise bancaire, crise de liquidité sans précédent, fortes tensions inflationnistes, incertitudes macroéconomiques et micro-économiques) qui ont nourri une aversion collective pour le risque, menant au rejet global d’actifs risqués ou jugés comme tels (crédit, actions, dette des émergents, dette bancaire). Cette crise majeure peut se décomposer en plusieurs étapes.

(1) Dans la continuité de 2007, le début d’année a été marqué par la découverte d’actifs « toxiques » dans les bilans des banques, engendrant nombre de dépréciations d’actifs titrisés ou structurés (MBS, CDOs) adossés à des sous-jacents subprime. Les difficultés rencontrées par certains établissements (nationalisation de Northern Rock, perte historique de 9,8 Mds USD pour Merrill Lynch), couplées à l’émergence de la fragilité des monolines exposés au risque de downgrade des MBS (downgrade d’Ambac par Fitch), ont alimenté les flux vendeurs du premier semestre, renforcés par le mouvement de deleveraging amorcé par les hedge funds et les banques d’investissement.

(2) Début mars, le fort élargissement des spreads des obligations émises par Freddie Mac et Fannie Mae a atteint des acteurs directement exposés aux MBS, comme le hedge fund Carlyle (stratégie d’arbitrage reposant sur des positions fortement léveragées). Dans son sillage, la banque d’investissement Bear Stearns a été poussée en situation de quasi faillite par le marché, son exposition à Carlyle et la mise en œuvre du TSLF (cf. supra) ayant été les deux éléments déclencheurs des ventes massives du titre. Entre cette chute brutale et son rachat par JP Morgan (avec le soutien financier de le FED), les craintes engendrées par l’éventuelle faillite de la banque d’affaire sur ses contreparties ont fait plonger les marchés actions. Cependant, les opérations massives de recapitalisation des banques, la résistance de la croissance des émergents et les bonnes surprises sur l’économie américaine ont soutenu le rebond technique enregistré par l’ensemble des marchés durant le deuxième trimestre.

(3) Mais au cours de l’été, les difficultés persistent pour les GSE (Government Sponsored Agencies) et Indymac (prêteur hypothécaire américain) est déclaré en faillite. Ces tensions microéconomiques, couplées au renforcement des incertitudes macroéconomiques (flambée des prix du pétrole, dégradation des perspectives de croissance dans les principaux pays de l’OCDE) ont alimenté une seconde vague d’aversion pour le risque (notre indice de perception du risque est passé de 60% à 90% entre mai et juillet). En conséquence, les places boursières mondiales ont enregistré des baisses importantes, renforcées par le mouvement global de deleveraging des investisseurs institutionnels, ainsi que par les ventes forcées liées aux contraintes réglementaires de type mark-to-market (Bâle II, Solvency II).

(4)Si la mise sous tutelle de Freddie Mac et Fannie Mae a renforcé l’inquiétude des marchés, c’est la mise en faillite de la Banque Lehman Brothers sous le chapitre 11 qui a donné à cette crise financière sa dimension historique. En quelques jours, tous les segments des marchés financiers ont été confrontés à des situations de stress extrêmes :

  • le VIX a passé la barre des 80% ;
  • les spreads bid/ask ont explosé ;
  • les spreads de crédit ont atteint des niveaux inédits ;
  • la contraction de la liquidité s’est renforcée très nettement.

Face à cette explosion de l’aversion au risque, les mesures prises par les Etats (sauvetages, recapitalisations et nationalisations de banques) et par les autorités de tutelle (interdictions de vendre à découvert) ont été sans effet. En l’espace de trois semaines, les principaux marchés actions, développés et émergents, ont reculé de 20% à 30% en moyenne, conséquence d’une spirale vendeuse alimentée par :

  • le renforcement du deleveraging des investisseurs institutionnels avec le renforcement de la chute des cours (spirale autoalimentée) ;
  • les ventes massives opérées par de nombreux hedge funds confrontés à un flux important d’ordres de rédemption de la part des investisseurs (cf. infra) ;
  • le renforcement des inquiétudes sur les perspectives économiques mondiales, avec le ralentissement de l’activité des émergents notamment.

Nous recensons également d’autres facteurs techniques ou fondamentaux comme :

  • la baisse importante du volume des opérations de fusion et acquisition sur l’année (baisse de 50% des volumes par rapport à 2007, principalement de par la forte volatilité des marchés ;
  • la révision à la baisse des perspectives bénéficiaires des entreprises en 2008 (-26% des bénéfices par action des titres du DJ Stoxx).

Malgré une accalmie en fin d’année, la crise de 2008 restera l’une des plus importantes qu’auront traversés les marchés boursiers. Les niveaux atteints par les indices en fin d’année pourraient impliquer une remise en cause de l’investissement en actions. Au-delà de son caractère systémique, scellé par un rejet global des actifs risqués, les contre-performances enregistrées ont montré des différences en termes géographiques et sectoriels.

En termes géographiques, les actions européennes ont plus souffert que leurs homologues américaines, malgré des niveaux de valorisation des plus attractifs (l’inverse des P/E en Europe a largement dépassé les rendements des taux 10 ans.. Alors que le DJ Stoxx a perdu 45% sur l’année, le DowJones n’a cédé « que » 32% sur l’année. En Asie, le Nikkei a subi un recul de 42%, performance en ligne avec les principales places des pays développés. Les bourses émergentes ont quant à elles été lourdement affectées – notamment durant le second semestre – par le renforcement de l’aversion pour le risque et par la fin de la thèse du découplage. En conséquence, l’indice MSCI Emerging (en dollar) a perdu près de 54 % sur l’année, fortement tiré vers le bas par les marchés d’Europe de l’Est, victimes d’importantes sorties de capitaux.

Au niveau sectoriel, les discriminations se sont accrues avec l’augmentation de la volatilité, en particulier en Europe. Ainsi, les secteurs de la Santé et des consommations non-cycliques se sont démarqués, enregistrant une performance absolue de -18% et -29% en 2008. Inversement, les Financières ont sous-performé le marché de 20% (performance absolue de -58%). Outre-Atlantique, ce sont principalement les Financières et le secteur des Matériaux de base qui ont souffert en 2008 ; ils affichent une performance globale de -56% et -45% respectivement. Les secteurs américains ayant relativement bien résisté à la tendance générale ont été, encore une fois, les consommations non-cycliques et la Santé (-16% et -23% en performance absolue). En termes de style, les small caps n’auront pas mieux résisté à la crise tant aux Etats-Unis qu’en Europe ; seules les small caps japonaises se sont distinguées. On note également la surperformance des valeurs de croissance US et Euro.

L’obligataire souverain, grand gagnant de l’année

Les diverses vagues de flight-to-quality, dans un contexte d’assouplissement général des politiques monétaires, auront soutenu le marché obligataire souverain. Des deuxcôtés de l’Atlantique, les indices obligataires enregistrent des performances record : près de 14% aux US et +12,6% en Allemagne (en total return). 

Dans le détail, on notera une performance en trois temps :
1) un début d’année rythmé par les fluctuations de l’aversion pour le risque (le VIX évoluait autour de 30%) et donc par des épisodes de flight-to-quality (60 pb de repli des taux 10 ans sur les trois premiers mois de l’année) ;
2) une période de regain de l’appétit pour le risque (entre mars et juillet) qui, couplée aux pressions inflationnistes résultant de la hausse des matières premières, aura pesé sur le marché obligataire (+90 pb sur les taux 10 ans) ;
3) une fin d’année caractérisée par l’explosion de la volatilité, par d’importantes baisses de taux des banques centrales et par une forte désinflation (effondrement des prix des matières premières et conséquences de la récession). Ce contexte aura fortement favorisé la baisse des taux obligataires (le taux du T-note 10 ans a clôturé à 2,09% le 30 décembre, soit un niveau inédit sur les dernières décennies), et ce malgré des perspectives budgétaires fortement dégradées par la mise en place de divers programmes de relance.

Dans ce contexte, on note cependant une forte dispersion des rendements obligataires souverains au sein de la zone euro. Tous les spreads contre Bund ont touché de nouveaux plus hauts en 2008, l’évolution de ces derniers étant proportionnelle à la qualité de crédit des dettes européennes. Ainsi, sur la zone 10 ans, les spreads contre Bund sont désormais compris entre 46 pb (contre OAT 10 ans) et 214 pb (contre Grèce 10 ans) contre respectivement 10 pb et 40 pb début 2008. Deux arguments sont à retenir:
(i) l’endettement constaté du pays rentre faiblement en compte dans l’explication des niveaux de spreads ; ce sont les anticipations d’endettement et donc l’augmentation de l’offre de papiers qui causent en partie cette différentiation, signe de la réapparition du risque pays (la hiérarchie des notations est respectée) ;
(ii) la liquidité des papiers amplifie cette dispersion : les papiers allemands surperforment systématiquement les autres dettes européennes en phase d’aversion au risque grâce à leur statut de benchmark, leur liquidité importante et la présence de contrats futures. A l’inverse, les dettes les plus risquées (Italie et Grèce) sont délaissées par les investisseurs et deviennent la cible d’arbitrages jouant l’écartement des spreads intra-UEM.

En résumé, en 2008, le marché obligataire souverain aura été caractérisé par :

  • La surperformance des obligations USD vs EUR sur toutes les maturités de la courbe, qui s’explique par le décalage cyclique qui existe entre les deux zones ;
  • Une forte repentification par le bas, qui s’est accentuée à partir de l’automne 2008, liée aux baisses des taux directeurs de la plupart de banques centrales ;
  • Une volatilité accrue des deux côtés de l’Atlantique principalement en fin d’année, à la fois sur les segments courts et longs ;
  • La bonne performance des obligations indexées en première partie d’année, fortement pénalisées par la rupture des tendances observées sur les marchés des matières premières en seconde partie d’année. Les points morts des TIPS de maturité courte se sont effondrés depuis l’été, atteignant des niveaux inférieurs à -5 % sur les segments 1 et 2 ans;
  •  Un report de la demande (flux acheteurs nets) des corporates et des agences vers les emprunts d’Etats US.

Les swap spreads auront connu une année dominée par les variations de l’aversion pour le risque (zone 10 ans) et des primes de risques sur les marchés interbancaires (zone 2 ans). On note en effet une forte corrélation des swap spreads du G4 entre eux (US, Zone Euro, Grande-Bretagne et Japon), signe du caractère global de l’influence de l’aversion pour le risque. A partir de l’automne 2008 et ce malgré l’explosion de la volatilité, les actions des banques centrales susciteront un début de normalisation du marché interbancaire, permettant ainsi une contraction progressive des swap spreads courts. Concernant les swap spreads 10 ans, la tendance s’est révélée moins homogène. Alors qu’une normalisation s’est amorcée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni du fait de l’explosion attendue du supply 2009, les swap spreads allemands sont restés particulièrement élevés (près de 40 pb plus chers) du fait d’un flight to quality persistant et de la présence d’anomalies sur la zone 10a-30a de la courbe swap européenne (couvertures de positions jouant la pentification de ce segment de la courbe). De manière générale, le marché interbancaire demeurant sous tension (cf. infra), la courbe des swap spreads est restée inversée toute l’année.

Crédit : un marché sinistré

De par l’origine de la crise actuelle (crise immobilière US exacerbée par les produits structurés liés aux subprimes), le marché du crédit a particulièrement souffert. En conséquence, le financement des agents économiques a été dramatiquement réduit tout au long de l’année. Nous revenons sur quatre facteurs à l’origine des dysfonctionnements subi par le marché du crédit :

(1) L’écartement des spreads du début d’année -imputable notamment aux annonces de dépréciations d’actifs de la part des banques – a impliqué le dépassement de seuils entraînant un débouclement des structures avec, en corollaire, un flux massif de ventes forcées d’actifs sous-jacents (effet amplificateur) ;
(2) Le downgrade d’Ambac, mi-janvier, a fait craindre une vague de downgrades au sein des monolines, ces derniers ayant récemment étendu leurs garanties à des MBS et autres produits structurés. Cela a impacté directement l’ensemble des actifs bénéficiant de leurs garanties (obligations municipales et corporates) et indirectement les fonds monétaires (bénéficiant de garanties de rachats sur des papiers notés AAA, ils sont également exposés au risque de notation) ;
(3) En septembre, la faillite de Lehman Brothers et les sauvetages de Merrill Lynch et AIG auront été les catalyseurs de l’explosion de l’aversion pour le risque sans précédent. Dans ce contexte, l’accélération du deleveraging et des ventes forcées des hedge funds (qui ont alors dû faire face à une augmentation sensible des rédemptions) dans des conditions d’illiquidité extrême ont contribué à l’explosion des spreads. D’après nos modèles, la prime imputable à l’aversion pour le risque a dépassé les 80 pb sur l’IG €. Les autorités de tutelle ont dû intervenir massivement pour tenter de débloquer des échanges interbancaires devenus quasi inexistants. Durant le dernier trimestre, les émissions de dette bancaire garantie à des spreads très élevés ont attiré à nouveau les investisseurs. Mais, en conséquence, le secondaire a subi un repricing significatif.
(4) La dégradation annoncée des fondamentaux du crédit corporate s’est matérialisée. Le ralentissement de la consommation des ménages et les difficultés de financement des entreprises (à la fois auprès de leurs banques et sur les marchés primaires et des Commercial Papers) ont impliqué (i) un fort repli du ratio upgrades/downgrades avec une très forte accélération au quatrième trimestre pour revenir sur les niveaux de 2003 ; (ii) une franche remontée du taux de défaut des entreprises High Yield américaines, après un plus bas historique à 1% fin 2007 pour atteindre 3,4% en novembre.

Ainsi, l’indice européen iBoxx Corporate présente sa pire performance annuelle depuis sa création en 1999 (-4% en total return). L’écartement des spreads du début d’année aura néanmoins été compensé par un fort bear rally au printemps (surprises positives du côté macroéconomique -, résultats soutenus par les émergents et recapitalisations des bancaires). En total return, l’indice IG € a terminé le premier semestre sur les niveaux du début d’année. Malgré les interventions des autorités, le second semestre aura été caractérisé par un écartement quasi-continu des spreads de crédit, propulsant ces derniers vers des niveaux inédits. Sur les séries longues de rendement d’obligations Baa publiées par Moody’s, il faut remonter à 1933 pour retrouver de tels niveaux (570 pb sur contre les Treasuries en novembre). Sans surprise, cette contre performance est largement imputable à la composante Financières de l’indice : -7,9% (vs +0,9% pour les non Financières). En dépit de l’explosion des spreads, les meilleures notations ont en effet profité d’un directionnel taux favorable. Sur le segment High Yield, le constat reste catastrophique : une baisse de 35% en total return. Jusqu’ici, la plus forte perte cumulée sur 12 mois s’établissait à -32%, entre octobre 2000 et septembre 2001.

D’un point de vue géographique, l’IG € a surperformé son homologue US (-8,6%) tandis que le segment HY US a mieux résisté (-33% vs -36,5% sur le Vieux Continent). Fait marquant, les spreads émergents ont bien tenu au premier semestre, en comparaison des spreads HY US et €. A la fin du mois de juillet, le spread EMBI accusait un écartement de seulement 70 pb par rapport à son niveau de début d’année (vs 126 pb et 235 pb pour les segments HY US et €, respectivement). Si cette résistance relative soutenue par la thèse du decoupling, a volé en éclat au second semestre suite à la faillite de Lehman. Cependant, si les indices régionaux semblent indiquer un mouvement général d’explosion des spreads émergents (explosion somme toute relative en comparaison avec les niveaux de 1998), il est rassurant d’observer une certaine discrimination entre les pays. Les plus sensibles aux tensions inflationnistes du premier semestre et aux sorties de capitaux du second semestre, comme le Vietnam ou l’Argentine, ont vu leurs spreads exploser en novembre pour atteindre respectivement 1100 pb et 2000 pb. La Russie, qui a souffert en outre du repli des cours du pétrole a également atteint 1000 pb en fin d’année. La situation très préoccupante de certains PECO (cf ci après) maintient les spreads à des niveaux très élevés en fin d’année (683 pb pour la zone, 500 pb pour la Hongrie et presque 2800 pb pour l’Ukraine, soit son niveau de 2000 !).

Les économies les plus robustes, bénéficiant de réserves de change confortables, ont été les moins affectées. Par exemple, le spread EMBI Global de la Chine est passé de 150 pb en début d’année à seulement 250 pb au second semestre. Dans le même temps, les spreads chilien et brésilien s’écartaient de près de 200 pb, pour terminer l’année à respectivement 340 pb et 429 pb. Enfin, le Mexique a été légèrement pénalisé par l’exposition de sa structure d’exportation aux Etats-Unis, avec un écartement de 260 pb, à 433 pb en fin d’année.

Pour les structurés de crédit, hormis les RMBS, les volumes d’émission ont fortement reculé en 2008 en raison du rejet des investisseurs (on note en particulier -20% pour les Consumer ABS). Si le segment RMBS a été épargné, c’est parce que la majeure partie des tranches ont été émises dans le but de servir de collatéral lors des opérations de refinancement auprès des banques centrales (cf Politique monétaire). Au-delà de la dégradation de l’environnement macroéconomique, l’accumulation de facteurs techniques(persistance des ventes forcées d’actifs sous-jacents de SIV ou de CDOs d’ABS, contraintes de mark-to-market des investisseurs…) n’a fait qu’augmenter la défiance des investisseurs à l’égard des actifs complexes. Au total, l’indice ABX AAA a perdu près de 50% de sa valeur.
 

Change : ruptures de tendance

Suivant de près l’évolution du pétrole, mais également celle de l’aversion pour le risque, le marché des changes aura connu une année 2008 en deux temps. Les six premiers mois ont vu une poursuite des tendances de 2007 : recul du dollar face aux devises de ses principaux partenaires commerciaux, tendance haussière sur les commodity currencies, opportunités de carry trade… La divergence de politique monétaire entre la Fed et la BCE a maintenu la devise européenne au niveau historique de 1,59 face au dollar tout au long du deuxième trimestre. Avec l’explosion de l’aversion pour le risque de l’automne, les fondamentaux macroéconomiques sont passés au second rang dans la détermination des taux de change. En dépit de perspectives conjoncturelles très dégradées aux US et au Japon, le dollar et le yen ont été les principaux bénéficiaires de la rupture de tendance observée au second semestre.

Dans le détail des parités, le second semestre a été caractérisé par :

  • Une forte appréciation du billet vert, soutenue par (i) son statut recouvré de valeur refuge, (ii) le besoin de financement en USD des banques européennes, (iii) le repli du pétrole (presque -60% sur la deuxième partie de l’année, cf infra), à l’image de la corrélation qui existe depuis de nombreux mois entre les deux actifs. Au total, le DXY (indice qui synthétise l’évolution du billet vert face aux 6 devises majeures) s’affichait, entre juillet et fin novembre, en hausse de 22%.
  • Parmi les devises composant le DXY, seul le Yen a terminé le second semestre en hausse face à la devise américaine (+14,5%, graphique 54). En effet, même si le Japon n’a pas échappé à la récession, la devise nipponne a bénéficié du bilan relativement sain de son système bancaire (par rapport aux autres pays de l’OCDE) et du débouclage massif des positions de carry trades financées en Yen.
  • – Dans le même temps, particulièrement affectée par les crises financière et immobilière, l’économie britannique a assisté à un effondrement historique de sa devise. Contre l’euro et le dollar, la livre a atteint des plus bas, à 1,058 et 1,457 (graphique 56), ce qui correspond à des dépréciations de respectivement 22% et 27% sur l’année.
  • A partir du mois de juin, les devises émergentes ont considérablement souffert des retraits de capitaux en raison (i) de la fin de la thèse du decoupling ; (ii) de l’aggravation du risque emergent et (iii) de l’accélération du deleveraging qui a suivi la faillite de Lehman. Au total, notre indice synthétique USD/BRICT (BRICs + Turquie) est resté dans un premier temps relativement stable face au dollar (+2,7% sur les 6 premiers mois) avant de s’apprécier fortement (+16% au second semestre). Le BRL a été le plus pénalisé, perdant 45% face au dollar au second semestre. Dans le même temps, le TRY et le RUB abandonnent près de 25% tandis que l’INR a bien résisté (-13%). En fin d’année, dans le sillage des bourses, quelques signes d’apaisement étaient perceptibles, même sur les devises les plus affectées (+8% en décembre pour le BRL). Les commodity currencies (AUD, ZAR) restent cependant pénalisées par l’interruption des stratégies de carry trades et l’évolution des marchés de matières premières (cf infra).
  • Plus inquiétant, contrairement aux autres devises émergentes, le rouble n’a pas bénéficié de pause au mois de décembre. Victime à la fois d’une crise de liquidité bancaire, de sorties de capitaux et de l’effondrement du prix du pétrole, la Russie a procédé à une flexibilisation de sa politique de change en élargissant une nouvelle fois la bande de fluctuation du panier. Contre, euro, le rouble aura perdu 12% au second semestre. Même si les réserves de change russes ont littéralement fondu, chutant à 438 Mds USD fin décembre contre 598 Mds fin juillet, les autorités conservent des marges de manœuvre significatives en cas de conversion massive et soudaine des dépôts en USD ou EUR. Ce n’est malheureusement pas le cas des PECO ayant adopté un régime de change fixe ou flottant. Avant de demander l’aide des instances internationales (FMI, UE, Banque Mondiale), le forint hongrois avait perdu 24% face à la devise européenne. Sur les six derniers mois de l’année, le zloty polonais et la couronne tchèque ont reculé de respectivement 24% et 13%. Le tarissement du financement externe de ces pays (les déficits courants oscillent entre 5 et 23% du PIB) pourrait conduire à de graves crises. – Enfin, le yuan s’est une nouvelle fois démarqué des autres devises émergentes. En hausse de 6% face au dollar, le CNY est la seule devise émergente à ne pas s’être dépréciée face au billet vert en 2008. Après une appréciation continue au cours des 6 premiers mois de l’année, le CNY, étroitement géré par la BPC, a très peu fluctué par rapport à l’USD, entre 6,81 et 6,85 au second semestre. Il semblerait donc que la BPC cherche désormais à éviter une perte mécanique de compétitivité externe qu’implique une parité fixe entre le CNY et un USD « fort ». Si la croissance décélère plus que prévu, à l’avenir, de nouvelles dévaluations du CNY par rapport au billet vert ne sont pas à exclure.

Au final, l’année 2008 marquera la fin des stratégies de carry trade. Ces dernières ont été notamment mises à mal par :

(i) l’augmentation générale de la volatilité, à des niveaux historiques ;
(ii) une plus grande volatilité des politiques monétaires réduisant la lisibilité de l’action des banques centrales et rendant la hiérarchie des rendements moins évidente pour les investisseurs ;
(iii) un coût du levier déjà historiquement élevé depuis la crise d’août 2007, multiplié par 5 en octobre. A titre d’exemple, notre indice de carry trade, dont les devises sont déterminées par le classement des ratios de sharpe, a chuté de plus de 18% sur l’année, avec une forte aggravation au mois d’octobre (-9%).

Matières premières : les montagnes russes

En 2008, les marchés de matières premières ont connu des niveaux de volatilité exceptionnels : les métaux précieux et l’alimentaire ont enregistré une volatilité historique proche de 30%, celles des métaux industriels et du pétrole ont atteint respectivement 35% et 45%. Come le résume l’évolution du pétrole, l’année 2008 restera comme l’année des plus hauts… et des plus bas.

Dans un premier temps, la conjonction de facteurs haussiers a mené l’or noir vers des plus hauts historiques : 

  • structurels : sous-investissement dans l’industrie pétrolière à l’origine d’une insuffisance des capacités de production et de raffinage, hausse des coûts de production, thèse du peak oil ;
  • mais également conjoncturels : spéculation sur la robustesse de la demande chinoise, changement de politique de l’OPEP (plus axée sur la gestion de la rente que sur le maintien de parts de marché), corrélation avec l’EUR/USD et instabilités géopolitiques au Moyen Orient et au Nigeria.

En conséquence, le 3 juillet, le baril de Brent s’échangeait à plus de 144 USD, soit en hausse de près de 54% par rapport au début de l’année. Fin mai, le marché a commencé à s’inquiéter des réductions de subventions sur l’essence octroyées par l’Etat dans plusieurs pays émergents (Indonésie, Malaisie, Inde…) tandis que la Chine annonçait un mois plus tard une hausse du prix administré de l’essence de 18%. Combinées au ralentissement économique global et à une forte augmentation des stocks mondiaux, ces craintes se sont rapidement matérialisées par un repli soudain du cours du baril. A partir du mois de septembre, de par son statut d’actif risqué, le pétrole a été victime, comme les autres marchés, du deleveraging, d’une réduction de l’exposition des CTAs et de la fin du decoupling. Au total, le Brent aura perdu 73% de sa valeur au second semestre. Il faut revenir à juin 2004 pour observer un baril sur les niveaux atteints en fin d’année (38 USD/bl). 

Du côté des métaux, après une première partie de l’année largement marquée par une très forte corrélation positive avec le pétrole (d’après les indices S&P GSCI, +16% pour les métaux industriels, +12% pour les métaux précieux), l’aggravation de la crise financière s’est accompagnée d’une plus grande discrimination de la part des investisseurs. L’or a en effet, dans une certaine mesure, bénéficié de son statut de valeur refuge. Dans ce contexte, la composante de métaux précieux de l’indice S&P GSCI s’est repliée de seulement 14% au second semestre. La composante métaux industriels est quant à elle restée extrêmement corrélée au pétrole et a subi de plein fouet le ralentissement économique global, affichant une baisse de 57% pour les six derniers mois de l’année. En particulier, la faiblesse de l’activité de construction qui résulte de la crise immobilière mondiale a principalement affecté la production des biens industriels lourds comme l’acier (la production chinoise a reculé de 17% en GA en octobre).

Enfin, en dépit de pressions structurellement haussières (impact du réchauffement climatique sur les récoltes futures, changements dans les comportements alimentaires des populations des émergents, développement de biocarburants), les matières premières agricoles ont également suivi la tendance impulsée par le pétrole. Si on a frôlé la crise alimentaire au premier trimestre (l’indice GSCI Agri+Livstk avait progressé de 18% entre janvier et mars 2008), le second trimestre aura vu un fort repli des cours (-40%). Au-delà d’un effet pétrole, de très bonnes récoltes et des prévisions également favorables à moyen terme ont permis cette détente des cours.

Hedge funds : la première crise systémique

Avec une perte annuelle estimée à 21% pour l’indice HFRI fonds de fonds, 2008 aura vu émerger la première grande crise de l’industrie des hedge funds. Si beaucoup de gérants avaient réussi à préserver leur performance jusqu’au mois de juin, les retournements des marchés survenus durant l’été et les externalités générées par l’explosion de l’aversion au risque – suite à la faillite de Lehman Brothers, cf. infra – ont déclenché une spirale de liquidation et de déléveraging sans précédent.

2008 : un nouveau stress de référence. Bien que les pertes subies par les fonds alternatifs aient été limitées au regard de celles des actifs risqués « standards », elles revêtent un caractère extrême à plusieurs niveaux. D’une part, si la performance d’août 1998 reste la pire perte mensuelle enregistrée par l‘indice CSFB/Tremont Global (-7,5%), le drawdown affiché en 2008 a été 1,5 fois plus important que le drawdown maximum constaté jusqu’alors (août – octobre 1998). De plus, s’il a été réalisé en six mois, plus de la moitié de la perte a été cumulée entre les seuls mois de septembre et octobre. D’autre part, l’industrie n’a connu que trois mois positifs durant cette année, contre 8,5 en moyenne, un minimum de 5 en 2000. En termes de risques extrêmes, deux des performances mensuelles enregistrées par l’indice HFRI Global percent une CVaR à 1%, et une autre une CVaR à 5%.

L’hétérogénéité des vecteurs de performance des différentes stratégies. Les fonds Long/Short Equity et Emerging Markets, avec des pertes moyennes estimées à 20% et 33% respectivement, ont été directement affectés par l’effondrement des marchés boursiers développés et émergents. Les Convertible Arbitrage, ont particulièrement souffert du développement de la crise des subprimes depuis mi-2007. Avec des performances comprises entre -30% et -35% sur l’année, ils figurent parmi les pires performeurs de 2008.

Nous identifions deux catégories de gérants. D’une part, les gamma traders(1) se sont heurtés à un ensemble de risques extrêmement difficiles à couvrir : volatilité actions historiquement « volatile », forte volatilité des taux (donc de la valeur plancher des convertibles), prix de la couverture actions élevé. D’autre part, certains gérants, face à l’absence de volatilité et de marché primaire entre 2006 et 2007, ont eu tendance à réorienter leur stratégie en se recentrant sur la dette high yield, subissant ainsi de plein fouet le choc du crédit. Les stratégies d’Event Driven, ont été négativement affectées par la forte volatilité des marchés actions (-16,7%), propriété qui est à l’origine de leur payoff en « broken arrow». Notons que le maintien des marges de M&A durant le premiersemestre a finalement permis aux fonds Merger Arbitrage d’amortir les pertes inhérentes au renforcement du risque de deal suite à la faillite de Lehman Brothers (-6,7% sur l’année). Parmi les stratégies de relative value, les Equity Market Neutral ont subi des pertes limitées (-3.5% en moyenne), malgré la contraction significative des conditions de liquidité et la mise en place des interdictions de vendre à découvert durant le second semestre (cf. infra). Par contre, les gérants Fixed-Income Arbitrage ont été sévèrement touchés par les épisodes de contraction de la liquidité (cf. infra) en mars (suite à la quasi-faillite de Bear Sterns) et suite à la faillite de Lehman. Avec une performance de -14% en octobre, cette stratégie marquait une performance YtD de -28% fin novembre.

Enfin, les stratégies directionnelles ont été les seules à profiter significativement de la forte volatilité des marchés et des changements de tendance sur les devises et les matières premières en réallouant dynamiquement leurs investissements. Les Global Macro ont ainsi enregistré des performances moyennes comprises entre -5,7% et +3,9% en fonction de l’indice retenu – dispersion qui reflète l’hétérogénéité des fonds qui composent ce style d’investissement – et les CTAs ont gagné 15,5% en moyenne.

Si nous n’avions pas anticipé l’ampleur de la crise sur l’industrie, les performances relatives des différentes stratégies sont en lignes avec les recommandations que nous avons émises tout au long de l’année passée, à savoir :

  • sous-pondérer les stratégies à biais long crédit et actions ;
  • rester très prudents sur les stratégies de relative value léveragées qui, malgré une dispersion propice aux opérations d’arbitrage, ont été très sensibles à l’illiquidité des marchés ;
  • repousser le timing d’entrée sur les stratégies d’event driven au sens large ;
  • surpondérer les stratégies directionnelles.

Le facteur liquidité prépondérant. La contraction de la liquidité a joué un rôle majeur pour les stratégies d’arbitrage. Fondamentalement, la forte dispersion des marchés actions, les nombreuses réorientations des politiques monétaires et les variations de pente auraient dû constituer des vecteurs de performance pour les gérants relative value. Cependant, le resserrement continu des conditions de liquidité sur tous les segments de marché a constitué un frein important pour un certain nombre de gérants, au travers de l’augmentation sensible des coûts d’opportunité. Cette contraction a également joué le rôle de facteur de risque exogène extrêmement significatif pour les gérants les plus léveragés, souvent pris au piège par les augmentations soudaines d’appels de marge de la part des prime brokers (entraînant des ventes forcées durant les périodes de liquidation) ou les non-reconductions soudaines des lignes de liquidité.

L’aversion au risque des investisseurs et la vague de rédemption. L’explosion de la perception du risque sur l’ensemble des marchés, combinée aux contre-performances extrêmes de l’industrie, a engendré une vague de rédemption sans précédent dès le mois de septembre. En conséquence, de nombreux gérants ont été contraints de procéder à des fire sales(2) entre septembre et novembre afin de restituer le capital des investisseurs. Le volume des flux sortants a souvent conduit à l’activation de gates, portes de sorties activées par les gérants pour étendre la fenêtre de liquidation et préserver ainsi les intérêts des investisseurs qui sont restés investis dans les fonds. Si l’impact de cette vague de rédemption n’est encore que très peu visible aujourd’hui, nous anticipons au moins 30% de sorties de capitaux de l’industrie (par rapport aux niveaux de janvier 2007).

De nombreuses fermetures de fonds ont d’ores et déjà eu lieu et vont continuer dans les mois à venir. Si un tiers de l’industrie pourrait disparaître, le nombre de faillites devrait être très limité. Deux facteurs pourront amener des gérants à cesser leur activité :
– Le manque à gagner en termes de frais de performance, auxquels les gérants ne pourront prétendre qu’après avoir récupéré les highwatermarks(3).
– L’insuffisance de capital sous gestion (due tant aux pertes subies qu’aux sorties d’investisseurs) pour que la stratégie demeure profitable (break even).

Dans ces deux cas de figure, les plus petits fonds sont les plus exposés au risque de fermeture, ce qui pourrait conduire à une forte concentration de l’industrie à moyen terme.

Le modèle des fonds de fonds remis en cause ? La performance affichée par les fonds de fonds a déçu un certain nombre d’investisseurs, qui se questionnent sur l’utilité de recourir indirectement à la gestion alternative pour obtenir une performance « moyenne ». Doit-on pour autant craindre la disparition de la gestion alternative indirecte ? Pas de notre point de vue. L’accès à la gestion alternative par les fonds de fonds délivre un certain nombre d’avantages indiscutables :

– Accéder à un niveau de diversification satisfaisant avec un capital limité.
– Bénéficier d’une expertise quantitative et qualitative (due diligences, suivi des risques, liens avec les gérants).
– Bénéficier de remises sur les frais de gestion ou de performance en passant par un investisseur de poids

Cependant, investir dans un fonds de fonds limite fortement les possibilités de pilotage tactique d’un portefeuille alternatif, l’implémentation de vues stratégiques top/down dans une allocation. C’est pourquoi nous pensons que les investisseurs qui évoluent sur leur courbe d’apprentissage vont être plus enclins à opter pour des fonds de fonds thématiques, davantage profilés.

Quelles seront les conséquences de cette crise ? La confiance des investisseurs en l’industrie des hedge funds a été lourdement affectée par les pertes subies et par certains événements isolés (comme l’affaire Madoff). Il est donc très probable que les gérants optent pour une transparence accrue et fournissent une liquidité plus importante (notamment pour les gérants qui investissent sur des sous-jacents liquides). Nous nous attendons également à ce que le lien entre les prime brokers et les hedge funds soit davantage encadré par les autorités de tutelle, de manière à éviter le déclenchement de spirales de ventes forcées comme ce fut le cas de nombreuses fois depuis le mois d’août 2007. A plus court terme, la persistance de la contraction de la liquidité et l’aversion pour le risque des investisseurs devraient maintenir les niveaux de levier employés relativement bas.

NOTES

(1) Dont l’objectif est d’exploiter les changements de la volatilité implicite véhiculée par la jambe optionnelle de l’obligation convertible.
(2) Ventes en urgence.
(3) La highwatermark est la dernière plus haute valeur connue de la valeur des parts du fonds. Les frais de performance ne peuvent le plus souvent être perçus que si la valeur des parts dépasse cette highwatermark.