Le Brésil taxe les entrées de capitaux pour contrer l’appréciation du real

par Carlos Quenan et Bénédicte Baduel, économistes chez Natixis

Le ministre des finances brésilien – Guido Mantega – a annoncé lundi 19 octobre, peu avant la fermeture des marchés financiers locaux, la mise en place d’un impôt (IOF) de 2% sur les entrées de capitaux. Cette mesure est effective à partir d’aujourd’hui (20/10/2009).

La taxe concerne les investissements de portefeuille, tant en rente variable (marché boursier) que fixe (bons) et vise à contenir les entrées spéculatives de capitaux ainsi que la tendance de forte appréciation de la devise brésilienne. L’impact de cette décision est ambigu. Elle surprend les marchés puisque le gouvernement avait jusqu’à présent écarter la possibilité de mettre en place une telle mesure.

Cependant, les conditions internationales ainsi que l’évolution de l’économie brésilienne devraient maintenir l’attractivité du pays auprès des investisseurs.

Le ministre des finances brésilien – Guido Mantega – a annoncé lundi 19 octobre, peu avant la fermeture des marchés financiers locaux, la mise en place d’un « Impôt sur les Opérations Financières » (IOF) de 2% grevant les entrées de capitaux. Cette mesure sera publiée dans le Journal Officiel de ce mardi 20 octobre et prendra effet immédiatement. La taxe concerne les investissements de portefeuille, tant en rente variable (marché boursier) que fixe (bons). La taxe ne s’appliquera qu’une seule fois, à l’entrée des capitaux dans le pays et n’affectera pas les mouvements entre différents actifs au sein des marchés financier et de capitaux brésiliens. D’autre part, les investissements directs étrangers en sont exemptés.

Des entrées massives d’investissements de portefeuille et une forte appréciation du real…

Cette décision intervient alors que le Brésil connait depuis plusieurs mois d’importantes entrées de capitaux et une forte appréciation du real contre dollar. Le pays a en effet bénéficié de la tendance générale à la diminution de l’aversion au risque émergent dans un contexte de grande liquidité internationale à laquelle s’est ajouté un optimisme croissant concernant la reprise de l’économie brésilienne. Les indicateurs des derniers mois montrent clairement un début de sortie de crise (PIB du T2 qui enregistre une croissance positive de +1,9% en T/T, reprise du dynamisme de la consommation et du crédit, amélioration du marché du travail). Dans ce cadre, entre le 1er janvier et le 19 octobre 2009, le real s’est apprécié de 26,7% contre dollar et l’indice boursier BOVESPA a augmenté de 79% atteignant hier son maximum depuis juin 2008.

… au centre des préoccupations des autorités brésiliennes

Sur la période juin-août 2009, les entrées d’investissements de portefeuille ont été en moyenne de 5,1 milliards de USD soit 189% de plus que sur la même période en 2008. Dans le même temps, les IDE entrants ont chuté de 59% (1,5 mds de USD sur 06-08/2009 contre 3,5 mds sur 06-08/2008).

Cette forte hausse des entrées de capitaux volatiles a généré des craintes de la part du gouvernement quant au risque de spéculation sur les valeurs brésiliennes, qu’un retournement des anticipations dégonflerait aussitôt comme cela a été le cas dans la phase de forte aversion au risque émergent après la faillite de Lehman Brothers (dépréciation du real de 42% et chute de la bourse de 32% entre septembre et décembre 2008). Dans ce cadre, la banque centrale n’a cessé de mener des actions pour soutenir le billet vert (achats quotidiens de dollars). Ceci s’est traduit par une rapide reconstitution des réserves de change (après une diminution entre septembre 2008 et mars 2009) qui ont atteint un maximum historique en septembre à 222 mds de dollars.

Outre les risques de déstabilisation liés aux mouvements de capitaux volatiles de grande ampleur, l’appréciation du real a également engendré des tensions sur le commerce extérieur.

Alors que la balance commerciale ne s’était pas trop détériorée avec la crise du fait d’un repli comparable des importations et des exportations, on assiste depuis quelques mois à un retour du dynamisme des importations (reprise de la demande domestique et pouvoir d’achat du real) alors que les exportations, notamment manufacturières restent atones (elles représentent 25% de la production industrielle du pays). Les secteurs industriels brésiliens ont dès lors exercé des pressions sur le gouvernement pour qu’il contienne l’appréciation du real.

Des effets attendus ambigus

Le marché des changes s’est clôt hier à la parité de 1,71 contre dollar sans enregistrer de mouvement de panique suite à l’annonce de la taxation des entrées de capitaux. Actuellement, le cours spot tant du change que de l’IBOVESPA témoigne d’une certaine réaction négative des marchés. A 9h00, heure locale (15h à Paris) le real s’échangeait à 1,74 contre dollar et l’indice boursier avait perdu 2,22% par rapport à son niveau d’hier à la fermeture du marché.

Quoi qu’il en soit, l’impact de la décision prise par le gouvernement reste ambigu. D’aucuns pensent qu’elle pourrait induire une perte de crédibilité des autorités publiques qui avaient répété à plusieurs reprises qu’elles n’envisageaient pas de mettre en place ce type de mesure même si des rumeurs de marché circulaient depuis quelques jours. En fait, l’imposition des entrées de capitaux a des précédents au Brésil. Le gouvernement avait mis en œuvre un impôt comparable en mars 2008 en taxant à 1,5% les investissements de portefeuille étrangers en rente fixe mais qu’il avait éliminé avec l’aggravation de la crise en septembre 2008. La mise en place de cette taxe visant également à contrer l’appréciation du real n’avait pas provoqué de choc sur les marchés locaux.

Les réactions sur la scène internationale sont pour l’instant mitigées. Nicolas Eyzaguirre, Directeur du département de l’hémisphère occidental du FMI, a exprimé ses doutes quant à l’efficacité d’une telle mesure. Les expériences précédentes en la matière (Chili par exemple) montrent, en effet, qu’il existe des moyens pour entrer sur les marchés locaux tout en contournant la taxe.

Par ailleurs, des éléments plus fondamentaux devraient maintenir l’attractivité du Brésil. Le pays sera en effet parmi les premiers à retrouver une croissance dynamique à l’échelle mondiale, grâce notamment à son marché domestique. Il devrait donc rester attractif pour les investisseurs internationaux d’autant plus du fait des faibles alternatives de placements rentables, des perspectives baissières sur le dollar et alors que la liquidité mondiale est importante. Avec la reprise économique, le retour d’un cycle de hausse du taux de politique monétaire (SELIC) en 2010 devrait également contribuer à renforcer l’entrée de capitaux courts.

Conclusion 

Les mesures visant à décourager les entrées de capitaux spéculatifs ont une efficacité limitée. Dans le cas du Brésil, la taxe annoncée ne semble pas en mesure de freiner les flux financiers de court terme. Mais, dans un contexte de forte exposition des économies émergentes aux entrées massives d’investissements de portefeuille, la décision brésilienne met en avant le regain d’intérêt des émergents pour maîtriser les mouvements de capitaux et contrer l’appréciation de leurs monnaies.

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