Le monde est en voie de guérison

par Jens Moestrup Rasmussen, Lead Portfolio Manager chez Sparinvest

En octobre 2009, nous avions écrit que pour chaque gros titre positif annonçant l’amélioration des conditions économiques, on pouvait en trouver un autre sur les risques qui subsistaient. Un an plus tard, en octobre 2010, la situation n’a pas beaucoup changé, mais il n’y a pas de raison de désespérer car ce contexte n’est pas dépourvu d’opportunités intéressantes pour les investisseurs « value ».

Nous avons précédemment parlé des craintes sur les niveaux de la dette souveraine et d’un désendettement des particuliers, des entreprises et des gouvernements. Or les inquiétudes liées au risque d’une double récession n’ont pas disparu. Si les indicateurs de la solidité de l’économie et de l’industrie se sont globalement redressés depuis leur niveau plancher de début 2009, ils restent bien inférieurs à leurs niveaux d’avant la crise et, de temps à autre, des statistiques viennent donner la chair de poule aux marchés. L’économie mondiale s’est remise du choc de la crise du crédit et se trouve désormais sur la voie de la normalisation, mais la route sera longue et parfois semée d’embûches.

Ainsi, le monde est en voie de guérison, mais n’est pas encore tiré d’affaire. Cette situation nous convient. De septembre 2008 à mars 2009, la crise a déclenché une vague de panique sur les marchés boursiers qui a plongé l’intégralité de l’univers des actions au fond de l’abîme. D’avril 2009 à mars 2010, un « relief rally » est intervenu, apportant une bouffée d’oxygène aux actions, qui ont dès lors connu un rebond général, mais de manière peu sélective et sans tenir réellement compte de la qualité des sociétés. Depuis mars 2010, des craintes baissières d’ordre macroéconomiques mettent encore les marchés sous pression, mais il ne s’agit pas cette fois d’une panique aveugle. Nous commençons à entrevoir les signes d’une tendance à plus de sélection. A l’image des banques, certains des secteurs qui s’étaient particulièrement bien comportés pendant le « relief rally » sont désormais sous pression, car ils commencent à réaliser l’ampleur des problèmes réglementaires auxquels ils doivent faire face. Nous pensons que les investisseurs vont maintenant accorder une priorité à la qualité.

Comme toujours, nous avons surveillé de près nos investissements au jour le jour, tout en continuant de rechercher de nouvelles opportunités sur les marchés.

S’agissant de nos investissements en portefeuille, la situation nous donne vraiment confiance dans l’avenir. Comme nous l’avons préalablement écrit, les sociétés dans lesquelles nous sommes investis ont réagi à la crise des deux dernières années en prenant des mesures dynamiques, en restructurant leur dette et en s’adaptant aux conditions économiques actuelles. Cette réactivité nous donne confiance dans leur capacité à résister si ces conditions restent difficiles et à récolter des bénéfices substantiels lorsque la situation s’améliorera.

Valorisations

Comme toujours, les commentaires et données sur chaque fonds spécifique figurent dans les points trimestriels individuels. D’un point de vue global, les fonds d’actions « value » affichent une performance solide depuis début 2010, avec des gains supérieurs à 10%. Il est important de noter qu’en dépit de ces gains, les portefeuilles demeurent largement sous-valorisés.

Prenons par exemple le cas du fonds Sparinvest Global Value : pour donner une indication approximative de la valorisation, nous regroupons les positions en une société théorique dont le ratio cours / valeur comptable est de tout juste 0,97, contre 2,06 pour l’indice MSCI World. Si l’on analyse les multiples de bénéfices, nombre de nos positions possèdent un effet de levier opérationnel solide et sont donc bien placées pour voir leurs bénéfices augmenter sensiblement à mesure de l’amélioration de l’environnement économique. Alors que le ratio cours / bénéfices 2010 correspond à 14,8 fois les estimations Bloomberg, il tombe à 11,8 en 2011. Parallèlement, le rapport valeur d’entreprise / EBITDA, un indicateur utile du prix des sociétés par rapport à leur capacité bénéficiaire, n’est que de 5 fois les estimations 2011, contre 6,6 fois pour le MSCI World. Le bilan consolidé est sain, avec un ratio endettement net / fonds propres de 29% (contre 52% pour le MSCI World) et un ratio immobilisations incorporelles / fonds propres de 18% seulement (contre 52% pour l’indice).

Ces niveaux nous semblent faibles aussi bien en termes absolus qu’historiques, ce qui représente un potentiel intéressant de performance à long terme.

Opportunités à contre-courant

S’agissant des nouveaux investissements, nous continuons d’identifier de nombreuses opportunités intéressantes. Dans les fonds d’actions « value », nous avons procédé à onze nouveaux investissements au troisième trimestre, dont sept aux Etats-Unis. Ces dernières années, nos fonds mondiaux ont été relativement peu exposés à l’Amérique du Nord. Notre approche n’est jamais « top- down » et notre forte sous pondération aux Etats-Unis ne résulte que de notre choix de valeurs. Quoi qu’il en soit, nous n’avions tout simplement pas trouvé beaucoup d’opportunités d’investissement attrayantes en termes de valorisations en Amérique du Nord lorsque nous filtrions les marchés mondiaux ces dernières années, c’est-à-dire avant la crise. Il n’est donc pas étonnant que l’évolution des marchés boursiers ces deux dernières années ait fait baisser les valorisations d’un grand nombre de sociétés à des niveaux plus intéressants. En temps qu’investisseurs « value », nous sommes toujours prêts à aller à contre-courant.

Veuillez noter qu’au dernier trimestre, deux de nos nouveaux investissements sont dans les services pétroliers : Noble, une société de forage offshore et Tidewater, un opérateur de navires d’approvisionnement. Nous avions analysé les deux entreprises en profondeur en 2009 et apprécié leur qualité et leur solidité, mais nous en avions conclu que leur valorisation était légèrement trop élevée.

Les évènements tragiques survenus dans le Golfe du Mexique début 2010 ont eu un impact de taille sur le secteur et les retombées ne manqueront pas de se faire sentir pendant un certain temps. La réglementation de ce secteur va très vraisemblablement se durcir pour améliorer la sécurité et réduire l’impact sur l’environnement. Cependant, ces services offshore restent nécessaires à long terme, aussi avons-nous vu dans Noble et Tidewater des sociétés dont le cours du titre avait atteint des niveaux bien inférieurs à leur valeur intrinsèque.

Toutefois, cette volonté d’aller à contre-courant ne signifie pas que nous nous contentons de plonger la tête la première dans les actions ayant souffert et semblant moins onéreuses qu’auparavant. Il va sans dire que tous les nouveaux investissements sont soumis à notre process analytique rigoureux et que nous n’investissons pas à moins d’être satisfaits du bilan, de la capacité bénéficiaire et de la qualité globale de la société.

Qualité

Mais qu’entendons-nous exactement par « qualité » ? Ce terme est interprété différemment d’une personne à l’autre. Pour nous, l’une des exigences principales est que la société ne présente pas d’endettement massif : nous avons expliqué le raisonnement qui sous-tend ce principe dans notre dernière lettre. Mais le concept de qualité va bien au-delà d’une approche purement quantitative : il relève également du modèle de capacité bénéficiaire, du paysage concurrentiel et de la part de marché de la société, de l’historique du management, de la solidité des actifs, etc. Il s’agit là de quelques-uns des facteurs qualitatifs que nous étudions de très près avant de procéder à un investissement.

Cela ne signifie pas pour autant que nous n’investissons que dans les « meilleures » sociétés au monde, ou dans celles qui possèdent les plus grandes marques. Tout d’abord, la société la mieux gérée qui fabrique le meilleur produit dans le secteur le plus prometteur et qui présente les références les plus solides, les marges bénéficiaires les plus stables ainsi qu’un bilan inébranlable n’existe tout simplement pas. Et généralement, les entreprises qui s’en rapprochent sont d’ores et déjà extrêmement onéreuses.

Bien sûr, lorsque les conditions du marché ou des facteurs conjoncturels font baisser de tels leaders à des niveaux de valorisation attrayants qui nous permettent de détecter une décote significative par rapport à leur valeur à long terme, nous sommes les premiers à saisir l’occasion d’investir. Une grande partie des actions dans lesquelles nous avons investi ces derniers mois appartiennent d’ailleurs à cette catégorie. Mais nous ne rechignons pas à acquérir des sociétés que Benjamin Graham qualifiait de « sociétés secondaires », c’est-à-dire non pas « médiocres » ou « de mauvaise qualité », mais des « sociétés qui ne sont pas leaders dans un secteur relativement important » (dixit Graham). Nous sommes disposés à prendre des participations dans des secteurs moins prestigieux tels que les chariots élévateurs, les condensateurs électrolytiques, les sièges de voiture, etc. Nous n’hésitons pas non plus à investir dans des entreprises qui ne sont pas nécessairement numéro un dans leur domaine, mais qui présentent un historique solide de bénéfices, sont adossées à des actifs de qualité et, surtout, affichent des prix de marché bien inférieurs à leur valeur intrinsèque.

Lorsque nous acquérons des sociétés dont la valorisation est faible, il va sans dire qu’elles sont peu susceptibles d’être parfaites, qu’elles soient « leaders » ou « secondaires ». Leur chiffre d’affaires peut par exemple subir des pressions dues à un contexte macroéconomique difficile, leurs coûts peuvent être orientés à la hausse du fait de renchérissements du prix des matières premières ou leur direction peut avoir commis une erreur stratégique. Ou alors, elles peuvent tout simplement être globalement solides, mais comporter un ou deux domaines de moindre importance qui peuvent être améliorés. Il ne s’agit pas là de raisons suffisantes pour ne pas investir.

Il convient d’analyser minutieusement les risques et d’envisager les scénariis les plus pessimistes. Lorsque nous évaluons une société, nous avons tendance à nous montrer relativement négatifs et à ne pas supposer avec optimisme qu’elle pourra devenir un champion du jour au lendemain. Nous nous assurons que cette société possède un modèle d’entreprise solide et que sa vigueur financière est durable car cette dernière est le gage d’une flexibilité en matière d’investissement et lui permet d’investir, de procéder à des restructurations en cas de besoin et de survivre aux périodes difficiles. Nous évaluons de manière conservatrice les réalisations potentielles de l’entreprise et investissons si elle semble toujours bon marché compte tenu de cette capacité. Bien entendu, si une société parvient à atteindre une croissance significative, procède à une restructuration efficace ou à tout autre amélioration, sa valeur intrinsèque augmente alors, tout comme le potentiel haussier de l’investissement.

C’est cette stricte concentration sur l’évaluation prudente de la valeur intrinsèque des sociétés qui permet aux investisseurs « value » de dénicher des investissements intéressants et d’une grande diversité. L’investissement « value » ne consiste pas exclusivement à investir dans les leaders mondiaux, ni dans des actions purement défensives, voire dans des titres cycliques. On en revient toujours à la valorisation. Lorsque les marchés nous donnent l’occasion d’acquérir des sociétés solides à des prix réduits, nous ne nous en privons pas.

Une période de transition

Ces considérations sur la « qualité » nous amènent à un aspect souvent évoqué : les fusions et acquisitions. Dans notre dernière lettre, nous avions insisté sur le fait que les fusions et acquisitions ne se limitent pas aux rachats qui font les gros titres et doublent le cours de l’action d’un jour à l’autre (même si nous sommes loin de nous en plaindre lorsqu’elles concernent l’une de nos positions). Il peut aussi s’agir de fusions de moindre envergure, susceptibles de doper sensiblement la valeur de l’entreprise, mais à plus long terme. Il convient en outre de noter que, pour certaines sociétés, la simple possibilité d’une offre de rachat peut avoir des conséquences positives. Cet effet est certes difficile à quantifier, mais son existence ne fait aucun doute.

Prenons les marchés actuels des fusions et acquisitions. Après l’effondrement survenu pendant la crise financière, les opérations se multiplient à nouveau. Dans nos propres portefeuilles, nous avons récemment observé le rachat de Gewiss, un fabricant italien d’équipement électrique. Après avoir acheté les actions à 2,9 EUR en novembre 2009, nous avons perçu 4,2 EUR par action en août 2010. Roto Smeets Group, un imprimeur néerlandais, fait également l’objet de convoitises et Deutsche Bank a exprimé un certain intérêt pour Deutsche Postbank.

Le marché revient donc à la vie. Cependant, il est toujours dans une phase de transition. A mesure que les acheteurs mettent la main au portefeuille, ils feront bien sûr tout leur possible pour faire de bonnes affaires, ce qui accroît le risque d’offres très modestes. Mais ce risque n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Toute offre, même à un prix faible que les actionnaires sont susceptibles de rejeter, montre clairement à la direction que des tiers considèrent la valeur de la société comme non négligeable, et la motive à prendre les mesures nécessaires pour cristalliser cette valeur.

Dans cette phase de transition, les marchés de fusions-acquisitions se caractérisent également par un phénomène singulier de tentatives d’achat des forts par les faibles. Nous sommes investis depuis longtemps dans Hochtief, un spécialiste allemand de la construction et de l’ingénierie civile, dont l’atout le plus précieux est sa participation majoritaire dans l’Australien Leighton Holdings. Hochtief a fait l’objet d’offres de rachat par le passé et l’un de ses anciens prétendants est réapparu en septembre. La société de construction espagnole ACS (Actividades de Construccion y Servicios), qui détient déjà 29,9% d’Hochtief, a soumis une offre à un prix équivalent au cours actuel de l’action. Ce qui est intéressant, ce sont les motivations d’ACS. Il s’agit d’un acteur important du secteur, mais il est fortement endetté avec un ratio endet- tement net / fonds propres proche de 300%. Hochtief, en revanche, présente un rapport endettement net / fonds propres de 8% seulement reposant sur des activités sous-jacentes robustes. Il est évident que l’intégration de Hochtief dans ses comptes améliorerait nettement le bilan d’ACS. La direction et le conseil d’administration de Hochtief ont recommandé aux actionnaires de rejeter l’offre actuelle et nous trouvons aussi que cette offre sous-évalue fortement la société allemande.

Les acheteurs industriels sont donc en train de reprendre confiance. Nos positions font l’objet d’offres parfois attrayantes, comme dans le cas de Gewiss, mais qui ne reflètent pas toujours la valeur à long terme de la société, comme l’offre actuelle sur Hochtief. Dans l’ensemble, ces signes nous semblent très encourageants. Au fond, nous assistons aujourd’hui aux premières étapes d’un nouveau cycle de fusions et acquisitions et nos positions attirent désormais l’attention, comme elles l’ont fait par le passé.

Conclusions

Naturellement, même si nous sommes satisfaits de l’évolution de nos fonds sur l’année en cours, nous ne pouvons pas dire que l’exercice a été sensationnel pour les actions. Cette catégorie d’actifs semble effectivement encore susciter une certaine prudence.

Ce phénomène n’a rien de nouveau. Après toute période de difficultés sur le marché boursier, leur popularité chute. Benjamin Graham, le père de l’investissement «value» a écrit à ce propos:

« Après la grande crise financière de 1929-1932, toutes les actions ordinaires étaient considérées comme spéculatives par nature (une autorité compétente a affirmé catégoriquement que seules les obligations devaient faire l’objet d’investissements). »

Ces changements d’humeur sont le propre de la nature humaine, mais vont plus ou moins à l’encontre du principe de bon sens qui consiste à « acheter à bas prix, vendre à un prix élevé ». Pour l’investisseur « value », les lendemains d’une période douloureuse d’un ou deux ans pour les marchés boursiers sont précisément le moment de se mettre en quête de nouveaux investissements.

Pour Graham, l’investissement en actions n’avait rien de spéculatif en soi. Une opération d’investissement « promet la protection du capital investi et un rendement approprié après avoir effectué une analyse minutieuse ». Il s’agit là du principe auquel nous tenons fermement chez Sparinvest : nous analysons les actions en profondeur et si nous estimons qu’elles protègent correctement le capital investi et un rendement potentiel approprié, nous investissons. C’est précisément ce que nous avons fait pendant les marchés particulièrement rudes de ces deux à trois dernières années : nous avons déniché des investissements intéressants assortis de valorisations inégalables qui généreront des rendements solides. En tant que classe d’actifs, les actions continueront toujours à susciter par périodes engouement ou aversion. D’après Benjamin Graham, un investisseur intelligent sait tirer parti de ces fluctuations et il faut acheter lorsque le marché fait baisser une action aux fondamentaux solides à un prix raisonnable.

Nous sommes extrêmement optimistes quant aux perspectives de nos fonds. Jusqu’ici, la performance a été encourageante en 2010 et nos positions prouvent leur solidité sur le plan opérationnel. Cependant, les marchés boursiers nous offrent toujours de nouvelles opportunités d’investissement intéressantes qui se traduiront, nous en sommes convaincus, par une performance solide à long terme.