Le pragmatisme doit primer sur tout autre biais

par Marc-Ali Ben Abdallah, stratégiste chez Credit Agricole AM

Les marchés financiers sont mus par des tendances fort contrastées en ce début de mois de septembre, malgré des statistiques économiques qui continuent de surprendre à la hausse. L’enchevêtrement des signaux de marché est étonnamment compliqué. En effet, on observe simultanément une baisse des taux toutes maturités confondues, une remontée des primes de risque de crédit, et plus généralement une plus grande volatilité des indicateurs d’appétit pour le risque, le franchissement du seuil des 1000$ pour une once d’or, et enfin des marchés actions au directionnel moins affirmé…le rallye se consumerait-il ?

Notre conviction est que l’environnement devrait rester favorable aux actifs risqués à moyen terme, en grande partie grâce à une politique économique (monétaire et fiscale) exceptionnellement accommodante. Ceci étant, il faut dès maintenant se préparer à un changement de phase caractérisé par un retour vers un équilibre de post-crise.

Les commentaires des banquiers centraux sont presque devenus répétitifs sur les perspectives de moyen terme de leurs économies domestiques, à quelques rares exceptions près, comme l’Australie. Tous assènent que le risque d’apparition de tensions inflationnistes demeure inexistant. Tous formulent des projections de croissance en demi-teinte. Malgré cette prudence à peine voilée, les actifs risqués, au cours des six derniers mois, ont accéléré en avance du rebond des indicateurs cycliques. Cette dynamique haussière est pour l’essentiel le reflet d’une confiance retrouvée sur les marchés après que les investisseurs aient vu s’écarter la thèse du pire (une spirale déflationniste dans un contexte récessif).

Il faut le souligner, une foultitude de bonnes surprises économique sont fait surface: une liquidation rapide des stocks, un tassement d’un rythme de destructions d’emplois rarement égalé depuis la seconde guerre mondiale et pour finir, des chiffres de croissance positifs au second trimestre 2009.

Toutefois, la rentrée a été émaillée des interrogations d’investisseurs sur la capacité du flux de données macroéconomiques à pouvoir encore les surprendre. Une fois la trajectoire économique appréhendée, il est peu crédible que les marchés s’inscrivent durablement dans un mode adaptatif, à savoir des projections de court terme constamment révisées à la hausse. De fait, la sensibilité des actifs aux nouvelles macroéconomiques s’est atténuée. Il importe, maintenant, d’essayer de décrypter les anticipations des investisseurs.

Plusieurs scénarios contraires semblent coexister au sein des marchés financiers. Ces derniers s’échelonnent d’un risque de rechute de l’économie mondiale – le plus crédible d’entre eux évoque l’impact négatif de la hausse du prix des matières premières, comme le pétrole, sur le budget des ménages – à un risque de normalisation plus rapide qu’attendu de la politique monétaire. Autant il est difficile de se convaincre d’un prix du pétrole au-delà des 60$ étant donné la faiblesse de la demande mondiale, autant il est peu vraisemblable que les gouvernements ou les Banques Centrales s’engagent dès à présent dans une normalisation (hausse des taux ou hausse des impôts). Ceci, bien entendu, n’exclut pas que des programmes spécifiques de provisions de liquidité ou de rachat d’actifs puissent être éteints.

Mais les conditions en faveur d’une poursuite de l’expansion du bilan des Banques Centrales, ou au moins une recomposition de ceux-ci via l’achat d’actifs de maturité longue, sont encore bien présentes : l’offre de crédit reste contrainte par une solvabilité dégradée des ménages et des entreprises, les écarts aux croissances potentielles sont abyssaux, les indices de prix continuent de baisser fortement…Les actifs risqué sont déjà validé la thèse d’un rebond global et fort.

Viendra inévitablement la seconde phase: celle d’une croissance molle peu ou prou en ligne avec le scenario des Banques Centrales. Entre temps, les prix des actifs risqués devront s’ajuster. Ceci impose une conclusion pragmatique : plus que jamais, il faut être vigilant aux valorisations pour éviter la douloureuse expérience d’un retour vers une trajectoire de performance cohérente avec une croissance soutenable.