Le puzzle de la productivité

par Valentijn van Nieuwenhuijzen, Head of Multi Asset chez NN Investment Partners

La multiplication des signes indiquant que la tendance de la croissance de la productivité s’infléchit dans les économies développées est un sujet de plus en plus débattu en ce qui concerne les perspectives à moyen terme tant de l’économie que des marchés. En résumé, un repli de la croissance de la productivité entraîne un ralentissement de la croissance économique, des risques accrus pour la pérennité financière des allocations sociales, une diminution du potentiel de croissance bénéficiaire, une hausse du risque de “stagnation séculière”, une baisse des taux et un potentiel limité de nouvelle contraction des primes de risque sur les marchés financiers.

Pour les investisseurs, les conséquences à moyen terme d’une faible croissance de la productivité sont dès lors évidentes : elle réduit les opportunités d’investissement et les rendements attendus et augmente les risques systémiques. Ceci n’est guère une perspective prometteuse.

Les investisseurs doivent toutefois être conscients que ces prévisions sont basées sur une supposition – une croissance structurellement moins élevée de la productivité – qui est elle-même entourée d’une grande incertitude. De plus, cette vision ne correspond pas nécessairement à l’expérience du passé, ni aux observations actuelles sur le progrès technologique dans de nombreux secteurs de l’économie. Les tendances historiques en matière de croissance de la productivité affichent des fluctuations importantes, parfois de longue durée et montrent que les accélérations ou déclins structurels sont plus souvent imprévisibles que facilement identifiables.

Si l’on considère l’évolution de la croissance de la productivité américaine, par exemple, il est clair que la tendance a été baissière au cours des 10 dernières années (voir ci-dessus).

La situation est cependant moins dramatique que ce que certains suggèrent parfois, puisque la croissance s’élève toujours à 1,5% par an, à comparer à une moyenne de 2% au cours des 55 dernières années. En outre, ce recul suit une période de forte hausse de 10 ans (entre 1995 et 2005), durant laquelle la productivité a augmenté en moyenne de 3,1% par an. Il se peut dès lors qu’une partie des récents chiffres décevants soit la conséquence des importants progrès réalisés lors de la décennie précédente et corresponde en fait à une sorte de ‘retour à la moyenne’.

L’évolution du niveau de la productivité soutient cette analyse. Après une période de progression décevante dans les années 1980 et au début des années 1990, la productivité a augmenté à un rythme supérieur à la moyenne au début des années 2000, après le boom technologique. Ensuite, elle est restée relativement élevée jusqu’à la ‘grande crise financière’ et a de nouveau augmenté lors de la période de réduction des coûts qui a suivi cette crise. Ce n’est qu’à partir de 2010 que l’on a observé une stagnation, mais ceci ne semble pas anormal dans la perspective à plus long terme de la dynamique de la productivité. Ce genre d’évolution semble au contraire relativement facile à comprendre dans le contexte de la mondialisation et de la révolution digitale des années 1990 et des répercussions de la grande crise financière durant la dernière décennie.

Selon les modèles historiques, un retour à la moyenne (à très long terme) semble dès lors le point de départ le plus neutre pour prévoir la tendance de la productivité à moyen terme. Les choses ont peut- être changé en ce qui concerne la productivité, mais pour chaque exemple de faible propension à investir des entreprises ou d’absence de nouvelle percée technologique, il existe au moins autant d’exemples de nouveaux modèles d’entreprise digitaux attrayants ou d’innovations fascinantes dans le domaine des soins de santé et de l’énergie (alternative).

Si nous considérons nos propres vies professionnelles et privées, nous constatons chaque jour de nouvelles applications de communication digitale et un usage intensif des smartphones, tablettes, apps, de la technologie ‘cloud’ et de l’analyse des données à grande échelle. En outre, les innovations dans les domaines de la biotechnologie, des soins de santé et de l’énergie alternative entraînent une accélération des nouvelles opportunités et une diminution non linéaire des coûts (par ex. piles et énergie solaire). Après la globalisation des chaînes de production via la sous-traitance dans les années 1990, la digitalisation conduit désormais à une réduction substantielle des coûts de transport et de formation via une production accessible localement (impression 3D), des rapports, des journaux, des sessions de formation et des vidéos téléchargeables ou des transmissions de cours en direct. Aujourd’hui, il y a davantage de personnes connectées à internet via un téléphone mobile que de personnes possédant une brosse à dent.

La connectivité des idées que ceci crée pourrait constituer une source d’innovation intellectuelle sans précédent, susceptible d’entraîner un nouveau boom de productivité durant la prochaine décennie.

Il n’est pas exclu que toutes ces observations quelque peu éclectiques se révèlent finalement des fantasmes digitaux ou juste des exemples d’innovation technologique sans application économique efficace (ce qui est nécessaire pour que la productivité augmente), mais ceci nous incitera certainement à remettre en question l’opinion selon laquelle la tendance décevante de la croissance de la productivité de ces dernières années fournit la meilleure indication pour son évolution future.