Le regain de volatilité annonce-t-il une fin de cycle boursier ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Le regain spectaculaire de la volatilité observé sur les marchés depuis cet été s’explique par toute une série de facteurs, macro principalement, mais aussi par d’autres plus inquiétants (liquidité, géopolitique…). Parallèlement, les nouvelles en provenance des entreprises sont correctes, avec des résultats plutôt en ligne avec les attentes. Les marchés sont donc pris une fois de plus entre deux forces contradictoires… Quelle analyse porter sur cette situation et quelle stratégie adopter ?

L’indice VIX, qui est le reflet de la volatilité cotée, a atteint le niveau de cet été pour la première fois depuis 2011. Les principaux indices boursiers ont perdu de 10 % (S&P 500) à 20 % (Eurostoxx) en extrême, avant de se stabiliser quelque peu depuis plusieurs semaines. La confiance des investisseurs a en effet été ébranlée et semble rester fragile : ils ont encore en mémoire le monumental krach de 2008 et craignent de façon latente une crise d’ordre systémique, qui serait la conséquence de politiques monétaires trop aventureuses qui auraient ainsi artificiellement gonflé le prix des actifs…

La crainte des marchés s’est cristallisée sur trois sujets majeurs

1 – La baisse des perspectives de croissance de l’économie mondiale (qui entretient une volatilité exacerbée sur les taux de change). Le cycle de croissance s’avère en effet long et mou… avec des pressions déflationnistes latentes. La croissance mondiale a ralenti durant la première partie de l’année et tourne autour de 2,8 % en rythme annuel, avec une dynamique plutôt positive des pays développés, des déceptions dans les pays émergents (phases de récession avérées en Russie et au Brésil) et une grosse interro- gation sur le cas de la Chine, née cet été avec l’histoire de la dévaluation du RMB.

La Chine, qui représente 15 % du PIB mondial, est un cas potentiellement systémique ! Néanmoins, les derniers indicateurs avancés se stabilisent et laissent augurer une légère amélioration pour les prochains mois. Au final, la croissance mondiale de 2015 devrait atteindre 3,1 % selon la dernière estimation du FMI. Le FMI prévoyait encore 3,5 % en avril dernier et 3,3 % en juillet. Il s’agirait de la plus faible croissance depuis 2009… Les statistiques économiques américaines continuent à être assez volatiles, avec des chiffres très positifs et d’autres beaucoup plus décevants. L’économie reste en croissance de l’ordre de 2,5 % en rythme annuel, mais n’est pas complètement immunisée du reste de l’activité mondiale, ce que la Réserve Fédérale a implicitement reconnu en ne relevant pas ses taux d’intérêt… Pourtant, le cycle de reprise de l’économie américaine a déjà 75 mois. Historiquement, la Reserve Fédérale commence à relever ses taux directeurs après 30 mois, ce qui fait une différence considérable.

Concernant la zone Euro, les dernières estimations élaborées par le FMI n’ont pas beaucoup évolué : 1,5 % en 2015 et 1,6 % en 2016. Les dernières enquêtes d’activité se stabilisent d’ailleurs en zone d’expansion, soutenue par la faiblesse persistante des prix du pétrole et des taux d’intérêt très bas qui entretiennent la reprise constatée du crédit bancaire. Au sein de la zone, l’Espagne se distingue avec une croissance attendue à 3,1 % cette année et 2,5 % en 2016.

Au Japon, il y a peu d’évolution majeure à noter. Les prévisions du FMI restent stables, à0,6%pour2015et1%pour2016,etles derniers indicateurs publiés ne montrent pas de divergence majeure par rapport à cette estimation.

Concernant les pays émergents, la question de l’activité en Chine a suscité plus de doutes. L’économie est assurément en décé- lération, mais tous les indicateurs publiés dernièrement montrent qu’elle n’est pas en brusque ralentissement. Certains pays sont plus touchés par le contexte de ralentissement chinois, qui induit une baisse des matières premières et touche de ce fait particulièrement les pays liés à ce secteur : le Brésil sera ainsi en récession de 2,5 % en 2015, la Russie de 3,8 %. Parallèlement, l’accélération de la baisse de la quasi-totalité des monnaies émergentes qui a suivi la décision de la Banque de Chine a ravivé les pressions inflationnistes : l’indice des prix est ainsi attendu en hausse de près de 9 % au Brésil, de 15 % en Russie, de 8 % en Turquie, 5 % en Inde… Au total, la croissance des pays émergents a été revue à la baisse de 0,3 point depuis 2 mois pour 2015 (4,4 %) mais également pour 2016 (5,3 %).

2 – Le manque de liquidité sur le marché obligataire et également certains « trackers », ce qui n’était pas intuitif avec les politiques monétaires de taux à 0. C’est un sujet que nous avions déjà évoqué dans ces colonnes l’année dernière. Au cours de ces dernières semaines nous avons en effet constaté d’importants manques de liquidités sur des papiers obligataires, qui peuvent ainsi perdre plusieurs figures à la moindre nouvelle négative. Ce phénomène nouveau a deux explications principales à notre avis :

  • Les politiques d’achat d’actifs des Banques Centrales (QE) : elles ont pour effet de compresser les taux et les spreads à l’extrême, si bien que les retours peuvent être très violents, tous les investisseurs raisonnant de façon identique en cherchant « du rendement à tout prix »…
  • D’autant plus que les Banques ne sont plus présentes dans l’activité de « Market Making » car elles souhaitent réduire la taille de leurs bilans pour des raisons réglementaires. Avant, elles avaient l’opportunité de se mettre « en face des excès ponctuels » de marché et de garder les positions dans leurs « Books ». Concernant les trackers, il y a eu cet été des écarts significatifs de cotation par rapport à la valeur de leurs sous-jacents. L’exemple le plus marquant concerne un tracker S&P 500 (ce qui n’est pas très exo- tique !) qui a été coté ponctuellement avec une décote de près de 20 % ! Cet incident n’a pas eu de conséquences majeures, mais il montre que ce type d’investissement peut être risqué, particulièrement dans le cas de trackers investis sur des sous-jacents peu liquides, comme par exemple les obligations « High Yield ». Tout ceci montre que la valeur de l’analyse fondamentale va devenir de plus en plus importante : elle peut permettre de conserver ses positions, voire de tirer parti de trous d’airs éventuels.

À cela s’ajoute un contexte géopolitique assez troublé alors que la gouvernance mondiale est loin d’être optimale : désaccords profonds sur la gestion de la Syrie/EI, sortie de l’Iran de son isolement, explosion de fait de l’OPEP, coordination pitoyable des pays européens dans la gestion du cas grec, puis de la question des migrants…

Stratégie d’investissement

– Economie

Nous envisageons un scénario de croissance modérée autour de 3 % et ne croyons pas à l’éventualité d’un grave ralentissement : la faiblesse des taux d’intérêt en occident et des matières premières, soit deux carburants essentiels à l’économie, constitue un facteur de soutien. Nous ne croyons pas non plus à un « hard landing » en Chine : comme dans beaucoup de pays, la Chine est à deux vitesses : le secteur industriel, qui est certes en décélération marquée, mais le secteur tertiaire représente plus de 50 % du PIB désormais et a un taux de croissance de plus 10 %, ce qui fait au moins une expansion de5%!

– Taux d’intérêt

Le contexte de faibles taux d’intérêt va donc probablement se poursuivre globalement au cours des prochains mois. Il peut cependant y avoir une petite remontée des rendements car les effets de base à la baisse de l’inflation vont s’estomper au cours des prochaines semaines.

Dans ces conditions, l’écartement des spreads constitue une opportunité d’investissement, notamment sur le segment « High Yield », aux réserves près évoquées concernant la liquidité.

Concernant les obligations et les devises émergentes, la décision de la Fed de ne pas relever ses taux directeurs a provoqué un vif rebond de pratiquement toutes les devises émergentes. Ce rebond n’est peut-être que ponctuel et constitue une correction dans une tendance de moyen terme très baissière. Nous pensons que le timing d’investissement sur cette classe d’actifs sera très intéressant d’ici quelques mois.

– Actions

Nous préférons les actions européennes qui présentent un ratio rendement des dividendes/valorisation très convenable. Les premières publications de résultats sont convenables, même si les chiffres d’affaires sont plutôt stables. Mais pour la première fois depuis 4 ans, on pourrait avoir une progression en masse des bénéfices, comprise entre 10 et 15 %. À court terme, il y a eu des excès à la baisse des valeurs cycliques industrielles et il y a un potentiel de rebond. À plus long terme, la persistance de taux d’intérêt très bas devrait une fois de plus favoriser les valeurs de croissance « lisibles » et favoriser globalement un mouvement d’expansion des valorisations. Les actions américaines sont plus chèrement valorisées et beaucoup d’observateurs soulignent leur niveau excessif historique- ment… Une stabilisation apparaît être le scénario le plus vraisemblable, nous ne voyons pas de catalyseur de très forte correction. Un trading range de 10/15 % semble possible au cours des prochains mois. Mais dans tous les cas, et compte tenu de la configuration de marché actuelle, nous voulons insister sur deux points : il faut acheter des actions en pouvant supporter des phases de volatilité et il faut privilégier la sélection des titres plutôt que l’achat de trackers. Concernant les actions émergentes globalement, comme sur les obligations, la tendance reste baissière à l’exception des actions chinoises : elles sont revenues à des niveaux de valorisation attractifs après leur baisse de 40 % mais, là aussi, il faut pouvoir encaisser des chocs de volatilité !