Le risque politique levé

par Jean-Jacques Friedman, Directeur des Investissements chez VEGA Investment Managers

Contrairement au dimanche 23 avril, il n’y avait pas beaucoup de suspense pour ce second tour de l’élection présidentielle et le marché avait déjà largement anticipé la victoire d’Emmanuel Macron. Cependant, cette campagne électorale s’est révélée particulière tant elle a suscité l’attrait non seulement des politiques mais également des investisseurs du monde entier qui, pendant plusieurs semaines, ont eu les yeux rivés sur la France ; les réactions politiques ont donc été nombreuses cette nuit et ce matin.

Les marchés européens cependant, qui ont gagné plus de 10 % depuis le début d’année, ouvrent quasiment à l’équilibre, et même l’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne (qui s’était fortement contracté voici quinze jours, à la suite de l’absence de deux candidats anti-européens), n’évolue plus. Le risque politique, omniprésent durant toute l’année 2016, a ainsi été levé, et les marchés se focaliseront dorénavant davantage sur les résultats économiques des entreprises.

La question posée début 2017 était que l’élément politique pourrait peut-être, au contraire des années précédentes, être perçu comme une opportunité en Europe, notamment au travers du cas français où l’incapacité à réformer est un thème récurrent des investisseurs internationaux. Pour ce faire, et si cette opportunité devait se cristalliser, les premières semaines de l’entrée en fonction d’Emmanuel Macron seront capitales. Non seulement il ne disposera pas d’un état de grâce, mais ses premières décisions, avant même les élections législatives, seront guettées (nomination du Premier ministre et du gouvernement provisoire, et désignation des 577 candidats d’En Marche).

La situation du nouveau Président est en effet paradoxale : la « dynamique Macron », davantage qu’un socle réel d’électeurs, pourrait engendrer le cercle vertueux souhaité par les investisseurs internationaux. En effet, selon les sondages réalisés au sortir des urnes, 43 % de ses électeurs mettent en avant l’homme politique qu’il est devenu si rapidement, mais seuls 16 % des votants approuvent réellement ses propositions, et 33 % des personnes interrogées ont mis en avant le renouvellement d’une classe politique plus jeune, en dehors des clivages traditionnels. La frange restante des électeurs souhaitait simplement éviter la victoire du Front National. Ainsi, pour les élections législatives, malgré la dynamique que peut engendrer sa victoire, beaucoup de simulations indiquent une absence de majorité absolue pour le parti En Marche, avec sans doute une présence très forte des Républicains au second tour. A noter que des résultats assez faibles sont attendus pour les partis extrêmes.

La politique d’Emmanuel Macron durant les cent premiers jours se situera donc sur cette ligne de crête : avancer rapidement sur les réformes du marché du travail, sans doute par ordonnance dès cet été afin d’éviter les fortes manifestations sociales qui sont attendues, en donnant en parallèle des gages comme « contrepoids social » au travers d’une réforme de l’assurance chômage et de mesures, comme par exemple la réduction du nombre d’enfants par classe dans certaines zones d’éducation prioritaire, et la moralisation de la vie publique.

Ainsi, les investisseurs ont perçu favorablement le modèle social libéral européen du candidat Macron mais les mesures de son programme ne pourront se déployer immédiatement, comme nous venons de le voir. La baisse des impôts des entreprises avec des réductions de charge, favorable à des secteurs comme la santé ou la distribution, et un taux d’imposition de 25 % à l’horizon de 2022 resteront néanmoins dans l’œil de mire des marchés, si le nouveau Président réussit ses cent premiers jours.

Quelles conséquences sur les marchés financiers ?

Les marchés se focaliseront dorénavant sur les bénéfices par action des entreprises et sur le retour des flux de capitaux internationaux vers les marchés européens. Rappelons que les investisseurs étrangers, et notamment anglo-saxons, avaient, durant les mois précédent l’élection, une lecture très différente du risque politique français de celle des gestions domestiques. Désormais, la position européenne devrait apparaitre plus forte, avec un front uni face à la Grande Bretagne, et notamment face à la Première ministre, Theresa May. Celle-ci devait adopter elle-même une ligne plus dure grâce au soutien parlementaire (les élections législatives auront lieu à la surprise générale le 8 juin). Le couple franco-allemand est perçu également comme renforcé et diverses initiatives de la Commission européenne tentent d’améliorer en parallèle la perception du cadre européen.

De plus, Emmanuel Macron, au contraire de la situation trouvée par son prédécesseur en 2012, devrait bénéficier d’une dynamique macroéconomique plutôt positive. Tout d’abord, et cela a été notable au cours de la campagne électorale, la question de l’assainissement budgétaire (du fait sans doute de la forte baisse des taux depuis 5 ans) ne revêt plus le même degré d’urgence qu’au début de la précédente mandature. Ensuite, l’output gap, c’est-à-dire le retard accumulé entre la production réelle française et son potentiel, est estimé entre 3 % et 4 %. Cela signifie qu’en dehors même du programme que souhaite mettre en œuvre le nouveau Président, et qui pourrait accroître la croissance française (baisse des charges sociales, réforme et unification de l’assurance chômage directement gérée par l’État, réforme du code du travail plus profonde que la loi El Khomri, baisse du taux d’imposition sur les sociétés à 25 %…), un organisme comme l’OCDE estime que le rattrapage d’une partie de cet output gap permet d’anticiper une croissance de l’ordre de 1,7 % par an. Or, nous constatons qu’avec un tel niveau de croissance, les résultats des sociétés européennes ressortent nettement en hausse et sont attendus avec une progression de 12 % à 15 % pour 2017.

La hausse depuis le début d’année n’a donc pas entamé le potentiel d’amélioration sur les prochaines années en France et en Europe, qui pourra se développer si le cycle de croissance américain (débuté il y a huit ans) ne s’achève pas et si les déséquilibres chinois liés à l’endettement sont bien gérés. Les investisseurs considèrent à horizon de quelques trimestres qu’il est trop tôt pour que ces deux risques se matérialisent.

Dans ce cadre, une correction technique sur les marchés européens, après la forte progression de ces quinze derniers jours, constituerait de nouveau un point d’entrée.