Le scénario le plus probable aujourd’hui n’est pas la dislocation de la zone euro

par Sylvain Broyer et Jésus Castillo, économistes chez Natixis

Sur les onze pays de la zone euro qui présentent aujourd’hui un fort déficit courant, la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Irlande se distinguent comme étant les plus grands. Le financement de ces économies intéresse donc plus particulièrement.

La dette extérieure de ces quatre pays cumule près de 4 200 Mds EUR soit quelques 45% du PIB de la zone euro et son service absorbe environ 420 Mds EUR annuels, 4,5% du PIB de la zone euro. La maturité de cette dette n’est pas renseignée dans les statistiques de la Banque Mondiale.

La dette extérieure de ces pays est de composition différente : d’origine essentiellement bancaire en Irlande, au Portugal, majoritairement bancaire en Espagne, elle est faite pour moitié de dette publique en Grèce.

Qui finance cette dette ?

La vraie question que pose la clause du « No bail out » dans le Traité européen (article 103) est en fait l’origine du financement de cette dette.

Si les statistiques publiques présentent des lacunes en ce domaine, une réponse indirecte peut être trouvée en regardant la détention des titres de dettes par les non résidents qu’offrent les statistiques du FMI.

Elles suggèrent que la dette extérieure de marché de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne est essentiellement détenue par les autres membres de la zone euro, et très largement par la France et l’Allemagne. Il y a donc eu un simple transfert de l’épargne entre pays de la zone euro, entre les membres d’une même famille.

Ce constat amène trois conclusions :

  • Les capitaux étrangers ne risquent pas de déserter massivement la zone euro en cas de fuite devant les dettes grecques, espagnoles, irlandaises ou portugaises ;
  • les difficultés actuelles que rencontrent ces économies concernent la zone euro dans son ensemble, la France et l’Allemagne en particulier, en tant que créanciers principaux.
  • les considérations de commerce extérieur (réintroduction d’un risque de change avec les principaux partenaires) revêtent une importance de second plan dans cette question.

Quelle(s) solution(s) ?

En tant que créanciers principaux, les pays membres de l’UEM ne peuvent donc que chercher une solution commune au déficit d’épargne des autres, dans le cas hypothétique où celui-ci se dramatise.

La mobilisation du FMI, non membre de la famille, n’a donc pas de sens aujourd’hui (la Grèce, L’Irlande et le Portugal pourraient lever un peu moins de 10 Mds EUR chacune, l’Espagne 35 Mds EUR d’aides de ce côté).

Rappelons que malgré la clause de « No bail out », et bien que ce ne soit pas aisé, le Traité permet d’esquisser une solution solidaire au niveau de l’UE. L’article 100.2 édicte que « lorsqu’un Etat membre connaît des difficultés […], le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière communautaire à l’Etat membre concerné ».

Une difficulté supplémentaire est donnée par le fait que toute cette dette n’est pas publique. La dette corporate de ces pays ne sera très certainement pas aidée. La dette bancaire, partiellement garantie par le gouvernement, très largement en Irlande, le serait en revanche plus logiquement, voire prioritairement.

Diverses solutions sont envisageables :

  • Le rééchelonnement de la dette sous conditions budgétaires fortes ;
  • Une aide de la Banque Européenne d’Investissement ;
  • Des achats de dette publique par des agences publiques de la zone euro (KfW, CDC, …), pour que les pays en difficulté puissent continuer à rouler leur dette ;
  • Une émission obligataire en nom de l’Europe ;
  • Des mesures supplémentaires de la BCE.

Leur réalisation trouve les obstacles suivants :

  • La BCE ne peut ni monétiser la dette publique, ni favoriser un quelconque pays membre par rapport aux autres, ni prendre de risque majeur de crédit au bilan. Elle peut pourtant faire beaucoup, assez simplement : 1/ prolonger l’abaissement temporaire du seuil minimum de notation pour les dettes éligibles au-delà du 31 décembre 2010, pour garantir l’intérêt des marchés envers les titres grecques ; 2/ étendre le programme d’achat d’obligations sécurisées pour permettre aux banques grecques de se refinancer à moindre coût sur le long terme (National Bank of Greece a émis 1 Md EUR d’obligations sécurisées Jumbo, les banques espagnoles sont des émetteurs traditionnels de ce segment ; les banques irlandaises y sont également présentes). 
  • Une émission de l’Europe en nom propre se heurte aux ressources financières de l’UE dont le budget ne représente que 1% du revenu national brut et à qui il est interdit de faire un déficit. Il faudrait donc mobiliser des ressources supplémentaires pour payer le coupon d’une telle émission. Se poserait alors le problème de la clef de financement de cette obligation par les différents pays de l’UE (selon le PIB des Etats, la population, les droits de vote au Conseil ?) : la solution est politique.
  • La Banque européenne d’investissement dispose de deux programmes d’aides. Les « direct loans » n’octroient de lignes de crédit que pour des projets d’investissement (25 Millions EUR). Les « Global Intermediated loans » sont destinés à financer des crédits bancaires, pas à rouler la dette des banques. Ces contraintes laissent peu de place à une aide ad hoc.
  • Le rééchelonnement de la dette serait une alternative probable. La nouveauté consisterait à ne pas l’asseoir sur des bases bilatérales mais au niveau de l’Union Européenne après mobilisation de l’article 100.2. Les conditions budgétaires associées resteraient alors à inventer. Le volet sanction du Pacte de Stabilité et de Croissance qui prévoit des amendes non récupérables n’est en tous cas pas adapté au problème actuel.

Si la solution nécessite des innovations institutionnelles, nous sommes loin d’entrer en terre inconnue :

  • La BCE dispose de tous les outils nécessaires pour aider au refinancement de la dette extérieure bancaire et souveraine de ces pays encore très longtemps comme on l’a vu ;
  • Sur le plan du budget public, en théorie, l’Allemagne, déjà confrontée à semblable situation dans un passé récent5, offre des pistes de réflexion sur ce qui pourrait être fait au niveau européen afin de garantir 1/ des recettes suffisantes à l’équilibre budgétaire des différents Etats membres, 2/ une procédure d’entre-aide systématique et 3/ une procédure d’urgence budgétaire. Un fédéralisme fiscal se dessinerait alors.  Est-ce crédible au niveau européen ?

En tous les cas, quelque forme il prenne, un tel règlement solidaire ferait jurisprudence. L’Europe avancerait non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan économique en améliorant le degré d’optimalité de l’Union monétaire : peut-être une bonne nouvelle.

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