Les éléments clés du référendum italien

par Bastien Drut et Valérie Letort, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

La nouvelle Constitution a été votée par les deux chambres le 20 janvier 2016 au Sénat et le 12 avril 2016 à la Chambre des Députés. Mais la majorité des deux tiers n’a pas été atteinte. En vertu de l’article 138 de la Constitution actuelle, un référendum doit être organisé afin de valider cette nouvelle Constitution.

Que prévoit la réforme de la constitution italienne ?

C’est la réforme la plus importante depuis l’abandon de la monarchie. Elle prévoit :

  1. Une nouvelle loi électorale pour la Chambre des députés : l’Italicum, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2016. La loi électorale votée par les Chambres en mai 2015 comporte toujours un scrutin proportionnel, mais — fait inédit ! — elle prévoit deux tours. Tous les partis participent au premier tour de l’élection ; ceux qui ont reçu au moins 3 % des voix seront représentés à la Chambre des députés. Le second tour a lieu si aucun des partis n’a obtenu 40 % des voix au premier tour. Dans ce cas, les deux partis qui ont obtenu le plus de voix s’affrontent. Le parti qui gagne au premier tour avec au moins 40 % des voix, ou qui gagne tout court au second tour, reçoit automatiquement 54 % des sièges à la Chambres des députés. Cette nouvelle loi électorale n’est pas soumise à référendum.
  2. Une réforme territoriale visant à simplifier l’organisation territoriale, renforcer l’exécutif et à recentraliser certaines compétences au profit de l’État. Les domaines de l’énergie, des infrastructures stratégiques et de la protection civile reviennent à l’État, et la Chambre des députés pourra à l’avenir légiférer sur les compétences des régions.
  3. Une réforme du Sénat pour mettre fin au bicaméralisme égalitaire, c’est-à-dire à l’égalité des pouvoirs des deux chambres qui peuvent toutes les deux renverser le gouvernement et voter des projets de Loi. La composition, le mode d’élection et les compétences du Sénat seraient modifiés.
  • Le Sénat ne compterait plus que 100 membres au lieu de 321, élus pour 5 ans au scrutin proportionnel par les conseillers régionaux et non plus au suffrage universel direct. 
  • Les sénateurs ne bénéficieraient plus d’indemnités parlementaires, au motif qu’ils percevraient des indemnités au titre de leur mandat local, étant conseillers régionaux (74), maires (21) ou anciens présidents. Le Sénat assurerait ainsi le lien entre l’État et les collectivités territoriales.
  • Le Gouvernement ne serait plus responsable devant le Sénat et ce dernier ne voterait plus la confiance au Gouvernement. Il n’exercerait plus une compétence législative paritaire avec la Chambre des députés que pour certains domaines précis. Dans les autres cas, le Sénat pourrait décider d’examiner les textes pour avis mais la Chambre des députés aurait le dernier mot.
  • Les compétences du Sénat seraient recentrées sur l’évaluation des politiques publiques, le contrôle de l’application des lois, les affaires européennes et les questions relatives aux collectivités territoriales.

Quand ?

Cette date a été reportée à plusieurs reprises, la période du 15 novembre au 5 décembre est annoncée.

Quels sont ses enjeux ?

  • La stabilité politique italienne à court terme: Matteo Renzi a fait de ce référendum un test de soutien de la population à son action en déclarant qu’il démissionnerait en cas d’échec.
  • La stabilité politique italienne à moyen et long terme grâce à l’instauration d’une nouvelle constitution visant cet objectif.
  • Au-delà de la stabilité politique, c’est la santé de l’économie italienne qui est en jeu. Pour rappel, après 3 années de récession, l’Italie a retrouvé le chemin de la croissance avec 0,8 % en 2015 mais est encore à la traîne, notamment par rapport à l’Espagne. L’instabilité politique freine clairement l’adoption de mesures structurelles.

Y a-t-il un problème d’instabilité gouvernementale en Italie ?

Depuis 1946, la durée moyenne d’un gouvernement est d’un peu plus d’un an environ, et le record de durée n’est que de 3 ans et 10 mois. Aucun gouvernement n’est parvenu à atteindre la durée « normale » de la législature qui est de 5 ans. 63 gouvernements se sont succédé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. 
En 2013, les élections n’avaient produit aucun vainqueur clair mais uniquement des vaincus et le Président de la République de 88 ans avait été obligé de rester au pouvoir malgré la fin de son mandat (Giorgio Napolitano) face à l’incapacité des parlementaires à lui désigner un successeur. Il démissionnera une fois le gouvernement Renzi en place.

A quoi est due cette instabilité gouvernementale ?

Les pouvoirs donnés aux deux assemblées fragilisent l’exécutif (le gouvernement), responsable devant elles deux. En France ou en Allemagne par exemple, seule la chambre des députés vote la confiance au gouvernement, et la chambre haute a un pouvoir législatif distinct. 
Un suffrage des chambres à la proportionnelle oblige aux coalitions et aux compromis, par nature instables. Le suffrage proportionnel, étant de plus régional pour le Sénat, favorise l’émiettement. 
Cette réforme apparaît donc nécessaire pour faciliter la stabilité gouvernementale. 
Par ailleurs, le risque d’instabilité politique est exacerbé par la montée dans l’opinion publique, comme dans plusieurs pays d’Europe, des partis populistes et/ou eurosceptiques. L’Italie comporte aujourd’hui 5 millions de pauvres (c’est- à-dire dont le revenu mensuel pour deux personnes est inférieur à 1 050,95 €), et le Mouvement 5 étoiles, qui promet l’instauration d’un revenu citoyen de 780 € par mois, est en pleine ascension. Les jeunes maires de Rome et Turin, élus en juin, appartiennent à ce parti politique.

Que disent les sondages ? 


Au départ, les sondages donnaient le « oui » gagnant mais le « oui » et le « non » se tiennent désormais dans un mouchoir de poche depuis la fin juin. La part des indécis est encore très importante, aux alentours de 35 % des sondés 
Le référendum est devenu une sorte de plébiscite pour ou contre Matteo Renzi, du fait de sa déclaration du 12 mars 2015 selon laquelle il démissionnerait en cas de défaite. Le problème pour lui est que son parti (le PD, Parti Démocrate) a été mêlé à plusieurs affaires de corruption touchant aussi bien des élus régionaux (comme les maires de Rome ou de Lodi) que des membres du gouvernement (la Secrétaire d’État à la culture, la Ministre du Développement industriel) et qu’il n’incarne plus le renouveau politique auquel il était associé à son arrivée au pouvoir. Par exemple, les nouveaux maires de Rome et Turin sont plus jeunes que lui en âge et en termes d’expérience politique. 
Une coalition contre-nature entre la droite d’opposition, le Mouvement 5 étoiles, un parti populiste, et la Ligue du Nord, un parti Régional, s’est créée pour défendre le « non ». La Ligue du Nord est en faveur d’un « Italexit » (sortie de l’Italie de l’Union Européenne). Le Mouvement 5 étoiles est, lui, hostile à l’euro. Le 22 juin, son leader Beppe Grillo a indiqué qu’il souhaitait un référendum sur l’euro.

Que peut-on attendre ?

Matteo Renzi a commencé à recentrer le débat sur les questions de fond et à le dépersonnaliser. Il a par exemple déclaré le 21 mai « Les Italiens doivent 
savoir que ça n’est pas la réforme d’une seule personne mais une réforme qui aidera l’Italie » et plus récemment, le 21 août : « les élections générales auront lieu en 2018, quelle que soit l’issue du référendum ». Il a également dit que si la réforme passait, le gouvernement pourrait injecter 500 millions d’euros dans un fonds anti-pauvreté avec les économies réalisées avec la réduction du nombre de législateurs. Renzi essaie en parallèle de faire adopter par les instances européennes un plan « anti-pauvreté et grand travaux ». Il peut donc réussir à renverser l’opinion publique mais l’issue du scrutin reste extrêmement incertaine.

Une victoire du « oui », même courte, serait très positive pour Matteo Renzi, car elle signifierait l’adoption d’une réforme phare de son programme et marquerait la vie politique italienne sur le long terme. Au-delà de cela, une victoire du « oui » serait très positive en ce qui concerne le sentiment des investisseurs vis-à-vis de l’Italie. Dans ce cas, les effets sur le risque souverain et sur les spreads devraient être positifs (en baisse).

En cas de victoire du « non », une démission de Matteo Renzi serait possible. Deux solutions seraient envisageables: 1) soit le président de la république Sergio Mattarella refuse sa démission, 2) soit il propose à un nouveau membre du Parti Démocrate de former un gouvernement. En effet, ce dernier pourrait être tenté d’éviter la tenue de nouvelles élections, qui seraient extrêmement périlleuses. En effet, si des élections générales étaient tenues aujourd’hui, le Parti Démocrate et le Mouvement 5 étoiles finiraient largement en tête au premier tour, sans toutefois obtenir 40 % suffrages. Au second tour, les sondages donneraient gagnant le Mouvement 5 étoiles. Notons que le Mouvement 5 étoiles a connu une accélération dans les sondages suite au vote des Britanniques sur le Brexit. Au passage, notons que le vétéran de la scène politique italienne Silvio Berlusconi n’aurait pas intérêt à des élections anticipées car son parti ne tourne qu’à environ 10 % des intentions de votes alors qu’il avait obtenu 29,5 % des suffrages lors des élections générales de 2013.

À la lumière des sondages sur les prochaines élections générales, les conséquences de la victoire du « non » sur les marchés obligataires seraient très différentes selon que de nouvelles élections soient convoquées ou non :

  • Sans nouvelles élections (le plus probable), l’effet sur les spreads serait vraisemblablement de courte durée et rapidement annihilé par la puissance du PSPP de la BCE. Fin juillet, l’Eurosystème avait déjà acheté pour 156 Mds € de dette italienne dans le cadre de ce programme et continuera d’en acheter pour environ 12 Mds € par mois.
  • Avec de nouvelles élections, la perspective d’un gouvernement dirigé par le Mouvement 5 étoiles serait certainement très mal perçue par les marchés. Rappelons que l’Italie est le pays de la zone euro pour lequel l’attachement des citoyens pour la devise commune est le plus faible. L’issue d’un référendum sur l’appartenance à l’euro serait très incertaine.