Les banques centrales vont-elles provoquer une crise ?

Et si les banques centrales, avec leurs politiques monétaires extrêmement généreuses, étaient en train de réunir tous les éléments en vue d’une nouvelle crise financière ? Force est de constater que l’économie mondiale ne repart toujours franchement et que des bulles spéculatives se forment.
 
Ce scénario n’était partagé jusqu’ici que par des « contrarians », ces investisseurs tentant de prendre le contre-pied des institutions. Mais, Mervyn King, qui fut gouverneur de la Banque d’Angleterre de 2003 à 2013, vient de rejoindre le camp de ceux qui redoutent le pire. 
 
« Nous ne savons pas d’où elle viendra, mais une nouvelle crise financière est probable  », a-t-il déclaré dans un entretien au journal Le Monde. « Nous avons apporté le plus important stimulus monétaire que le monde a jamais connu. Et pourtant, la reprise économique mondiale est très faible. » 
 
C’est bien là le problème : les banques centrales ne cessent de créer de la monnaie, en rachetant pratiquement tous les titres disponibles, et rien ne se passe. La situation est d’autant plus problématique que le mouvement monétaire expansionniste est à l’œuvre dans de nombreux pays : Zone euro, Etats-Unis, Japon, Norvège, Indonésie, Hongrie…
 
Signe d’inquiétude, le Fonds monétaire international (FMI) n’a pas exclu, le 10 mars, de réviser à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2016 et 2017. Il les avait déjà abaissées, en janvier, de 0,2 point par rapport aux données d’octobre précédent à respectivement 3,4% et 3,6%.
 
Pour Julien Marcilly, économiste en chef de Coface, « l’économie mondiale a tendance à se japoniser. » Confronté à une déflation, le Japon a utilisé de tous les outils possibles – taux négatifs, liquidités abondantes, etc. – sans parvenir à relancer durablement sa croissance économique.
 
Serions nous dans une situation de « trappe monétaire ». Plusieurs économistes soulignent les effets pervers de la stratégie actuelle des banques centrales. Les politiques d’assouplissement quantitatif ont tendance à orienter les taux d’intérêt à la baisse dans le but avoué de forcer les entreprises et les ménages à investir et à consommer en profitant de l’argent « pas cher ». Mais ce raisonnement ne tient pas compte de deux éléments : l’économie mondiale est en situation de surcapacités et la crainte de la déflation pousse les agents économiques à thésauriser.
 
La politique monétaire n’a pas aucun effet sur le dynamisme économique. A l’inverse, elle favorise les placements financiers. Les marchés applaudissent du reste à chaque annonce de nouvelles mesures de QE.
 
La question est de savoir si cela peut déboucher sur une crise. Comme le rappelle Jean Marcilly, « Déjà en 2008, beaucoup avaient mis en avant la politique d’Alan Greenspan », président de la Réserve fédérale d’août 1987 à janvier 2006, dans les événements ayant conduit à la crise de 2007-2008. « Quand on est face à une crise, on ne sait pas faire autre chose que baisser les taux même si on sait que ça crée de la volatilité. Il faudra s’y habituer », explique l’économiste en chef de Coface.
 
Comment la prochaine crise pourrait-elle débuter ? Bien malin qui pourrait répondre à cette question. Comme on le dit souvent sur les marchés financiers, on sait qu’il y a une bulle une fois qu’elle a éclaté.
 
Plusieurs stratégistes citent cependant les banques. Même si celles-ci ont fait beaucoup d’efforts depuis la débâcle de Lehman Brothers, en 2008, pour assainir leurs bilans et réduire leurs risques, elles suscitent de nouveau des interrogations, en raison notamment de leur exposition au secteur des matières premières alors que les prix du pétrole au fortement chuté au cours des dernières années. Que se passerait-il si plusieurs compagnies pétrolières faisaient faillite ? Les banques pourraient-elles absorber le choc ?
 
Les grandes banques ont cherché à rassurer en expliquant que leurs prêts accordés au secteur énergétique étaient très limités par rapport à leur bilan. Mais beaucoup d’investisseurs ont toujours des doutes. L’indice des banques en Europe accuse une baisse de 10% depuis le début de l’année.
 
Aux Etats-Unis, c’est le secteur technologique qui suscite des questions. Les entreprises concernées ont toujours bénéficié de ratios de valorisation plus élevés que les autres. Mais, après une formidable chevauchée (Tesla a gagné 417% en trois ans, Facebook 350%, Amazon 125%, etc.), les stars de la cote sont à la merci d’un ralentissement prononcé de l’économie américaine. Et une correction boursière aurait des conséquences négatives sur « l’effet richesse », qui pèserait sur le moral des consommateurs.
 
Peut-on éviter une crise ? Le système capitaliste fonctionne par cycle. Après une phase d’expansion, il y a toujours un coup d’arrêt. Compte tenu de l’excès de liquidités et des valorisations boursières élevées, on peut penser, comme Mervyn King, qu’une crise est plus que probable.