Les banques : le maillon faible de la reprise européenne

par Valentine Ainouz, Stratégie et Recherche économique, et Yasmine De Bray, Analyse Actions chez Amundi

Le scepticisme des investisseurs quant aux perspectives du secteur bancaire européen s’est traduit par une sous-performance très nette de ce secteur sur les marchés financiers. L’indice Euro Stoxx Banks a perdu plus de 25 % depuis le début de l’année. Sur le marché obligataire, les émetteurs financiers IG ont également sous-performé. Comment expliquer cette réaction? Pour Mario Draghi, cette sous-performance ne peut être uniquement attribuable à la politique de la BCE : « les problèmes des banques ne se résument pas à une problématique de taux bas ».

Une autre réponse aurait été surprenante de la part de la banque centrale. Rappelons que l’objectif officiel est de relancer l’inflation en restaurant les canaux du crédit pour favoriser l’investissement et, in fine la reprise économique. Dans cet article, nous analysons les fondamentaux du système bancaire européen et les répercussions de la politique monétaire ultra-accommodante.

1. Un renforcement des ratios de solvabilité et de liquidité depuis la crise souveraine

Le secteur financier s’est globalement assaini depuis la crise de 2007 grâce à (1) des contraintes réglementaires plus strictes et (2) un soutien sans précédent de la BCE.

L’après-crise de 2007 se caractérise par un renforcement et une transformation du cadre réglementaire des institutions financières.

* La réforme de Bâle III s’inscrit dans cette approche et vise à renforcer
les exigences de liquidité (à court et moyen terme) et de renforcement
des fonds propres. Pour rappel, la solvabilité d’une banque se mesure par
le ratio « Common Equity Tier 1 » (ou CET1) qui correspond au montant des
fonds propres jugés solides divisé par celui des actifs pondérés des risques
(Risk Weight Asset ou RWA). Les accords de Bâle III ont redéfini les critères d’éligibilité des fonds propres et augmenté à 8 % le niveau minimal exigé du CET1. Pour respecter cette nouvelle réglementation, les banques de la zone euro ont considérablement amélioré leur bilan. Les ratios moyens CET1 des plus grandes institutions financières de la zone euro atteignaient 13 % à la fin de 2015 contre seulement 7 % en 2008 (source: BCE).

* Les plus grandes banques devront également respecter un nouveau ratio de solvabilité, le « Total Loss Absorbing Capital » (TLAC). Trente banques dans le monde sont concernées, parmi lesquelles 16 banques européennes. Ce nouveau ratio réglementaire a été établi par le Conseil de stabilité financière (FSB), une instance qui émane du G20. L’objectif est que les banques d’importance systémique disposent d’une capacité totale d’absorption des pertes en cas de défaillance afin (1) de ne pas générer de risque systémique et (2) d’éviter le recours à l’argent public dans le cadre de recapitalisation massive. Les instruments composant le TLAC doivent pouvoir être liquides, valorisables et sans risque de contestation légale. Le FSB a retenu: les fonds propres durs (CET1), les instruments de dettes subordonnées (AT1, Tier2) et certaines dettes seniors. Le TLAC prévoit d’imposer aux banques, à compter de 2019, un matelas de fonds propres et d’instruments assimilés qui viendrait représenter 16 % à 18 % du total de leurs actifs pondérés des risques (RWA).

* Autre grand changement du cadre réglementaire : le bail-in ou « renflouement interne ». Ce principe est rentré en application en janvier 2016 par les instances européennes dans le cadre de l’Union bancaire. Rappelons que l’Union bancaire a été créée en Europe pour corriger les insuffisances du système financier européen et une interdépendance trop forte entre banques et États. L’objectif est de mettre fin au « bail-out » favorisé pendant la crise qui permettait en cas de défaillance d’un établissement de crédit de faire appel à l’épargne publique. Les accords du « bail-in » prévoient de solliciter en cas d’insuffisance des capitaux propres suite à des pertes, en priorité les actionnaires et détenteurs de capital réglementaire, les créanciers détenteurs de dettes subordonnées puis de dettes seniors et enfin les dépôts non garantis.

Les mesures inédites mises en œuvre par la BCE ont fortement contribué à l’amélioration de la liquidité des banques. Les opérations de refinancement à volume illimité et à plus long terme ont permis aux banques de surmonter les périodes de crises fin 2011 et début 2012. En outre, la BCE a élargi considérablement le spectre de garanties exigées en échange de ses prêts afin de garantir l’accès à ses financements aux banques en difficultés. Les banques périphériques restent encore très dépendantes du financement BCE. À l’opposé, les réserves excédentaires essentiellement déposées par les banques des pays du cœur (Allemagne, France et Pays-Bas notamment) auprès de la BCE ont franchi le seuil des 1000 Mds d’euros! Ce niveau record s’explique en grande partie par la politique d’achat d’actifs de la BCE. Les liquidités injectées via les achats de titres restent en partie sur les comptes bancaires des acteurs économiques et sont finalement déposées par les banques auprès de la BCE.

Au final, la solvabilité, la liquidité et la structure de financement des banques se sont significativement renforcées pour respecter les nouvelles contraintes réglementaires. La situation est radicalement différente de celle de 2008: le secteur bancaire européen ne souffre pas aujourd’hui d’un problème général de solvabilité/ liquidité mais doit faire face à un problème diffus de rentabilité. Il convient de noter que des poches de sous-capitalisation persistent dans les pays périphériques.

2. Un problème diffus de rentabilité

L’environnement de taux bas pèse sur la rentabilité de l’activité de prêt et de dépôts. La marge nette d’intérêt (différence entre les revenus et les charges d’intérêt) est pénalisée par le niveau historiquement bas des taux. La très faible pente de la courbe des taux prive les banques du gain de transformation entre les différentes maturités, qui constitue le fondement de l’activité de banquier. Il convient de noter que toutes les banques de la zone euro n’affichent pas la même sensibilité à cette baisse des taux. Cette sensibilité dépend du :

* volume de dépôts par rapport aux crédits. Après la crise de 2008, les banques ont réduit leur dépendance à l’égard des marchés en augmentant la proportion de financement via les dépôts bancaires. Par ailleurs, la détention de dépôts coûte de l’argent aux banques car les liquidités déposées à la BCE sont grevées par la négativité du taux de dépôt (-0,40%). Le mécontentement des institutions allemandes est compréhensible. Elles disposent de réserves excédentaires très importantes. D’après la Bundesbank, la politique de la BCE a coûté 248millions d’euros aux banques allemandes en 2015; ce montant devrait être de l’ordre du milliard pour 2016.

* type de prêts (à taux variables ou à taux fixes). Les banques italiennes, espagnoles ou portugaises prêtent aux ménages pour leurs acquisitions immobilières à des taux variables indexés sur l’Euribor. Or, la baisse continue des taux monétaires réduit mécaniquement le montant des mensualités versées par les ménages.

La BCE conteste que sa politique monétaire ultra-accommodante a, in fine, fragilisé le système bancaire de la zone euro.

Mario Draghi a rappelé les effets bénéfiques des taux bas sur les banques: (1) plus-values en capital sur les portefeuilles obligataires, (2) amélioration de la solvabilité des emprunteurs et (3) augmentation des volumes de prêts. Que faut-il en penser ?

  1. Une part importante de la dette publique domestique est détenue par les banques – jusqu’à 22 % pour l’Italie. La chute des taux leur a permis de réaliser, ces dernières années, des plus-values substantielles. Avec un taux 10 ans allemand proche de 0 %, l’essentiel de mouvement de baisse des rendements est derrière nous !
  2. La baisse des taux a également allégé la charge de la dette des emprunteurs, améliorant de facto leur solvabilité et permettant aux banques de réduire les provisions sur les risques de non-remboursement de crédits.
  3. La dynamique de crédit bancaire dans la zone euro est restée anémique. Les banques ne peuvent se lancer dans une course au volume pour compenser la baisse de rentabilité : elle aboutirait in fine à une explosion du risque de crédit. Le niveau de marge sur les crédits distribués doit rester suffisant pour couvrir le coût du risque porté par les banques. 


Plus important, le président de la BCE, Mario Draghi a également récemment mis en cause les « surcapacités » dont souffre le secteur bancaire européen. Dans son nouveau rapport sur la stabilité financière, le FMI plaide également pour une réforme en profondeur du secteur bancaire européen afin de « s’adapter à cette nouvelle ère de croissance faible et de taux d’intérêt bas, ainsi qu’à l’évolution des marchés et du dispositif réglementaire » (GFSR, octobre 2016). Il convient de noter que cette stratégie nécessite du temps et s’implémente difficilement dans l’environnement actuel.

Ces pressions sur la rentabilité ajoutées aux exigences en fonds propres
de plus en plus fortes ont contribué à la forte chute du rendement des fonds propres. Le rendement des fonds propres de la plupart des grandes banques de la zone euro oscillent, dorénavant, autour de 5-10 % contre 15-
20 % dans les années 2000-2006. De nombreuses banques gagnent moins
que le coût des capitaux propres. Si cette situation perdure, les banques pourront difficilement augmenter leurs fonds propres, en cas de nécessité,
via les marchés actions.

3. Quels sont les risques pour l’investisseur obligataire ?

Ce n’est pas un hasard si les titres financiers sont malmenés en bourse : le manque de rentabilité des banques affecte directement les actionnaires (faibles perspectives de profits et de dividendes). Mais, dans quelle mesure les investisseurs obligataires peuvent-ils aussi être affectés?

* Les institutions financières de la zone euro détiennent un montant significatif de prêts non-performants qui inquiète les investisseurs. Il a atteint 950 Mds € à la fin de 2015 soit 7,1 % du total des encours de prêts. Ce ratio est élevé par rapport aux normes internationales et dépasse nettement ce que l’on peut observer aux États-Unis et au Royaume-Uni (source: BCE). Les prêts non- performants sont concentrés dans les pays de la périphérie: Grèce (34 % du montant total des prêts), Italie (18 %), Irlande (15 %) et Portugal (12,8 %).

* Cette situation est particulièrement préoccupante car ces banques pourraient rencontrer de plus en plus de difficultés pour renforcer leurs fonds propres via (1) une mise en réserve de leurs revenus (baisse des profits) ou (2) en levant de nouveaux capitaux (faible appétit du marché des actions).

* En cas d’échec d’une recapitalisation via les marchés, les investisseurs obligataires doivent, depuis le 1er janvier 2016, être mis à contribution pour recapitaliser la banque en difficulté. La dette subordonnée serait la première affectée.

Conclusion

Le niveau de solvabilité est un indicateur important pour l’investisseur obligataire mais largement insuffisant. L’investisseur obligataire doit être particulièrement vigilant sur la capacité d’une banque à dégager des profits pour reconstituer en cas de choc ses fonds propres. La meilleure source de fonds propres est la production de capital interne.

L’univers des titres bancaires offre aujourd’hui une décote sur les marchés financiers (actions, et taux). Quels sont les événements qui orienteraient favorablement la performance des titres bancaires?

  1. Une nouvelle orientation de la politique monétaire de la BCE qui favoriserait une (légère) pentification de la courbe de taux.
  2. Un assouplissement des contraintes réglementaires. Un contournement de la règle du « bail-in » ou une recapitalisation du secteur, en Italie, serait accueilli très positivement par les porteurs de dette obligataire subordonnée.
  3. Et à plus long terme, une amélioration significative de la conjoncture qui permettrait une croissance des revenus, facilitant la restructuration du secteur.

D’un point de vue macroéconomique, la capacité des banques à dégager suffisamment de ressources pour financer l’économie ne doit pas être affaiblie par le contexte de taux et les contraintes réglementaires toujours plus fortes. L’accumulation des fonds propres ne doit définitivement pas devenir une fin en soi.

ENCADRE – Les résultats des « stress » tests conduits sous l’égide de l’Autorité bancaire européenne (ABE) n’ont pas révélé de mauvaises surprises

Ces tests visent à vérifier si les grands groupes bancaires resteraient solvables à la suite de pertes liées à une profonde récession économique. Le scénario adverse couvre une période de trois ans et inclut une récession dans l’Union européenne de 1,2 % en 2016 et de 1,3 % en 2017.

Les tests de résistance démontrent que les établissements bancaires sont globalement en mesure d’absorber un choc sur trois ans, même si le bilan n’est pas glorieux. Ce sont les pertes liées au risque de crédit qui contribueraient le plus fortement à la baisse de solvabilité. Dans le cadre du scénario adverse, les ratios moyens CET1 tomberaient en moyenne à 9,4 %, un niveau supérieur à 5,5 %, le minima requis lors du test de 2014. Il convient de noter que les tests ne comportaient pas, cette fois-ci, de seuil d’échec ou de réussite. L’impact sur la solvabilité du scénario adverse est très disparate d’une banque à une autre. Monte dei Paschi et Allied Irish Banks affichent de très mauvais résultats (leurs CET1 respectifs atteindraient -2,4 % et 4,3 % en 2018). Les difficultés se concentrent également sur Bank of Ireland (6,1 %) et Raiffeisen Holding (6,1 %). Les géants nationaux, Deutsche Bank, Barclays, Unicredit, Commerzbank et Société Générale montrent également des signes de faiblesse (entre 7 et 8 %).

ENCADRE Quid de Bâle IV, une nouvelle pression sur la rentabilité ?

Bâle III ciblait simultanément la définition du numérateur (fond propres éligibles) et le niveau minimal du ratio. Bâle IV s’oriente aujourd’hui sur le dénominateur du ratio de solvabilité c’est-à-dire la méthode de calcul des actifs pondérés par les risques présents au bilan. Ces nouvelles règles devraient être finalisées d’ici la fin de l’année pour entrer en vigueur en 2018-2019. Dans le cadre de Bâle IV, deux réformes majeures nous semblent aujourd’hui pouvoir être identifiées :

  • L’introduction du risque de taux. Le poids des crédits longs à taux fixe dans le bilan des banques est donc croissant. Les banques prêtent en effet à long terme, mais se refinancent en permanence sur le marché monétaire et subiraient ainsi directement le contrecoup de la hausse des taux interbancaires.
  • La standardisation des méthodes de calcul pour évaluer le RWA entre les banques. Certains établissements importants ont, en effet, recours à des modèles dits internes rendant la comparaison entre banques difficile.