Les craintes d’une récession en double creux se dissipent

par Léon Cornelissen, Lukas Daalder et Ronald Doeswijk, stratégistes chez Robeco

Une série de chiffres macroéconomiques faibles aux États-Unis et au Japon agite le spectre d’une récession en double creux inhabituelle. Mais le renforcement des indices des directeurs d'achat en Chine et aux États-Unis a permis de dissiper les inquiétudes. Selon nous, une récession en double creux reste peu probable. Par conséquent, les marchés boursiers pourraient commencer à attendre des gains avec impatience. D’un point de vue saisonnier, cependant, l’investissement dans des actifs risqués devient attractif au dernier trimestre, tandis que le mois de septembre a la réputation d’être le pire mois de l’année. En outre, les préoccupations concernant la dette dans les pays à la périphérie de la zone euro sont revenues rapidement.

Par conséquent, nous préférons maintenir notre recommandation négative pour le marché des actions. Et les taux d’intérêt à long terme affichant des plus bas historiques, nous pensons que l'immobilier aura du mal à surperformer les actions. Nous gardons une forte préférence pour les obligations d’entreprise par rapport à celles d’État. Étant donné que nous prévoyons toujours une stabilisation des marchés boursiers, nous gardons une préférence pour les secteurs défensifs, en particulier le secteur des biens de consommation de base et les télécommunications. Ces secteurs affichent la meilleure dynamique et les révisions de bénéfices sont supérieures à la moyenne du marché. Les marchés émergents sont notre région favorite en termes d’actions.

Opinion macroéconomique

Une série de chiffres macroéconomiques faibles aux États-Unis et au Japon agite le spectre d’une récession en double creux inhabituelle. Les marchés obligataires semblaient anticiper un scénario déflationniste pour l’économie mondiale, avec des taux longs tombant à des niveaux sans précédent. L'obligation allemande à 30 ans a atteint un plus bas de 2,64 % le 31 août. Mais le renforcement des indices des directeurs d'achat en Chine et aux États-Unis a permis de dissiper les inquiétudes. Selon nous, une récession en double creux reste peu probable. Les tensions déflationnistes croissantes au Japon et la poursuite de la crise ‘silencieuse’ de la dette souveraine dans la zone euro restent des sources d’inquiétude. La diminution des tensions inflationnistes sur les grands marchés émergents a permis de limiter les mesures de resserrement supplémentaires.

Amérique du Nord

Il ne fait aucun doute que les données économiques américaines publiées ces derniers mois ont généralement été décevantes, alimentant à nouveau les craintes sur les marchés financiers d'un double creux. Les marchés de l'emploi sont restés instables, les commandes de biens durables ont chuté et les données du marché immobilier ont été épouvantables. Le simple fait de dire que la faiblesse du secteur immobilier était déjà attendue ne suffit pas à refléter la dégradation des ventes immobilières dans l'ancien en juillet : les ventes ont enregistré presque 800 000 unités de moins par rapport aux estimations consensuelles de 4,65 millions. Les 3,83 millions d'unités vendues représentent un plus bas historique, encore 25 inférieur au creux de 2009. L'impact économique direct d'une baisse des ventes est limité, à l'exception des revenus des SOURCE : BLOOMBERG autorités publiques locales. Mais la principale menace est une nouvelle baisse des prix de l'immobilier, qui affaiblirait le patrimoine des consommateurs. Les dernières données de l'indice immobilier Case-Shiller ont quelque peu dissipé ces inquiétudes (les prix de l'immobilier ont gagné 4,2 % d'une année sur l'autre), mais il s'agissait des données de la période avril-juin, juste avant la fin des mesures de relance : le véritable impact de l'effondrement immobilier reste à venir.

Avec toutes ces nouvelles données négatives à l'esprit, les marchés se préparaient aux conséquences, lorsque l'indice de fabrication ISM du mois d'août a été publié. Cette préparation s'est avérée inutile car l'indice est monté à 56,3, indiquant une nouvelle fois que le secteur industriel se maintient. Comme nous l'avons affirmé auparavant, les craintes d'un double creux sont exagérées à ce stade. En effet, non seulement le rapport ISM était meilleur que prévu, mais la demande sous-jacente des consommateurs, malgré toutes les analyses négatives récentes, soutient aussi la croissance. Les dépenses des consommateurs ont augmenté de 0,4 % en juillet, ce qui monte la croissance annualisée du troisième trimestre à 1,8 %, même si aucune autre croissance n'est signalée en août et septembre. Les dépenses des consommateurs représentent toujours 70 % du PIB américain, ce qui signifie qu'une croissance négative du PIB n'est pas très probable pour l'instant. Un troisième facteur suggérant que le pessimisme généralisé concernant l'économie américaine est injustifié est que la Réserve fédérale devrait bientôt agir si l'économie continue à ralentir : contrairement au reste du monde, les États-Unis ont une banque centrale prête à prendre des mesures radicales pour maintenir l'économie à flot.

Europe

L'économie britannique a enregistré de meilleurs résultats que prévu au deuxième trimestre, avec une croissance de 1,2 % d'un trimestre sur l'autre, par rapport à une croissance de 0,3 % au premier. L'inflation reste obstinément élevée, avec un résultat annualisé en juillet de 3,1 %. Le gouvernement britannique propose une politique budgétaire stricte, permettant à la Banque d'Angleterre de poursuivre son desserrement monétaire dans l'immédiat.

L'économie de la zone euro a enregistré une croissance de 1,9 % en termes annuels au deuxième trimestre, soit la croissance la plus rapide en quatre ans. L'Allemagne a affiché des résultats particulièrement bons, avec un taux de croissance de 3,7 %, mené par les exportations et les investissements. Il est peu probable que l'Allemagne puisse maintenir sa dynamique alors que l'économie mondiale ralentit et que les ventes de détail intérieures restent faibles.

Les futurs problèmes potentiels ont été mis en avant par les faibles résultats de la Grèce, qui a perdu 3,5 % en termes annuels, et de l'Espagne, qui a perdu 0,1 %. Malgré le filet de sauvetage, les spreads souverains sur les obligations allemandes ont tendance à augmenter en raison de cette divergence en termes de résultats de croissance. La zone euro n'est donc pas encore sortie d'affaire. La bonne nouvelle est que la BCE va poursuivre son desserrement monétaire dans l'immédiat. Si elle a revu ses prévisions à la hausse pour la croissance économique, ses projections inflationnistes restent inférieures à 2,0 % (mais proches de ce seuil).

Les tensions au Japon ont augmenté ces derniers mois. Sur le plan économique, la principale préoccupation a été l'appréciation progressive du yen par rapport aux devises de ses principaux partenaires commerciaux comme la Chine et les États-Unis. Bien qu'il ait affiché au deuxième trimestre le PIB le plus faible de toutes les économies matures (+ 0,1 %, selon l'estimation de synthèse réputée pour son manque de fiabilité), le yen suit une tendance à la hausse depuis mai. A plus long terme, la vigueur du yen est au moins en partie due à l'environnement déflationniste. Si le yen a atteint son plus haut niveau en termes nominaux depuis mai 1995, en termes réels et pondérés des échanges, la devise se négocie aux environs du niveau moyen observé ces 15 dernières années.

Quoi qu'il en soit, cela n'explique pas pourquoi le yen s'est renforcé ces derniers mois, ni ne facilite la tâche aux autorités qui doivent gérer ce problème. La Banque du Japon a rapidement annoncé 10000 milliards de yens supplémentaires en financements bon marché sur six mois les marchés des changes. Ces mesures n'ont pas réussi à l'annonce. Étant donné le niveau actuel du yen, le rythme soutenu de la reprise est en question. Des mesures devraient être prises. Dans ce cas, la décision reviendra à la Banque du Japon, étant donnée l'impasse au niveau politique. L'ancien secrétaire général du DPJ (Parti Démocrate du Japon), Ichiro Ozawa, a annoncé une candidature surprise pour la direction du parti. Reste à voir s'il réussira, car il a dû démissionner de son ancien poste il y a seulement trois mois en raison de ses difficultés à remplir ses fonctions et d'un scandale sur le financement de campagnes politiques. S'il perd l'élection (qui aura lieu le 14 septembre), il devrait quitter le DPJ, ainsi que 40 de ses partisans, réduisant ainsi la probabilité d'une réforme radicale. Partout ailleurs dans la région, la situation est plus encourageante, le PIB australien gagnant 1,2 % au deuxième trimestre, contrairement aux 0,9 % prévus. L'Australie a sa propre part d'instabilité politique, mais contrairement au Japon, la nécessité d'une réforme radicale est plus ou moins absente.

Marchés émergents

La stratégie chinoise, qui consiste à préparer un modeste ralentissement de l'économie vers une croissance forte mais durable, semble porter ses fruits. La hausse de l'indice des directeurs d'achat en août, de 51,2 à 51,7, a été particulièrement rassurante. La vigueur soutenue de la Chine aide à dissiper les craintes d'un double creux pour les économies matures. L'inflation chinoise suit une tendance haussière, mais avec un résultat annualisé de 3,3 % pour juillet, le niveau n'est pas vraiment une source d'inquiétude. Après la suppression officielle de l'indexation entre le yuan et le dollar américain, le yuan n'a quasiment pas évolué par rapport au dollar. Étant donnée la poursuite de la vigueur relative de l'économie chinoise, cette évolution indique de nouvelles tensions commerciales avec les États-Unis.

Tout comme la Chine, l'Inde affiche aussi une vigueur économique durable. L'économie indienne a accéléré au deuxième trimestre pour atteindre un taux de croissance annualisé de 8,8 %. L'inflation augmente de façon inquiétante, mais l'indice des prix de gros de référence est en baisse, après une hausse de 10,0 % en juillet. La mousson plus forte que d'habitude devrait permettre de freiner les pressions tarifaires dans les mois à venir. En même temps, une modeste hausse des taux de la part de la prudente Reserve Bank of India est à prévoir.`

L'économie brésilienne ralentit, ainsi que l'inflation qui approche de l'objectif. Il est peu probable que la banque centrale poursuive son resserrement ; elle devrait laisser les choses venir jusqu'à la fin de l'année. Malgré une grave sécheresse, l'économie russe devrait croître d'environ 5 % cette année. Les pressions inflationnistes se sont intensifiées en raison de la sécheresse, mais la banque centrale russe ne devrait pas appliquer de mesures de resserrement.