Les fonds de pension durement touchés

par Raymond van der Putten, économiste chez BNP Paribas

L’OCDE estime que les fonds de pension de ses pays membres pourraient avoir perdu 4 000 milliards de dollars entre janvier et octobre 2008. Les taux de couverture des engagements des fonds de retraite à prestations définies pourraient avoir reculé de 5 à 20 points de pourcentage dans les pays de l’OCDE. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, le taux de financement moyen est tombé sous la barre des 100%.

Étant donné que les régimes à cotisations définies sont plus fortement investis en actions que les régimes à prestations définies, les premiers devraient être encore plus touchés par la crise des marchés financiers.

La crise financière actuelle constitue une difficulté supplémentaire pour convaincre les salariés de l’utilité à souscrire à un plan à cotisations définies.

La crise des marchés financiers a eu des effets considérables sur le secteur de l'épargne-retraite et les fonds de pension. Le canal de transmission le plus direct a été la valeur des actifs financiers tels que les actions et les obligations.

Depuis le début de l’année, les cours des actions se sont effondrés sur tous les marchés du monde, d'où un impact phénoménal sur les actifs destinés aux retraites. Entre juin 2007 et juin 2008, les régimes de retraite privés et publics des États-Unis ont perdu à peu près 900 mds de dollars, soit 10% de la valeur de leurs actifs financiers. Sur la même période, les fonds d’assurance et de pension britanniques voyaient les leurs reculer de quelque 5%. Du fait de l’effondrement des cours qui a suivi la faillite de Lehman Brothers, ces pertes se sont accrues de manière substantielle ces dernières semaines.

L’OCDE estime que les fonds de pension de ses pays membres pourraient avoir perdu 4 000 mds de dollars entre janvier et octobre 2008. Pourtant, les fonds de pension n’ont pas fortement investi dans les actifs dits « toxiques ». Ceux-ci ne représentent au maximum que 3% de leurs bilans. D'après la dernière estimation du FMI, les dépréciations potentielles de titres de créance liés à des prêts hypothécaires, à des prêts à la consommation et à des crédits aux entreprises, émis ou titrisés aux États-Unis auraient augmenté de 900 mds de dollars à 1 400 mds depuis le mois d’avril(1). Parmi ces dépréciations entre 125 mds de dollars et 250 mds de dollars seraient subies par des fonds de pension.Les régimes les plus affectés sont ceux qui ont le plus investi dans les actions. Les régimes de retraite d’Irlande, des États-Unis et des Pays-Bas semblent particulièrement exposés.

Dans un régime à prestations définies (RPD), la rente obtenue au final dépend du salaire touché en tant qu’actif et de la durée d’emploi. Depuis l'entrée en vigueur des nouvelles normes comptables internationales, les actifs de ces régimes doivent être valorisés au prix du marché (IAS 19 et FRS 17), ce qui suppose que les pertes sur les actifs apparaissent immédiatement, non seulement au bilan du fonds de pension, mais également à celui de l’entreprise « sponsor ». En octobre, la commission budgétaire du Congrès américain (Congressional Budget Office ou CBO) estimait que la valeur des actifs détenus par des régimes RPD avait reculé de 15 %(2). Ce chiffre devrait s’être encore accru au cours des derniers mois.

La position de financement dépend également de la valeur accordée aux engagements au titre des retraites. Ces derniers sont calculés comme la valeur actuelle des retraites futures promises. Le choix du taux d‘actualisation est crucial. Aux États-Unis, les engagements pour retraites peuvent être actualisés en fonction du rendement des obligations d’entreprises notées A ou au-dessus.

Étant donné que ces niveaux ont été relevés en conséquence de la réévaluation du risque, le directeur de la CBO, Peter Orszag, a indiqué que la valeur actualisée des engagements pour retraites avait reculé de 5 à 10% l’an dernier. Il est clair que cette situation pourrait aisément se retourner à l’avenir en cas de baisse des taux d’intérêt pour les signatures corporate.

Les économistes font valoir qu’il vaut mieux utiliser le taux d’intérêt des actifs sans risque, ce qui exclut la prime du risque de contrepartie. En sa qualité d'autorité de surveillance des régimes de retraite, la banque centrale néerlandaise, la DNB, a suivi cette approche en optant pour une courbe de taux dérivée des taux de swaps sur le marché interbancaire. Ce taux a reculé de quelque 50 points de base depuis le début de l'année.

Pour un portefeuille théorique d’une durée moyenne de 15 ans, une telle modification accroîtrait la valeur des engagements de 7,5%. Au total, d'après les estimations de l'OCDE, les ratios de financement des régimes de retraite à prestations définies auraient reculé de 5 à 20 points de pourcentage dans les pays membres de l’Organisation, en fonction du taux d’actualisation employé et de la part des actions dans le portefeuille.

La Pension Benefit Guarantee Corporation (PBGC) a indiqué que les régimes RPD américains du secteur privé n’avaient un taux de financement que de 85% à fin septembre 2008, ce qui est tout de même un peu mieux qu'un an plus tôt. L'État fédéral et les régimes de retraite locaux sont tout autant touchés. Sur l’année 2007, le ratio de financement des régimes de retraite des Etats et des collectivités locales n'était que de 86%, en légère hausse par rapport à l’exercice précédent. La situation pourrait se révéler encore plus grave que ne le suggèrent ces chiffres, puisque certains fonds d’origine fédérale utilisent des méthodes de lissage pour valoriser leurs actifs plutôt que les prix du marché et appliquent à leurs engagements des taux d’actualisation relativement élevés.

Au Royaume-Uni, le Pension Protection Fund estime que la position de financement totale (total des actifs moins engagements totaux) de presque 7 800 fonds de pension à prestations définies se serait dégradée jusqu’à atteindre un déficit de 97,3 mds de livres sterling, soit un ratio de financement de 88% à fin octobre 2008. Seulement 16% des fonds affichaient encore un excédent. Aux Pays-Bas, le ratio de financement était tombé à 109% à fin octobre, contre 105% requis par l’autorité de surveillance. Fin novembre, cinq des dix plus gros fonds de pension professionnels avaient des taux de couverture des engagements oscillant entre 85% et 95%.

Si les régimes RPD subissent un tel marasme, c’est en raison du décalage entre les engagements – les retraites futures à payer – et les actifs dans lesquels sont investies les réserves des fonds. Au lieu d’investir dans des obligations présentant une durée moyenne similaire à celle des engagements, les fonds de pension sont massivement placés en actions. Cette préférence s’explique par le principe que, malgré un risque de volatilité accru à court terme, les actions seraient les actifs dégageant les rendements les plus élevés à longue échéance(3). 

Les pensions ne pouvant être diminuées (dans les régimes à prestations définies), la dégradation de la position de financement ne concerne pas les prestations de retraite garanties. En revanche, les fonds de pension sont dans l'obligation d'améliorer leur position de financement, en augmentant soit les cotisations, soit les contributions forfaitaires des entreprises « sponsors », ce qui réduit le capital disponible pour l’investissement, les dividendes, etc. Aux Etats-Unis, les impôts locaux doivent être augmentés et les dépenses réduites pour redresser les finances des caisses de retraite des Etats et des collectivités locales. Les cotisations de retraite des fonctionnaires devront également être revues à la hausse.

Aux États-Unis, tous les fonds RPD privés doivent s’affilier à la PBGC qui, à son tour, garantit les prestations. Différentes études ont montré que les primes de ce système – et, de fait, celles de tous les systèmes de garantie existants – n’étaient pas calculées de manière à faire face de manière appropriée à des événements systémiques, tels qu’une crise économique grave(4). Apporter une garantie contre de tels événements aurait un coût prohibitif.

En raison des nombreuses lacunes de la législation, les finances de la PBGC sont en mauvais état. Depuis 2002, le système est sous-financé. Au cours de l’exercice passé, sa situation financière s’était améliorée de 2,9 mds de dollars, ce qui avait réduit son déficit à 11,2 mds de dollars à fin septembre 2008. Cette amélioration procédait principalement de l’augmentation des rendements des obligations d’entreprises à long terme bien notées, elle-même issue de la volatilité du marché du crédit. En conséquence, le passif de la PBGC avait diminué de 7,6 mds de dollars.

Le sous-financement de la PBGC pourrait bien s’aggraver pendant l’exercice en cours en raison de la récession actuelle, puisque l’Agence pourrait reprendre les fonds de pension des entreprises en faillite, qui seront dans la plupart des cas largement sous-financés. En particulier, les difficultés des secteurs de l’automobile et de l’aéronautique pourraient causer de graves problèmes au fonds de garantie.

Le gouvernement a toujours fait valoir que la PBGC était une Agence indépendante et qu’elle ne serait pas renflouée par l’argent des contribuables. Cependant, on voit difficilement comment le gouvernement pourrait laisser la PBGC faire faillite après avoir nationalisé Freddie Mac et Fannie Mae. Dans son cas d'ailleurs, un sauvetage public serait encore plus justifié, puisqu'il est obligatoire pour les régimes RPD privés de s'affilier au système et que le gouvernement n’a pas autorisé la PBGC à fixer à des niveaux satisfaisants ses primes.

Dans un régime à cotisations définies (CD), chaque participant dispose d’un compte individuel et ses prestations sont calculées à partir de ses cotisations, augmentées du produit financier du compte. Dans ce type de régime, le risque de placement est supporté par les souscripteurs. Étant donné que ce type de fonds est plus largement investi en actions que les régimes à prestations définies, il est possible qu’ils soient plus durement touchés par la crise des marchés financiers. Aux États-Unis, plus des deux tiers des actifs des régimes à cotisations définies sont investis en actions(5).

La crise coûte particulièrement cher à ceux qui sont proches de la retraite. Ces personnes ont été confrontées à un effondrement de leur patrimoine de pension sans qu’il leur reste suffisamment pour reconstituer leur épargne-retraite. En conséquence, certains actifs pourraient décider de retarder leur départ à la retraite.

Défis futurs

La crise actuelle a remis en doute de nombreux aspects du système des fonds de pension. Le déficit des réserves des régimes RPD peut être largement attribué au décalage entre les actifs et les engagements ainsi qu'à la valorisation des actifs de retraite au prix du marché. Ce décalage pourrait être réduit si les fonds de pension investissaient davantage dans des instruments à revenu fixe de même durée que leurs engagements.

Les gouvernements pourraient aider, en émettant des obligations à très long terme et des titres liés à des indices. Autre possibilité, les fonds pourraient rester fortement investis en actions mais recourir à des contrats de swap (de taux d’intérêt) pour éliminer le décalage (« mismatch »). En outre, les règles de financement pourraient être durcies en instaurant des coussins de sécurité dépendant de la volatilité des actifs, ce qui encouragerait également les fonds de pension à réduire le décalage existant.

L'apparition relativement rapide des déficits s'explique par la valorisation au prix du marché. Plusieurs observateurs ont formulé des objections à l'encontre de cette méthode, d'autant plus que les fonds de pension constituent des investisseurs à long terme. Les nouvelles mesures comptables auront peut-être accru la transparence, mais elles auront également favorisé un comportement procyclique. Dans des marchés haussiers, les entreprises peuvent réduire leurs contributions aux fonds et augmenter les dividendes, tandis qu’en période de marchés baissiers elles doivent accroître l’épargne, ce qui ne fait qu’accentuer le ralentissement.

Les problèmes liés à une valorisation au prix du marché (connue également sous l’appellation de valorisation à la juste valeur) vont bien au-delà du domaine des retraites(6). Malgré les défauts de cette méthodologie, le FMI prétend que celle-ci représente toujours le cadre comptable le plus adapté aux institutions financières, conseillant d’augmenter les fonds propres de sécurité et les provisions constituées dans une optique de long terme pour compenser le caractère procyclique de la valorisation à la juste valeur.

De fait, l’autorité de surveillance pourrait contribuer de manière significative à réduire ce caractère procyclique en exigeant la constitution de fonds propres de sécurité en période de hausse du cycle, tout en accordant aux fonds davantage de temps pour reconstituer leurs réserves en période de ralentissement. La Banque d’Espagne en a donné un exemple pour le secteur bancaire. Aux Pays-Bas, l’autorité de contrôle des régimes de retraite a d’ores et déjà repoussé le délai de remise des plans de redressement des fonds de pension au 1er avril 2009, estimant que la volatilité des marchés financiers rendait difficile une estimation appropriée des mesures requises.

Enfin, la crise financière actuelle pourrait poser de nombreuses questions quant à la forme à donner au système de retraites futur. Tout d’abord, il ne faut pas oublier que les déficits des régimes RPD restent minimes en regard des engagements non financés des systèmes publics par répartition, qui ne figurent même pas au bilan des gouvernements. Il ne fait aucun doute que ces systèmes ne seront pas viables à long terme.

Ces dernières années, nombre d’entre eux ont revu à la baisse la générosité des régimes de retraite publics pour encourager les salariés, souvent au moyen d’incitations financières, à souscrire des plans CD. Même avant la crise financière, la participation à ces derniers plans était limitée.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les employeurs tendent de plus en plus à clore leurs plans RPD et à proposer à la place aux nouveaux employés des régimes CD. Cette tendance s’est accélérée avec la mise en place des nouvelles normes comptables. Malgré les incitations financières des employeurs, dans ces pays également le taux de participation aux régimes CD est nettement inférieur à celui aux régimes RPD traditionnels (qui sont habituellement prévus dans les contrats de travail).

La réticence des salariés à souscrire de tels plans s’explique en partie par leur manque de liquidité. Pour la plupart d’entre eux, ils n’accordent en effet de prestations qu'au moment de la retraite. Un autre facteur réside dans le fait que les salariés ignorent souvent quel montant d'épargne leur permettrait de financer une retraite confortable. Enfin, les salariés ont du mal à choisir entre les différents plans CD. Ils ne se rendent souvent pas compte qu'un rendement plus élevé suppose également un risque supérieur. La crise financière actuelle constitue une difficulté supplémentaire pour convaincre les salariés de l’utilité à souscrire à un plan à cotisations définies.

NOTES

(1) FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, octobre 2008.
(2) Peter R. Orszag, « The effects of recent turmoil in financial markets on retirement security » (Effets de la crise récente des marchés financiers sur la sécurité des retraites), présentation à la commission chargée de l’Éducation et du Travail de la Chambre des représentants des États-Unis.
(3) Zvi Bodie démontre en fait que les coûts d’assurance d’un portefeuille contre un taux de rémunération inférieur au taux sans risque augmenteraient avec l’allongement de l’horizon de placement (cf. Zvi Bodie, 1995, « On the risk of stocks in the long run » (Du risque des actions à long terme), Financial Analysts Journal).
(4) Raymond Van der Putten, « La crise du système de retraite américain », BNP Paribas Conjoncture, janvier 2007. 
(5) Peter Orszag, 2008, op.cit.
(6) Cf. FMI, 2008, op. cit., chapitre 3 pour les effets de la comptabilisation à la juste valeur sur le secteur bancaire.