Marché actions 2018 : bilan et perspectives

par Régis Bégué, Managing Director/
Directeur de la Recherche et de la Gestion Actions chez Lazard Frères Gestion

À la fin du mois de septembre, la performance des marchés européens depuis le début de l’année était proche de 0%. Cette apparente stabilité cachait en réalité de très fortes disparités, puisque la partie « momentum » avait presque continuellement surperformé le segment dit « value » de la cote dans cette première phase.

Depuis, le marché a fortement reculé, cédant 11% en l’espace de trois mois, avec une accélération baissière dans la première partie de décembre. Dans ce retournement violent, les tendances de la première partie de l’année ont été profondément bouleversées. Les titres chers, notamment dans la technologie, ont connu des baisses spectaculaires. Le pétrole a interrompu lui aussi sa tendance haussière, accusant une chute de 30% sur ses niveaux les plus hauts de l’année, affaiblissant le secteur des compagnies pétrolières intégrées ainsi que des services pétroliers. La partie « value » des indices s’est, elle, scindée entre ses composantes cycliques d’un côté et « rente » de l’autre. Le secteur des télécoms, en progression absolue de 6% sur la période, surperforme, de même que les utilities dans une moindre mesure. En revanche, la chimie, les ressources de base et l’automobile reculent fortement, accompagnés par la technologie. Les origines de ces mouvements généraux, indépendamment des cas spécifiques peuvent se regrouper en plusieurs thèmes :

  • Italie : l’inquiétante menace de dérive budgétaire a pénalisé le secteur bancaire italien, mais aussi les asset managers et le secteur bancaire dans son ensemble qui a souffert à la fois des difficultés prévisibles de refinancement et de l’absence de perspectives de remontée des taux en Europe. Les banques européennes ont désormais atteint des niveaux de valorisation relatifs et absolus qui continuent de surprendre : P/TB* = 0,7x, P/E* 2019e <8x, rendement dividende de 6,5% (avec un pay-out* de 55%). Sur la période récente toutefois, le secteur a baissé comme l’indice (-11%), mais en partant d’un niveau beaucoup plus bas que la moyenne !
  • Brexit : l’incertitude planant sur les modalités de sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne a laissé ouverts d’innombrables scénarios plus ou moins plausibles, allant par exemple parfois jusqu’à l’hypothèse qu’aucun vol britannique ne pourrait se poser sur le Continent et réciproquement. Les banques directement exposées au U.K. ont également été pénalisées par cette thématique. Enfin, le secteur automobile dans son ensemble a amplifié sur ce thème la baisse induite par de nombreux profit-warnings liés à d’autres déterminants.
  • Automobile et valeurs associées : nouvelle invention de la commission européenne, nouvel acronyme, nouvelle perturbation du marché, on parle bien sûr de la norme WLTP. Il n’y a pas que dans le domaine de la banque que les régulateurs européens se montrent inventifs. La mise en place du WLTP en Europe a provoqué une surproduction automobile au deuxième trimestre, suivie d’une forte baisse, provoquant une série de profit-warnings en cascade. Les équipementiers ont été particulièrement pris au dépourvu. Les constructeurs, relativement moins impactés car mieux préparés et plus flexibles, ont tout de même subi des révisions en baisse et des parcours boursiers désastreux. Aujourd’hui, la valorisation implicite des OEM*, en somme des parties, est souvent proche de zéro, ou inférieure. Sur la période, le secteur baisse de 15%. C’est en outre toute la chaîne de valeur de l’automobile qui se trouve pénalisée, la chimie et l’acier notamment. Les matériaux de base baissent de 30% sur la période. Sur l’année, le P/E de ce secteur est passé de 16x à moins de 12x. La défiance sur ces thèmes est amplifiée par un autre phénomène : le protectionnisme américain.
  • Trade War : les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis ont très fortement pesé sur le sentiment boursier de certaines valeurs industrielles et induit certains profit-warnings dans les secteurs de l’automobile, des matières premières et même de certains services. Plus généralement d’ailleurs, cela a généré de l’inquiétude sur la pérennité du cycle économique, qui se verrait interrompu par la perspective d’une récession aux États-Unis amplifiée par le ralentissement du commerce mondial dû au protectionnisme.
  • La contestation sociale en France : les valeurs directement exposées à la consommation en France ou plus largement à son économie ont été particulièrement attaquées, entraînant une compression de multiples bien au-delà des révisions en baisse provoquées par les mouvements sociaux.
  • Business-models à risque : malgré des annonces stratégiques majeures, les secteurs ou valeurs dont le business- model est attaqué par la digitalisation – distribution et publicité notamment – ont repris le chemin de la baisse en cette fin d’année, le marché n’accordant aucun crédit à la capacité de « l’ancien monde » de s’adapter aux évolutions technologiques et comportementales.

En somme, les marchés comme nos portefeuilles ont été impactés par des éléments très souvent exogènes et qui peuvent être considérés comme temporaires. Qu’il s’agisse des remous en France, en Italie ou en Grande-Bretagne, des négociations commerciales entre la Chine et les États-Unis, des perturbations liées aux normes WLTP, ces phénomènes nous semblent réversibles. Dans une configuration plus optimiste, le marché pourrait aussi valider un retournement possible des business-model en transformation.

La valorisation générale des actions, avec un P/E 12 mois de 12x et un P/B inférieur à 1x est en moyenne très basse, même si les hypothèses de résultats devaient être revues en baisse du fait de la conjoncture (ce qui est encore loin d’être sûr à ce stade). Les valorisations boursières des valeurs sensibles à la conjoncture économique, qu'il s'agisse de l'investissement, de la finance ou de la consommation cyclique, reposent sur un scénario implicite très noir et sont aujourd'hui déconnectées de leur rentabilité actuelle et de leur situation bilantielle. En moyenne, les upsides* de nos portefeuilles vont de 10% pour les plus bas à 40%.