Marchés obligataires : un cocktail macroéconomique qui appelle à la sélectivité

par Ariel Bezalel, Gérant du fonds Jupiter Dynamic Bond chez Jupiter AM

L’économie mondiale se débat dans un monde sans croissance et cela devrait durer encore un certain temps. Les investisseurs devraient s’adapter à cette nouvelle réalité, alors même qu’ils doivent affronter d’autres défis : un dollar qui ne cesse de se renchérir et l’effet dévastateur que cela a sur les marchés émergents, la contagion aux pays développés et la détérioration des fondamentaux américains due au retournement de cycle du crédit. D’un autre côté, les perspectives économiques européennes s’améliorent, aidées en cela par une politique monétaire accommodante. Trouver des opportunités d’investissement est un exercice délicat dans un tel contexte. Devant tant d’incertitudes, il faut se concentrer sur la qualité et la liquidité.

D’une manière générale, le monde, selon nous, continue d’affronter trois enjeux majeurs : le montant de la dette au niveau mondial, la démographie et enfin la déflation.

Depuis 2007 la dette a augmenté au niveau mondial de plus de 57 000 milliards de dollars, soit à une vitesse dépassant celle de la croissance du PIB mondial. Le mouvement est particulièrement marqué dans des pays comme la Chine où le montant de la dette corporate atteint des sommets et émanent surtout des entreprises non financières, notamment des secteurs de l’énergie et de la construction.

Côté démographie, la baisse de la natalité dans les pays développés a entrainé un vieillissement de la population et plus particulièrement une baisse de la population âgée de 24 à 52 ans, c'est-à-dire précisément celle qui tire l’économie et la consommation. En d’autres termes, la démographie va peser très probablement sur la croissance pour encore quelques années.

Si la dette et la démographie nous poussent à être optimistes sur le potentiel des obligations souveraines, le point le plus important pour nous est cependant ce qu’on pourrait appeler « la bonne déflation », celle qui provient de la manière dont les ruptures technologiques et les entreprises comme Google, Uber et Amazon modifient en profondeur la manière dont le commerce fonctionne.

Lentement mais sûrement, ces technologies révolutionnaires font passer le pouvoir de fixation des prix des mains des entreprises à celles des consommateurs. Il va devenir de plus en plus difficile pour les entreprises d’augmenter les prix, d’où cette notion de « bonne déflation ». En revanche la déflation, ou la désinflation, est une tendance de long terme et provient notamment du fait que nous sommes en état de surcapacité au niveau mondial. Les entreprises produisent trop, tout simplement, et cela a été permis par l’assouplissement des politiques monétaires qui a laissé se produire une mauvaise allocation du capital.

Une des conséquences de l’assouplissement monétaire a été une augmentation généralisée du prix des actifs, notamment celle de l’immobilier aux Etats-Unis et si on regarde la structure actuelle de l’inflation aux Etats-Unis, on se rend compte que l’immobilier en compose la plus grande part. Le QE a fait monter les prix de l’immobilier avec pour conséquence logique une augmentation des loyers: si on enlève la composante logement, l’inflation aux Etats-Unis est proche de zéro et c’est sur ce point que la Réserve Fédérale devrait se concentrer selon nous.

Cela est d’autant plus vrai que si le taux de chômage affiché aux Etats-Unis est de 4.9%, il ne prend pas en compte le taux de participation. La réalité est que le chômage affecte plutôt aux alentours de 13% de la population américaine. La pression sur les salaires n’est donc pas si importante que cela, d’autant plus que la majeure partie des emplois créés récemment concernent des bas salaires alors que les emplois détruits concernent davantage des salaires plus élevés et qu’il y a beaucoup d’emplois à temps partiel.

L’indice PMI manufacturier aux Etats-Unis s’établit aux alentours de 48, bien au-dessous du seuil de 50 qui traduit un secteur en expansion ; autrement dit, la probabilité que le pays entre en récession est au-delà de 50%. Même s’il est encore au-dessus de la barre fatidique des 50, l’indice PMI des services commence à baisser (historiquement que l’indice manufacturier ouvre la marche). La Réserve Fédérale a selon nous fait une erreur en augmentant les taux en décembre car cela n’a fait qu’exacerber la volatilité sur les marchés émergents. Bien que Janet Yellen ait récemment reconnu que les conditions macroéconomiques se détérioraient dans le monde et aux Etats-Unis, la vitesse à laquelle les taux américains pourraient être relevés est loin d’être claire.

Toutes ces raisons nous poussent à rester éloigner de la dette corporate américaine.

De même, nous préférons nous tenir à l’écart des marchés de crédits des pays émergents. La dette des pays émergents, et notamment la dette corporate, ne fait que s’alourdir depuis plusieurs années. La dette pèse d’autant plus lourd qu’elle a souvent été contractée en dollars. A cette époque, cela rendant le service de la dette très peu cher mais le renforcement du dollar a nettement renchéri le coût de cette dette.

La baisse des réserves en dollars des pays émergents laisse supposer que les investisseurs sont en train de dénouer le plus grand carry trade qu’on n’ait jamais observé. Depuis 2009, entre 7 et 9 000 milliards de dollars ont été empruntés en dollars et investis sur les marchés émergents (marché financier chinois, immobilier chinois, dette brésilienne). Etant donné la chute des devises locales et de la récession qui a lieu dans de nombreux pays émergents, la situation nous semble plus que périlleuse et nous préférons rester à l’écart, ce d’autant plus que pour nous, cela n’est qu’une question de temps avant que l’Arabie Saoudite ne « détache » sa monnaie du dollar et que la Chine ne dévalue aussi sa monnaie.

La situation de la Chine a bien-sûr des répercussions sur le marché des matières premières car elle en est un acteur clé. Les prix des matières premières sont actuellement bas et devraient le rester encore un certain temps. Seul l’or nous semble pouvoir tirer son épingle du jeu grâce à son statut de valeur refuge d’une part dans la guerre des devises qui ne manquera pas d’avoir lieu tôt ou tard, mais aussi quand la Réserve Fédérale finira par inverser sa politique monétaire.

L’économie européenne a quant à elle commencé à se désendetter, contrairement aux Etats-Unis, et se porte de mieux en mieux si on juge au niveau des indices PMI. Par ailleurs la politique monétaire européenne reste accommodante.

En résumé, nous continuons de favoriser les obligations souveraines de bonne qualité et le dollar qui va continuer de se renchérir surtout vis-à-vis de la Livre Sterling. Nous pensons qu’il existe toujours des opportunités dans le crédit européen, high yield ou la catégorie investment grade, même si nous avons opté pour une attitude plus défensive, la sélectivité restant primordiale.