Marché du travail américain : un goût d’Europe ?

par Philippe d'Arvisenet,  chef économiste chez BNP Paribas

Le ralentissement du déstockage et les mesures de soutien public à l’activité ont permis un vif rebond de la croissance américaine au deuxième semestre 2009, les indicateurs conjoncturels, comme l’ISM manufacturier, indiquent une activité soutenue début 2010.

Pour autant, le rythme de croissance attendu ultérieurement devrait se trouver modéré par la poursuite du désendettement des ménages qui doivent réajuster leur dette à un niveau de richesse plus bas, tandis que les effets de la fin du déstockage, des mesures de stimulation budgétaire et de dispositions exceptionnelles, mises en place par la Fed pour soutenir le marché immobilier, sont appelés à s’essouffler. On sait que la récession de 2008-2009, par sa profondeur et sa durée, va avoir des conséquences durables sur la croissance potentielle. Le retour au PIB potentiel prendra du temps.

Les pertes d’emplois ont connu une nette modération dans les derniers mois. Des signes de retour à la création d’emplois apparaissent (recours accru aux heures supplémentaires et au travail intérimaire). Enfin, l’embauche massive, mais temporaire, d’agents publics d’ici à la mi-2010 permet d’anticiper une embellie sur le marché du travail. Cela n’interdit pas de s’interroger sur les tendances de fond susceptibles de marquer durablement le fonctionnement du marché du travail.

On a constaté durant la crise un ajustement très agressif des effectifs à la baisse de l’activité, moins du fait des licenciements ou plus généralement des pertes d’emplois (la hausse des licenciements a été en partie compensée par un recul des démissions) que du fait de la chute des embauches. L’ajustement des effectifs a été nettement plus violent aux Etats-Unis que dans la zone euro, qui a pourtant connu une récession plus profonde (rappelons que le recul du PIB en 2009 a été en moyenne annuelle de 2,5% aux Etats-Unis mais de 4% dans la zone euro). L’ajustement opéré aux Etats-Unis qui a débouché sur un rebond impressionnant des gains de productivité (5,1% en glissement annuel), joint à la modération de la hausse des rémunérations, a conduit à un net repli des coûts unitaires du travail (-2,8% en glissement annuel).

Cette évolution, difficilement extrapolable, plaide pour un redressement des créations d’emplois plus marqué et surtout plus rapide qu’en Europe. 

Dans les dernières années, la relation de long terme entre le chômage et la croissance (relation d’OKUN) a subi une modification qui permet d’attendre un recul du taux de chômage pour un rythme donné de la croissance plus marqué que par le passé.

La relation d’OKUN relie l’évolution du taux de chômage à l’écart entre croissance et croissance potentielle. Une croissance s’écartant d’un point du taux de croissance potentielle était associée à un recul du taux de chômage de 0,4 point environ. Or, on a constaté en 2008 et 2009 que le taux de chômage a augmenté de 4,6 points (sur la base des moyennes annuelles) alors que le cumul des écarts entre croissance et croissance potentielle a été de 6 points. Sur la base de la relation d’OKUN calculée sur la période 1952-2000, la progression du taux de chômage aurait dû se limiter à 2,5 points, ce qui suggère l’existence d’une rupture dans cette relation de long terme. Sur cette même base et dans l’hypothèse d’une croissance potentielle de 2 points et d’une croissance effective qui s’inscrirait à 4% (une hypothèse extrêmement optimiste), le taux de chômage actuel de 10% ne reviendrait pas à un niveau comparable à celui observé avant la crise avant six ou sept ans.

L’estimation des coefficients de la relation d’OKUN paraît aujourd’hui trop pessimiste. En les calculant sur une période débutant en 1999 (et non pas au début des années 1950), le coefficient reliant l’évolution du chômage à la croissance se trouve relevé de moitié. Dans les hypothèses supra, le retour du taux de chômage à 4,6% pourrait être observé au milieu de la décennie.

Il convient, toutefois, de tenir compte du fait que le taux d’activité (participation rate), ratio de la population active à la population en âge de travailler s’est contracté. Une partie de cette évolution est réversible, les salariés qui ont cessé d’être actifs (employés ou à la recherche d’un emploi) vont revenir sur le marché du travail avec l’embellie attendue, ce qui est de nature à freiner la baisse du taux de chômage.

Une convergence avec l’Europe ?

La poussée du taux de chômage en 2008 et 2009 dépend à la fois de l’augmentation des entrées au chômage et de l’allongement de la durée du chômage, laquelle a atteint des niveaux historiques, bien au-dessus de ce que l’on a pu constater à la suite du deuxième choc pétrolier. Cela pèse sur la croissance potentielle (obsolescence du capital humain, aversion à l’embauche des salariés ayant fait l’expérience d’un chômage de longue durée). L’allongement des périodes de chômage est à l’origine du phénomène d’hystérèse, c'est-à-dire la transformation d’une partie du chômage courant en chômage structurel et du relèvement corrélatif du NAIRU (taux de chômage compatible avec la stabilité de l’inflation).

On note, à cet égard, une amorce de modification de la courbe de Phillips qui relie l’évolution des salaires (ou de l’inflation) au taux de chômage1. Si cette évolution devait se confirmer, cela n’irait pas sans conséquences pour la politique monétaire qui devrait se montrer plus rapidement restrictive dès lors que la baisse du taux de chômage serait amorcée.

NOTES

  1. Cette évolution remet en question l’idée selon laquelle les salaires seraient plus sensibles au taux de chômage dans les zones extrêmes de la distribution du taux de chômage, cf. P. d’Arvisenet « inflation et déflation » dans « Conjoncture, Taux, Change », mai-juin 2009.

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