Noir, c’est noir… Où est l’espoir ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Le début de cette année boursière 2016 est catastrophique, avec une baisse de près de 15 % des actions européennes et 10 % des actions américaines. Le sentiment des marchés est donc logiquement très négatif et personne ne souhaite investir quand « le couteau tombe », surtout dans des marchés soumis aux flux vendeurs en provenance des fonds souverains du pétrole… L’issue future dépendra de la réponse à 4 grandes questions… ou alors du dollar.

Les inquiétudes actuelles des investisseurs se focalisent autour de quatre thèmes majeurs.

1 – Le pétrole

Depuis le début de l’année, la corrélation entre l’évolution du cours du baril et celle de l’indice S&P 500 est proche de 1, ce qui est exceptionnel. Historiquement, les actions occidentales avaient plutôt tendance à monter quand le pétrole baissait, pour des raisons évidentes de soutien à l’industrie et à la consommation. Plusieurs éléments expliquent ce phénomène nouveau. Le pétrole est un peu considéré aujourd’hui comme un indicateur avancé de la croissance mondiale : une baisse prolongée indiquerait donc une demande faible. Or, ceci n’est pas si évident : la consommation en nombre de barils dans le monde suit une progression plutôt régulière. C’est donc plutôt l’offre qui a progressé ces dernières années si bien que les stocks de pétrole aux États-Unis sont à leur plus haut niveau depuis 85 ans ! La production dépasserait aujourd’hui la demande de près de 1,5 million de barils par jour.

En revanche, la baisse du prix du pétrole pèse sur les investissements indus- triels aux États-Unis qui avaient été poussés à la hausse ces dernières années par la mise en exploitation des pétroles de schiste… Et en réalité, ce qui inquiète surtout les marchés, c’est l’exposition du secteur bancaire aux entreprises pétrolières, avec des faillites potentielles et des réactions en chaîne, comme lors de la crise des subprimes de 2008. Difficile de donner des indications sur l’ampleur de ce sinistre potentiel, mais on peut estimer le montant des créances qui ne sont pas identifiées sur ce secteur à 300 milliards de dollars (le reste est dans les fonds High Yield qui ont déjà baissé). Si le tiers de ce montant fait effectivement défaut, cela donne 100 milliards à comparer avec le montant de 500 milliards de défauts effectifs lors de la crise des subprimes de 2008…

2-La Chine

Les perspectives de croissance du pays sont révisées à la baisse régulièrement depuis quelques années, dans un processus logique de mutation vers une économie de service qui représente aujourd’hui près de 50 % du PIB. La croissance tend donc naturellement vers 5 %, il n’y a rien de nouveau sur ce point. Par ailleurs, la Banque Centrale a encore du potentiel pour assouplir sa politique moné- taire par une baisse des réserves obligatoires des banques (actuellement fixée à 17,5 %) alors que la masse monétaire M3 remonte à nouveau et que les prix de l’immobilier se stabilisent. En fait, le vrai problème nouveau de la Chine, c’est le dollar ! Comme la devise américaine a progressé contre toutes les monnaies dans le monde (particulièrement les émergentes) et que la devise chinoise est restée longtemps « collée » au dollar pour différentes raisons, elle a perdu en compétitivité relative. La communication du gouvernement sur la décision d’élargir les marges de fluctuation du RMB en août dernier a semé le trouble et provoqué une baisse soudaine de 3 % de la monnaie contre dollar. Cela a été suivi par des sorties de capitaux, le tout dans une période de très grande volatilité de la bourse chinoise qui a également troublé la lecture. Mais au final, les fondamentaux de l’économie n’ont pas vraiment changé, avec ses points forts et faibles déjà connus.

3 – Le risque de fort ralentissement de l’économie américaine

Les crises de crédit annoncent souvent des retournements conjoncturels, ce qui n’était pas le scénario envisagé par la majorité des économistes : ils prévoyaient dans l’ensemble une croissance de l’ordre de 2 % en 2016. La Reserve Fédérale a semblé accréditer cette thèse en mettant fin à la politique de taux monétaires à 0 en relevant en décembre les taux directeurs. Or, les dernières statistiques sont contrastées : la croissance au 4e trimestre a été assez faible à + 0,7 %, les créations d’emploi de janvier faiblissent à + 151 000 en janvier mais, en contrepartie, les salaires progressent de 2,5 % et la confiance des consommateurs est bonne (progression en janvier pour le 3e mois consécutif)… Difficile à évaluer. En revanche, ce qui est clair est que, historiquement, les récessions américaines ne se produisent pas quand l’inflation est si basse, avec des taux si bas et une courbe des taux si pentue…

4 – Les risques politiques

Nous avions déjà souligné dans notre dernière publication de janvier que la gouvernance mondiale n’était pas bonne actuellement et qu’on était plutôt dans une phase de « divergences politiques ». La volatilité actuelle des marchés européens s’explique aussi par la probabilité non négligeable désormais d’un Brexit, qui serait de l’ordre de 30 à 40 %. Les élections sont prévues en mai ou juin, mais les marchés commencent à imaginer les conséquences d’un tel scénario : les hypothèses d’impact sur les PIB respectifs du Royaume Uni et du reste de la zone Euro varient selon la nature des futurs traités d’échanges de biens et de services qui seront signés, mais elles oscillent entre – 0,6 % à – 3 % de choc ponctuel pour le Royaume Uni et autour de – 0,3 % pour un pays comme l’Allemagne. Difficile à estimer en l’état. Mais il est probable que les marchés seront très volatils et que l’on assisterait à des mouvements de « déconvergence » en zone Euro qui pèseront sur les pays périphériques. Nous reviendrons plus en détail dans les prochaines semaines sur les conséquences d’un Brexit, mais sa probabilité élevée s’explique également par le manque de cohésion dans la gouvernance de la zone Euro. Cette éventualité contribue également à la baisse du secteur bancaire.

La problématique étant posée, comment sortir de cette situation ? Nous voyons deux issues possibles dans les prochaines semaines

1 – une baisse du dollar

Depuis quelques semaines, le dollar ne monte plus, même contre le yen après l’annonce d’une nouvelle salve de QE de la Banque du Japon dernièrement. L’euro a également regagné près de 10 % contre la monnaie américaine depuis les plus bas de décembre. De même, les devises émergentes se stabi- lisent, dans l’ensemble, contre dollar. Une confirmation de ce mouvement de faiblesse du dollar pourrait avoir des effets positifs sur 3 des 4 sujets de stress évoqués ci-dessus : elle desserrerait l’étau sur la monnaie chinoise qui retrouverait ainsi de la compétitivité et de plus, enlèverait une source d’incertitude pour les marchés sur la question de la dévaluation éventuelle du RMB. Par ailleurs, on sait empiriquement que lorsque le dollar a tendance à baisser, les matières premières ont tendance à remonter, exprimées en dollar. Cela contribuerait donc à diminuer le stress sur l’exposition des banques au secteur pétrolier ainsi que les flux sortant des fonds souverains. Enfin, une baisse du dollar redonnerait également de la compétitivité américaine, même marginalement, car celle-ci est dépendante à plus de 2/3 à la consommation domestique. Cette situation serait moins favorable à l’Europe, mais au final une diminution du stress global lui serait également profitable.

2 – Les valorisations

À un certain point, les cours atteints vont susciter le retour d’investisseurs fondamentaux qui considèreront que les cours atteints sont attractifs. Nous pensons que c’est déjà un peu le cas sur les actions européennes qui ont perdu désormais près de 25 % par rapport aux plus hauts niveaux de l’année dernière. Même si les bénéfices sont revus à la baisse cette année, les cours capitalisent environ 13 fois les bénéfices de l’année 2015, avec des dividendes de l’ordre de 4 %. Mais les rendements commencent également à redevenir intéressants sur les obligations High Yield « corporates » (en faisant attention au choix des titres et à la liquidité) et les obligations émergentes.

La période est donc très difficile et les investisseurs ont en mémoire la dernière crise de 2008 qui, elle, était de nature systémique. Nous ne pensons pas que ce soit le cas cette fois-ci car l’exposition globale au secteur de l’énergie paraît bien plus faible et moins « leveragée » que sur le secteur de l’immobilier. Mais la juxtaposition de sources de stress crée des condi- tions de « panique boursière », qui finiront par s’estomper comme à chaque fois à notre avis. En attendant, le régime de volatilité peut durer. Pour les investisseurs qui ont un portefeuille trop « risqué » et qui ne veulent pas sortir leurs positions, l’acquisition d’obligations américaines à 30 ans (2,6 % de rendement actuellement) en dollars peut constituer une couverture « macro » efficace si la situation de stress se poursuit.