Notation : une agence européenne inutile

Depuis la dégradation de la note de crédit de la France, des voix s’élèvent en faveur de la création d’une agence européenne de notation.

Depuis la dégradation de la note de crédit de la France, des voix s’élèvent en faveur de la création d’une agence européenne de notation. C’est une fausse bonne idée car une telle structure n’aurait aucune crédibilité. La meilleure solution serait d’obtenir du Fonds monétaire international (FMI) qu’il note les pays.

Trois agences américaines – Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch – dominent ce marché de la notation. Cet oligopole tient à des raisons historiques car le secteur financier aux Etats-Unis s’est développé beaucoup plus vite qu’ailleurs au XXème siècle.

Les agences sont utiles car elles permettent aux investisseurs de se faire une idée rapidement sur une entreprise qui veut lever de l’argent sur les marchés financiers. Un fonds de pension ou une compagnie d’assurance n’a pas les moyens d’analyser toutes les entreprises du monde voulant faire appel à l’épargne publique.

La question est de savoir si les agences de notation ont, elles, les moyens nécessaires. Certains échecs spectaculaires ces dernières années – Enron, WorldCom ou encore les fameux prêts « subprime » qui étaient notés à la demande des banques qui les « fabriquaient » – ne plaident pas en faveur de S&P, Moody’s et Fitch. D’autant que leur modèle économique – dans lequel on paie pour avoir une note – soulève des questions.

Le reproche est encore plus pertinent s’agissant des Etats. Les grandes puissances économiques refusent de payer pour avoir une. Les notations des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la France ou du Royaume-Uni sont donc « non sollicitées ».

Les agences de notation peuvent-elles dans ces conditions vraiment se livrer à une analyse en profondeur des finances publiques d’un pays ? En d’autres termes, disposent-elles de toutes les informations nécessaires pour porter un jugement ? Même si les ministères des Finances acceptent de recevoir les analystes des trois agences et même nombre de documents sont publics – notamment sur les budgets nationaux – on peut avoir des doutes. S&P ne s’est-il pas trompé de 2.000 milliards de dollars dans ses calculs ayant conduit à enlever aux Etats-Unis leur « AAA » en août dernier ?

Il est donc urgent de briser cet oligopole. Mais créer une agence de notation européenne n’aurait aucun sens. Outre les questions économiques – à qui appartiendrait cette agence, qui paie les notes ? -, il y a avant tout un problème de crédibilité.

Une agence européenne pourrait noter avec le plus grand sérieux les pays européens, elle serait toujours suspecte aux yeux des investisseurs internationaux qui prêtent de l’argent aux pays européens et qui veulent voir un jugement distancié. Même si elle fait tous les efforts nécessaires, une agence européenne ne pourrait pas échapper au reproche d’être juge et partie. Après tout, la Chine a créé, elle aussi, son agence de notation, Dagong, et la crédibilité de celle-ci est nulle car tout le monde a compris qu’il s’agissait d’un outil politique au profit des autorités chinoises.

Une seule institution peut prétendre connaître à fond l’état des finances publiques de la plupart des pays, c’est le FMI. C’est naturel dans la mesure où le FMI prête souvent de l’argent à des pays qui ont des difficultés à bloquer leurs budgets.

C’est la raison pour laquelle, nous plaidions ici en juillet dernier pour que le FMI crée en son sein une structure qui serait chargée de noter tous les pays du monde.

L’organisation compte environ 2.500 salariés, dont plusieurs centaines d’économistes. Elle a une structure qui permettrait de gérer une nouvelle agence de notation : le bureau d’évaluation indépendant (Independent Evaluation Office, IEO) qui ne dépend pas du directeur général du FMI, qui a toujours un rôle politique.

L’IEO pourrait donc piloter une agence de notation qui aurait sa propre équipe et qui pourrait utiliser les moyens du FMI. La nouvelle agence pourrait commercialiser ses analyses auprès des investisseurs. Si les tarifs pratiqués sont raisonnables, il n’y a aucune raison de penser que les investisseurs n’accepteraient pas de payer pour obtenir des éléments précieux sur la santé d’un pays.

Ce faisant, une telle agence provoquerait une révolution dans le secteur car les autres agences de notation devraient revoir leur modèle et pourrait peut-être se recentrer sur les entreprises et éviter d’être en concurrence avec une structure mieux outillée et devant au fil des ans plus crédible sur la notation des Etats.