Patriotisme économique

La décision de l’administration américaine de suspendre la compétition pour l’achat de 179 avions ravitailleurs – un marché de plus de 35 mi

La décision de l’administration américaine de suspendre la compétition pour l’achat de 179 avions ravitailleurs – un marché de plus de 35 milliards de dollars – montre de manière éclatante que certains ne font que parler de patriotisme économique pendant que d’autres le pratique sans aucun état d’âme. Cela fait cinq ans que le Pentagone cherche à renouveler une flotte vieillissante (45 ans de moyenne d’âge). Boeing l’avait emporté une première fois mais le contrat avait été cassé après des accusations de “concussion”.

Le contrat a ensuite été remporté par un consortium formé d’Airbus et de Northrop Grumman mais il a été annulé en juin dernier pour cause d’”erreurs significatives” dans l’appel d’offres. Pour les spécialistes du secteur , il ne fait guère de doute que Boeing a actionné tous ses réseaux pour obtenir cette décision. Le Pentagone voulait relancer rapidement la procédure mais le groupe américain a là encore montré qu’il disposait de solides soutiens. Au mois d’août, Boeing a réclamé six mois supplémentaires pour ajuster son offre lors que l’administration voulait quelques semaines tout au plus. Pourquoi six mois ? Boeing pense qu’une victoire de Barack Obama à l’élection présidentielle de novembre lui serait favorable, les démocrates ayant mené campagne sur le thème de la protection des intérêts industriels américains alors que le républicain John McCain a été en pointe pour dénoncer les collusions entre les grandes entreprises et le pouvoir de Washington.

Pour éviter que ce dossier ne pèse sur la campagne du candidat républicain, l’administration républicaine George W. Bush a donc préféré, début septembre, de reporter sine die l’appel d’offres : c’est ainsi que quasiment tous les experts.

Pour plusieurs d’entre eux, les dirigeants américains, quelle que soit leur couleur politique, ont pour objectif premier de protéger les intérêts de leurs entreprises. Ainsi, chose peu connue en Europe, les agences fédérales de renseignement fournissent des dossiers complets régulièrement aux groupes exposés à la concurrence internationale.

Le député français Bernard Carayon, spécialiste des questions d’intelligence économique, a souligné dans une récente interview au Parisien (14/09) que les Européens avaient reçu “une vraie gifle” de la part des Etats-Unis au sujet des avions ravitailleurs. Pour lui, “la présidence française de l’Union pourrait être l’occasion de rappeler qu’il y a des marchés politiques, énergie, défense, information, pharmaceutique, et que ces marchés justifient une réponse collective. L’urgence est réelle avec des milliers d’emplois en jeu.

Le problème est que les pays européens divergent sur cette question de la “préférence communautaire”. La Grande-Bretagne, par exemple, est hostile à toute entrave à la concurrence et a le soutien de plusieurs pays du Nord. Un positionnement surprenant alors que les Etats-Unis, qui prônent officiellement le libéralisme économique, n’hésitent pas à subventionner son industrie et son agriculture et à empêcher la prise de contrôle de certaines entreprises par des intérêts étrangers, comme on l’a vu avec la compagnie pétrolière Unocal que le groupe chinois CNOOC a été empêché de racheter.

En France, la présence au capital de Gemplus – fabricant de cartes à puces faisant partie aujourd’hui du leader mondial Gemalto – de fonds d’investissement soupçonnés d’être proches de la CIA avait suscité des craintes au début de la décennie.

Le 31 décembre 2005, le gouvernement, sous l’impulsion du Premier ministre Dominique de Villepin, a publié un décret protégeant certains secteurs des appétits étrangers : casinos, sécurité privée, recherche et production d'agents pathogènes et armes chimiques, matériel pour l'interception de correspondance et la détection à distance des conversations, technologies de l'information (sécurité) nécessaires à la lutte contre le terrorisme et la criminalité, à la défense. Quatre autres secteurs ont été ajoutés pour les investissements provenant de pays non membres de l’Union européenne : cryptologie, activités liées aux marchés classés secret-défense, recherche et production d'armes, munitions et substances explosives, étude et équipement pour la Défense.

Ces mesures, finalement validées par la Commission européenne, sont à caractère défensif. Elles ne peuvent pas permettre de privilégier des entreprises nationales pour des marchés nationaux, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis. 

Dans un environnement économique difficile, marqué par des risques de récession et donc par de nombreuses suppressions d’emplois, les tentations protectionnistes vont se renforcer aux Etats-Unis, selon plusieurs économistes. Sans faire de grand discours, il paraît en effet plus que temps que l’Union européenne se dote aussi de moyens visant à protéger son tissu industriel.