Pays émergents : les bases de la performance future

par Thomas Delabre, économiste chez Crédit Agricole AM

Contrairement aux anticipations, et malgré une croissance 2009 en berne, la crise n'a pas eu les effets de contagion attendus sur les pays émergents. Par le passé et en pareilles circonstances, les économies émergentes auraient été les premières affectées par l'enchaînement classique des événements: baisse de l'activité, contraction des flux de capitaux entrants, dépréciation des devises, hausse des taux domestiques, défaillances des entreprises et risques de défaut souverain, etc.

Les raisons de cette relative "immunité" forment les conditions initiales d’une bonne performance future. Celles-ci se résument principalement dans l'absence de levier d’endettement (leverage) excessif des États et des consommateurs mais également des économies vis-à-vis de la croissance mondiale.

L'absence de leverage financier

Le facteur qui différencie cette crise de celles passées est avant tout l'absence de déséquilibres majeurs des bilans des souverains au sens large (États, consommateurs…) – à quelques exceptions près (Europe de l’Est). En effet, la plupart des critères traditionnels d'évaluation du risque pays (crédit sur PIB, endettement externe et/ou public, balances des paiements, etc…), traduisant notamment le leverage d'une économie (ou sa dépendance aux capitaux extérieurs), n'étaient pas à des niveaux excessifs.

Par le passé, ces sources de déséquilibres avaient amplifié l'impact des crises, contraignant les autorités à y répondre de manière excessive et le plus souvent par le biais d'une forte hausse des taux locaux.

De fait, la seule zone émergente faisant preuve d'un leverage excessif – l'Europe de l'Est – est celle qui a le plus souffert en termes d'ajustement macro-économique en 2009 et risque de pâtir d’un rebond moins significatif en 2010.

Sans qu'il existe une homogénéité parfaite au sein de la région, banques et consommateurs vont passer par une phase d'assainissement de leurs bilans qui pèse et continuera de peser sur la croissance. Mais ce n'est pas le cas pour les autres pays émergents. Grâce également à une montée plus modérée du chômage, ainsi qu’à des politiques économiques contra-cycliques, la demande domestique a pu jouer un rôle d'amortisseur du ralentissement de la demande mondiale.

Un moindre levier sur la demande mondiale et un centre de gravité de plus en plus tourné vers la Chine

Contrairement à une idée souvent répandue, les économies émergentes ne sont pas uniquement tournées vers la demande extérieure. Le ratio des exportations sur PIB n’est en moyenne pas plus élevé que dans les pays développés.

Il n'y a donc pas d'accentuation du cycle de la demande mondiale via les canaux de transmission commerciaux. Par ailleurs, le centre de gravité, en termes de source de croissance, s'est réorienté vers la Chine vers laquelle une part croissante (et parfois majoritaire) des exportations est destinée. Ce constat vaut tant pour les pays asiatiques que pour la zone sud-américaine. De ce point de vue, l'ampleur du plan de relance chinois a joué un rôle important pour stimuler les exportations vers la Chine, notamment celles de matières premières.

Les conditions de la surperformance future

L'absence générale de levier est une condition initiale qui va favoriser une reprise plus soutenue dans les pays émergents. La baisse des taux favorisera aussi le rebond du crédit alors que les banques n'ont pas la nécessité d'épurer leurs bilans comme leurs pairs des pays développés. Par ailleurs, la divergence des trajectoires des stocks de dettes publiques, en faveur des pays émergents, est un facteur positif pour la convergence des primes de risque. En effet, la quasi-stabilité des dettes publiques émergentes contraste nettement avec l'accroissement très net de l’endettement des pays du G3. Les conditions initiales de la surperformance économique des pays émergents sont donc bien réunies.