Pays émergents : une reprise encore en demi-teinte

par François Faure, économiste chez BNP Paribas

Les indicateurs conjoncturels vus du coté de l’offre témoignent d’un rebond de l’activité marqué dans les pays émergents à partir du printemps.

Pour autant, le redressement encore timide des exportations et le ralentissement voire la baisse du crédit domestique laisse craindre un simple rebond technique.

Les conditions de financement extérieur des pays émergents se sont améliorées comme l’atteste le dynamisme des émissions obligataires et la détente des primes de risque. Toutefois, Dans un contexte d’abondance de la liquidité, un retour prématuré des investisseurs sur les marchés d’actifs et de matières premières constitue plus un risque supplémentaire de fragilisation de la reprise économique.

Le rebond de la production industrielle et des enquêtes auprès des entreprises

Les indicateurs conjoncturels/avancés vus du coté de l’offre (production industrielle, enquêtes auprès des entreprises) indiquent que le point bas du cycle a été dépassé dans les pays émergents depuis le printemps. Sur les 24 principaux pays, la production industrielle a rebondi d’environ 17% en rythme annuel en T209 après les fortes contractions des deux trimestres précédents.

Hors Chine et Inde, le rebond est un peu moins marqué mais supérieur à 10%. Par grandes zones, la reprise industrielle a été forte et quasi générale en Asie. Elle s’observe également en Amérique latine et même en Europe centrale (Turquie comprise). Les estimations du produit intérieur brut, disponibles jusqu’au deuxième trimestre dans la plupart des pays d’Asie, ont confirmé les signes de retournement de l’activité dans l’industrie ; le PIB agrégé des 10 principaux pays d’Asie a accéléré à 10.5% l’an (9.3% hors Chine et Inde) après 3.8% au premier trimestre (-4.5% hors Chine et Inde).

L’embellie conjoncturelle semble s’être prolongée au cours de l’été; en juillet, les indices de production industrielle disponibles ont continué de progresser dans les pays déjà en phase de reprise (Brésil, Chine, Corée du Sud, Pologne, Singapour, Thailand) et se sont redressés dans les pays encore en récession industrielle au printemps (Russie). Le climat de confiance s’est consolidé également comme l’atteste la progression des indices de confiance auprès des directeurs d’achat.

… contraste avec le redressement encore timide des exportations et le ralentissement du crédit domestique

L’amélioration des indicateurs d’offre reflète-elle toujours le simple rebond technique largement attendu après la chute d’activité de la fin 2008/début 2009 ou bien une reprise durable ?

L’évolution des exportations et celles du crédit domestique fait encore pencher pour la première hypothèse ou du moins pour une reprise progressive. En effet, hors énergie et matières premières, les exportations en valeur des pays émergents1 se sont tout juste stabilisées au deuxième trimestre (-0.6% en rythme annuel sur un trimestre après environ -35% au dernier trimestre 2008 et premier trimestre 2009)2 . En glissement sur un an, les exportations hors énergie affichaient toujours un recul de 17% au deuxième trimestre 2009, à comparer avec -2% pour la production industrielle (-9% hors Chine et Inde).

En ce qui concerne la demande intérieure finale, le dynamisme des achats d’automobiles et/ou des ventes au détail chez certains des BRIC (Chine et, dans une bien moindre mesure, le Brésil et l’Inde) témoignent d’une certaine résistance de la consommation des ménages mais ils donnent cependant une vision partielle de la situation domestique. Ainsi, hors Chine, le crédit domestique dans les pays émergents continue de décélérer, en termes nominaux comme en termes réels.

En rythme instantané, il baisse même dans les principaux pays d’Europe centrale et dans ceux d’Amérique latine. Ce ralentissement/baisse du crédit traduit une moindre demande de la part des entreprises et surtout des ménages. Les banques se montrent plus sélectives notamment en Europe centrale et en Russie même si, en règle générale, leur liquidité satisfaisante leur confère toujours une capacité à prêter a priori élevée. La hausse en termes réels des taux d’intérêt domestiques, conséquence de la décélération de l’inflation, risque de conforter les ménages à se désendetter et les entreprises à investir. Par ailleurs, comme dans les pays avancés, les pays émergents font face à une montée du chômage.

Amélioration des conditions de financement extérieur mais vulnérabilité accrue aux flux d’investissements de portefeuille 

Heureusement, les conditions de financement extérieur des pays émergents ont continué de s’améliorer. Les primes de risque sur les dettes libellées en dollar ont continué de se réduire tant pour les emprunteurs souverains que pour les grandes entreprises et les banques, mais n’ont pas encore retrouvé leur point bas de la mi-2007.

Les émissions obligataires internationales des 30 principaux pays émergents qui s’étaient pratiquement asséchées au dernier trimestre 2008, ont redémarré dès le premier trimestre 2009 et ont accéléré jusqu’à l’été.

En revanche, entre janvier et juillet, les prêts bancaires syndiqués sont restés à un niveau bas de moitié inférieur à ce qu’ils étaient sur les mêmes périodes de 2007 et 2008.

L’évolution la plus marquante est l’afflux d’investissements de portefeuille, notamment de la part de fonds action dédiés aux pays émergents, après les sorties massives enregistrées au deuxième semestre 2008. Les souscriptions nettes aux fonds actions ont atteint environ 35 milliards de dollars entre janvier et la mi-août soit presque autant que sur l’ensemble de l’année 2007.

La prééminence des investissements de portefeuille dans les sources de financement extérieures accroît la vulnérabilité extérieure des pays. Des bulles d’actifs sont en gestation qu’elles soient dues aux investisseurs étrangers comme pour les prix des matières premières ou par les résidents eux-mêmes comme la bulle boursière chinoise. Dans un contexte d’abondance de la liquidité, un retour prématuré des investisseurs sur les marchés d’actifs et de matières premières constitue plus un risque supplémentaire de fragilisation de la reprise économique.

NOTES

  1. Sur un échantillon de 22 pays. Selon les pays, ont été retenues les exportations de produits manufacturés ou, à défaut, les exportations totales hors énergie et/ou autres matières premières quand celles-ci représentent une part importante des exportations totales (ex. pétrole et produits pétroliers pour l’Indonésie, produits pétroliers et huile de palme pour la Malaisie). Les exportations des prioncipaux pays de la CEI (Kazahkstan, Russie,Ukraine) ne sont pas prises en compte. La stagnation des exportations en valeur Ce qui signifie probablement une hausse en volume car les prix des exportations des produits manufacturés ont probablement diminué au cours du premier semestre 2009.
  2. La stagnation des exportations en valeur Ce qui signifie probablement une hausse en volume car les prix des exportations des produits manufacturés ont probablement diminué au cours du premier semestre 2009. En Asie, le volume des exportations de biens et services ont ainsi progressé de 30% l’an en T209 en ligne avec la reprise chinoise.

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