Podemos pourrait bien bousculer les prochaines élections législatives espagnoles

par Nicolas Doisy, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

Jusqu’à l’alliance électorale conclue entre Podemos et Izquierda Unida début mai, les prochaines élections semblaient augurer d’un bis repetita du dernier scrutin ; désormais, Podemos peut clairement reprendre la main aux partis traditionnels. En effet, cette alliance vient renforcer de près de 5 % le score de 20 % de Podemos dans les sondages d’opinion (et aux élections de décembre dernier), ce qui pourrait avoir les conséquences suivantes: (i) Podemos pèserait autant que le PSOE aux élections et au Parlement et (ii) donnerait quasiment une majorité parlementaire (à peu de chose près) à la gauche (PSOE + Podemos). Alors que cette alliance a peu de répercussions sur le PSOE, le PP et Ciudadanos devraient en être les grands perdants.

Podemos est bien placé pour offrir à la gauche la majorité grâce à sa récente alliance avec les communistes

1. Podemos est clairement le parti qui donne le « la » dans ces élections grâce à sa montée en puissance progressive

Depuis février dernier, ces élections semblent s’articuler autour de la confrontation entre un parti de gauche (Podemos), qui donne le ton, et la droite au pouvoir (PP), qui fait son possible pour s’y opposer :

  • Tout gain enregistré par Podemos dans les sondages reste intact après deux semaines, alors que tous les autres partis cèdent du terrain: PSOE (-20 % de ce gain), Ciudadanos (-25 %) et PP (-30 %) ;
  • Le PP, le parti ne conserve que 20 % d’un gain initial deux semaines plus tard, tandis que le PSOE et Ciudadanos progressent respectivement de 12 % et 15 % de ce gain, et Podemos recule de 65 %.

Parallèlement, le PSOE et Ciudadanos jouent les seconds violons dans la mesure où (i) ils ne sont pas aptes à faire évoluer durablement les sondages et (ii) leurs scores évoluent au gré de l’influence des autres adversaires :

  • Un choc sur le score du PSOE et de Ciudadanos a tendance à se dissiper pour tous les partis (y compris le PSOE et Ciudadanos) après deux semaines : toute progression n’est donc que passagère pour ces deux partis ;
  • Les évolutions des scores de Podemos et du PP ont tendance à influer durablement sur les scores de Ciudadanos et du PSOE (effets permanents), comme indiqué dans le paragraphe précédent.

2. Mathématiquement, l’alliance électorale avec Izquierda Unida place Podemos sur un pied d’égalité avec le PSOE

Jusqu’à la conclusion de l’alliance électorale entre Podemos et Izquierda Unida, les sondages annonçaient un bis repetita des élections de décembre dernier, c’est-à-dire un parlement « bloqué », avec une majorité relative de la droite. En effet, avec 20 % dans les sondages, rien ne présageait que Podemos fasse mieux qu’aux dernières élections, à l’issue desquelles le parti était ressorti comme le troisième groupe au Parlement avec un cinquième des sièges. Par conséquent, Podemos n’aurait une nouvelle fois pas été en mesure de prétendre à la formation d’une majorité parlementaire avec le PSOE : en effet, le PP et Ciudadanos auraient conservé leur majorité relative actuelle.

Podemos a donc réalisé qu’associer ses votes à ceux d’IU renforcerait sa position politique et augmenterait son score aux élections, et peut-être aussi son nombre de sièges, grâce à la règle d’Hondt (voir encadré). En effet, tant qu’IU restait en dessous du seuil de 6 % (score à partir duquel un parti obtient un nombre de sièges plus que proportionnel à son score électoral), ses votes étaient « gâchés » : (i) ils n’étaient pas comptabilisés avec Podemos et (ii) ne pouvaient pas être utilisés pour accroître son nombre de sièges au Parlement. Pour résumer, l’alliance permet à Podemos de faire au moins jeu égal avec le PSOE, en termes de votes et de sièges.

Bien que le Partido Popular soit le seul parti en mesure de freiner durablement l’essor de Podemos, cela ne sera pas chose aisée

1. Le PSOE et Ciudadanos n’étant pas en mesure d’enregistrer des progressions durables, le PP est le seul véritable adversaire de Podemos

La dynamique des sondages est devenue bien plus claire depuis février, quand il est devenu évident qu’un gouvernement ne serait pas formé: le PSOE et Ciudadanos ne sont plus en mesure d’enregistrer des gains durables. Par conséquent, ces deux partis ne sont plus en position d’être de véritables adversaires dans la mesure où ils ne parviennent pas à peser sur les scores de leurs opposants respectifs (Podemos et le PP) dans les sondages au-delà de quinze jours. C’est pourquoi Ciudadanos devrait être considéré comme un baromètre, puisque ses scores sont influencés par tous les autres adversaires (tandis que ceux du PSOE n’évoluent que suite à un choc affectant la corrélation PP-PSOE).

Le score de Podemos ne peut fluctuer que suite à deux types d’évènement : (i) évolution du taux de participation des électeurs (évènement exogène) et (ii) évolution du score du PP (évènement interne au système).

  • Dans le système, le score de Podemos n’évolue que suite à des chocs sur la corrélation Ciudadanos-PP, signe qu’une partie de l’électorat de Podemos est clairement et directement opposée au PP, voire à toute la droite ;
  • L’autre partie de l’électorat de Podemos semble composée de personnes qui ne votent généralement pas, si bien que le parti mène le jeu en faisant entrer dans la danse de nouveaux électeurs.

2. Compte tenu de la capacité limitée du PP à enregistrer des gains durables, seule une alliance PSOE-PP-Cs pourrait contrer Podemos

Le Partido Popular est le seul autre parti dont les scores ne dépendent pas vraiment des autres, tout en étant en mesure de conserver une partie de ses gains dans les sondages, contrairement au PSOE et à Ciudadanos. Par conséquent, le PP est seul en lice pour contre-attaquer les initiatives de Podemos, le PSOE et Ciudadanos n’étant pas réellement capables d’aider à réduire le score de Podemos, ni d’accroître durablement leurs propres performances électorales. Toutefois, le poids lourd de la droite semble être dans une mauvaise posture, car le PP ne conserve que 20 % de toute progression dans les sondages après quinze jours, tandis que Podemos semble conserver durablement ses avancées.

La seule stratégie viable pour que le PP stoppe l’essor de Podemos serait de conclure une alliance stratégique avec les deux autres partis (le PSOE et Ciudadanos), puisque tout compte fait ces derniers bénéficient à hauteur de plus de 25 % des gains du PP. En effet, toute progression du PP dans les sondages bénéficie en fin de compte (c’est-à-dire après deux semaines) au PP à hauteur de 20 %, au PSOE à hauteur de 15 % et à Ciudadanos à hauteur de 12,5 %, tandis que seul Podemos est perdant dans l’affaire (à hauteur de 65 %). On peut donc tirer deux leçons : (i) seul le PP est réellement en mesure de contrer Podemos (ni Ciudadanos, ni le PSOE), et (ii) cela bénéficie aussi aux adversaires qui ne peuvent pas contribuer à cette contre-attaque (Ciudadanos et PSOE).

Conclusion

Si l’élection devait se tenir dans une quinzaine de jours, l’accroissement de 4 % de Podemos dans les sondages se traduirait par un gain de 17 sièges au Parlement tandis que les trois autres partis perdraient ensemble 12 sièges (voir graphique 1 à 8) :

  • En effet, l’alliance de Podemos avec IU enlève 5 sièges aux petits partis au bénéfice des grands partis, ce qui aurait pour effet de marginaliser un peu plus les petits partis ;
  • Tandis que Podemos gagnerait ces 17 sièges (pour atteindre 87 sièges), PSOE en perdrait 3 (descendant à 87), Ciudadanos 4 (descendant à 36) et Partido Popular 5 (descendant à 118).

En toute logique, la première réaction à l’annonce de l’alliance Podemos-IU a été celle du leader du PP, Mariano Rajoy, qui s’est empressé de promettre des baisses d’impôts : l’objectif de contrer Podemos semble assez évident. Compte tenu de la dynamique globale des sondages qui mettent essentiellement en opposition Podemos et le PP, cette réaction semble très rationnelle : en effet, à moins d’une augmentation conséquente de la participation des électeurs opposés à Podemos ou d’une fuite vers les partis marginaux, l’essentiel (c’est-à-dire les trois quarts) de la progression de 4 % enregistrée par Podemos pourrait très bien se traduire par une perte combinée pour les trois autres concurrents (20 % du gain de Podemos pour le PSOE, 25 % pour Ciudadanos et 30 % pour le PP)1.

Quinze jours devront probablement s’écouler avant que les sondages ne digèrent l’annonce de cette alliance et se stabilisent autour de leur nouvelle tendance, à moins que la contre-attaque du PP ne parvienne à saper cette initiative stratégique de Podemos. En effet, le PP est le seul parti traditionnel capable d’éroder durablement le score de Podemos, même si finalement il ne devrait que peu en profiter lui-même (puisque Ciudadanos et le PSOE bénéficieront également de cette contre-attaque). Alors qu’il reste encore un mois avant les élections, le temps est compté pour le PP (s’il ne joue pas contre lui), puisque les reports de voix mis en évidence par les sondages plaident en faveur d’une alliance improbable PP-PSOE-Ciudadanos.

NOTE

  1. Cette estimation donne l’impact maximal de la progression de Podemos dans la mesure où elle inclut les effets de « second tour » sur les scores des autres partis. Parallèlement, on peut considérer que l’alliance de Podemos et Izquierda Unida ne fait qu’ajouter quelques points de pourcentage au score de Podemos sans perte de voix pour les autres partis: on obtient alors l’impact minimal. Plus simplement, l’impact direct de l’alliance de Podemos avec IU met au moins la nouvelle liste sur un pied d’égalité avec le PSOE (il s’agit de l’impact minimal), tandis que si l’on prend en compte les effets de « second tour » sur l’ensemble de l’électorat, les scores de tous les autres partis diminuent, ce qui pourrait ainsi placer Podemos devant le PSOE.