Point sur la récente baisse des marchés

par Philippe Ithurbide, Directeur de la Recherche, Stratégie et Analyse, et Didier Borowski, Responsable de la macroéconomie chez Amundi

Le début de l’année démarre avec une forte baisse des marchés d’actions, une dépréciation du yuan et une nouvelle fermeture des marchés chinois, un scénario qui n’est pas sans rappeler celui du mois d’août dernier. Les mêmes craintes ont refait surface : un effondrement de la croissance américaine et mondiale, un atterrissage en catastrophe de l’économie chinoise, des resserrements monétaires inappropriés de la part de la Fed, une situation géopolitique complexe, et la liste est incomplète !

En ce tout début d’année, il n’est pas inutile de rappeler les grandes tendances actuelles. 2015 a été une année de ralentissement économique, de découplage croissant entre les économies des pays émergents et celles des pays avancés, entre États-Unis et zone euro (pour les politiques monétaires). 2015 a également été une année de plus forte volatilité, de fortes variations des devises, de nouvel effondrement du cours des matières premières et de remontée des spreads de crédit. Certes, les taux sont restés bas, ainsi que les spreads des pays périphériques de la zone euro, mais la situation est devenue plus complexe sur les obligations d’entreprises souffrant d’un élargissement des spreads et d’une liquidité moindre.

Au total, tous les grands facteurs de risque identifiés se sont matérialisés en 2015, à des degrés divers, ce qui en fait indubitablement une année charnière : une crise européenne, une crise sur les émergents, des craintes sur la croissance mondiale, des craintes sur un « hard landing » chinois, un retour de la volatilité, des risques spécifiques (Russie, Brésil…), une nouvelle baisse des prix des matières premières, de forts réalignements des cours de change et des craintes de guerre des changes, des risques géopolitiques… Depuis le début de l’année 2016, deux de ces thèmes – le prix du pétrole et la Chine –sont plus particulièrement revenus sur le devant de la scène. Dans la présente note, nous expliquons pourquoi nous n’avons pas radicalement changé nos vues au cours des dernières semaines.

Chute du prix du pétrole : de quoi est-ce le signe ?

Le prix du baril de Brent a chuté de près de 75 % depuis la mi-2014. Il s’agit du plus important contre-choc pétrolier jamais vu. La baisse récente – de 50 $ fin octobre à 28 $ le 18 janvier – s’explique quasi entièrement par un excès d’offre qui tend à s’accroître davantage avec (1) la nouvelle stratégie des pays de l’OPEP (qui ont décidé début décembre d’augmenter leur production autant que nécessaire pour maintenir leur part de marché) et (2) le retour imminent de la production iranienne sur le marché international. En procédant ainsi, l’OPEP cherche à contraindre les producteurs non conventionnels (au premier rang desquels les États-Unis) à couper leur production. Même si cette « stratégie de guerre des prix » finira par porter ses fruits, il faut avoir conscience qu’il faudra du temps pour résorber l’excès d’offre. C’est la raison pour laquelle les prix du pétrole vont rester sous pression. Dans le courant de l’année, les États-Unis vont sans doute réduire très significativement leur production. Nous tablons donc sur un rebond du prix du pétrole qui devrait se stabiliser au-dessus de 40 $ le baril, mais probablement pas avant le second semestre.

La chute du prix du pétrole ne constitue pas une menace pour la macroéconomie mondiale.

Tout au contraire, la faiblesse des prix de l’énergie devrait stabiliser voire doper la demande domestique dans les pays qui en sont importateurs nets. Ceci dit, la pression s’est considérablement accrue au cours des derniers mois sur les pays exportateurs de pétrole ainsi que sur les compagnies du secteur pétrolier (dans le monde entier). Dans la mesure où les prix du pétrole et le dollar sont très fortement corrélés – le dollar s’apprécie, notamment face aux devises émergentes, quand le pétrole chute – les entreprises des pays émergents qui se sont endettées en dollar au cours des dernières années sont très affaiblies. Dans ce contexte, les marchés craignent qu’une cascade de défauts (d’entreprises voire de souverains) ne se profile et ne fasse dérailler la croissance mondiale. Néanmoins, même s’il est clair que les défauts vont augmenter cette année (dans le secteur de l’énergie ou du côté des entreprises des pays émergents), nous maintenons qu’il n’en résultera pas de récession mondiale.

En dépit du ralentissement mondial, la croissance du PIB mondial est restée supérieure à 3 % en 2015 pour la quatrième année consécutive. Même si elle a donné de réels signes d’essoufflement dans certaines zones (en Chine ou encore aux États-Unis notamment au T4 2015), la croissance mondiale devrait rester voisine de 3 % en 2016-2017. Les prévisions du consensus sont certes encore trop élevées mais les craintes de récession mondiale sont très exagérées. Le découplage que nous avons observé l’an dernier entre économies avancées et émergentes va probablement se poursuivre en 2016.

La Chine ralentit mais c’est un chemin tout naturel pour une économie en développement

Le ralentissement en Chine n’a rien de nouveau et était, à bien des égards, inéluctable. Il est lié à la démographie et à un changement de modèle économique dans lequel les services prennent progressivement le relais de l’industrie. L’économie, qui est au beau milieu d’une crise de surcapacité, va continuer de ralentir. En fait, c’est la croissance potentielle qui s’affaiblit (population vieillissante, ralentissement des gains de productivité) tout comme d’ailleurs dans de nombreuses économies émergentes. Cependant la bonne nouvelle est qu’un rééquilibrage est en cours ; on observe un déplacement de l’activité de l’industrie vers les services en lien avec un changement des moteurs de croissance: moins d’investissements et plus de consommation. En fait, la croissance du PIB réalisé dans les services s’est accélérée quelque peu l’an dernier (de +7,8 % en glissement annuel au T4 2014 à 8,3 % au T4 2015) tandis qu’elle ralentissait nettement dans l’industrie (de +7,3 % en glissement annuel au T4 2014 à 6 % au T4 2015). Les services contribuent déjà très largement aux créations d’emplois. Grâce au découplage entre services et industrie, la croissance devrait être proche de 6 % en 2016 et 2017. Le « potentiel des services » – dont le développement dans les pays avancés s’est avéré étroitement lié à la progression des revenus par habitant – est très certainement sous-estimé par les opérateurs de marchés. À la lumière des expériences des pays avancés, nous nous attendons à ce que l’économie chinoise soit de plus en plus tirée par les services au fil de son développement. En 2016, le rééquilibrage en cours devrait permettre d’amortir un ralentissement plus prononcé du secteur manufacturier.

En outre, en cas d’urgence, la banque centrale (PBoC) et le gouvernement interviendraient sans doute conjointement pour stabiliser la situation. Les autorités chinoises conservent d’amples marges de manœuvre tant sur le plan budgétaire que monétaire. La PBoC pourrait ainsi rapidement emboîter le pas aux autres grandes banques centrales en mettant en place un programme d’assouplissement quantitatif (QE). Nous sommes convaincus que tout événement susceptible de mettre en danger le rééquilibrage en cours de l’économie vers la consommation provoquerait une réponse rapide de politique économique. Le gouvernement et la banque centrale mobiliseront tous les outils à leur disposition pour lisser la phase de transition actuelle et éviter un « atterrissage brutal » (hard landing) de l’économie.

La question du yuan (qui fera partie de la composition du DTS dès octobre 2016) est revenue au centre des préoccupations au cours de l’été et au début de l’année. Sa forte appréciation depuis la crise financière de 2008, favorisée par la chute de bon nombre de devises émergentes, est en effet devenue difficilement soutenable pour la Chine. Cependant une forte et rapide dévaluation du yuan est très improbable. D’une part parce que la Chine veut promouvoir le yuan en devise de réserve internationale et, d’autre part, parce que l’économie est moins dépendante de sa devise qu’elle ne l’était en 1994, quand les autorités avaient décidé de dévaluer leur devise d’un tiers. Ces dernières sont intervenues récemment afin de stabiliser le taux de change effectif et, selon toute vraisemblance, vont continuer d’agir de la sorte. Le gouvernement veut transformer le yuan en une « ancre régionale » et ce ne serait pas compatible avec une stratégie plus offensive qui serait assimilée à une guerre des changes. Cependant, il faut avoir à l’esprit que pour ce faire, la Chine pourrait devoir rétablir le contrôle des capitaux.

En ce qui concerne l’économie mondiale, ajoutons les éléments suivants :

* Même si le ralentissement concerne également les États-Unis, il n’y a pas de récession en vue outre Atlantique en dehors du secteur manufacturier. Le commerce extérieur va certes peser sur la croissance en 2016. Mais les services qui représentent l’essentiel de l’économie américaine continueront de bénéficier de la bonne tenue de la consommation des ménages. Ceci étant dit, le cycle est déjà très en avance sur celui de la zone euro. Avec l’appréciation rapide du dollar notamment, le cycle des profits touche probablement à sa fin. Après un trou d’air (la croissance a très fortement ralenti au T4 2015), la croissance devrait, au mieux, se caler sur son potentiel ; or ce dernier a beaucoup baissé depuis la grande crise financière (sans doute légèrement en deçà de 2 %). Dans ces conditions, la Fed préférera attendre avant de remonter une nouvelle fois ses taux directeurs.


* Le ralentissement économique a été également très marqué dans la plupart des pays émergents. La trop forte dépendance au commerce mondial et aux matières premières (dont le prix chute depuis plusieurs années) n’est souvent pas compensée par la demande domestique, et certains grands pays (Russie, Brésil) sont tombés dans une récession parfois sévère. Seuls les pays consommateurs de matières premières sont avantagés, même s’ils n’ont pas pu échapper à la tourmente financière récente. 
• La zone euro est un cas à part : après des années difficiles, la zone profite de l’environnement de taux bas (taux courts et longs), de la défragmentation financière en cours, de politiques économiques – y compris budgétaires – plus accommodantes, de la baisse de l’euro et pour certains pays, d’une reprise plus nette de la demande interne. La croissance n’est certes pas spectaculaire, mais elle devrait être légèrement supérieure à son potentiel en 2016 et 2017.

* Autre caractéristique de l’année 2015, le repli du commerce mondial, essentiellement lié aux pays émergents. Tout semble indiquer que la globalisation cède du terrain, un fait relativement nouveau. Ce sont les moteurs de croissance interne qui redeviennent déterminants, ce qui veut dire également que le risque pays redevient crucial.

* En 2015, les risques politiques et géopolitiques sont également revenus sur le devant de la scène. Des élections à risque (Grèce, Portugal et Espagne notamment), des situations politiques complexes (Brésil, Turquie), et les attentats terroristes ont une nouvelle fois montré la fragilité de l’environnement actuel, dont on ne mesure pas encore très bien toutes les conséquences. Fin 2015-début 2016, ce sont les tensions entre l’Iran et l’Arabie Saoudite qui ont resurgi. On connaît depuis longtemps les tensions politiques, diplomatiques et religieuses entre ces deux pays, mais la crise a franchi un cap avec la rupture des relations diplomatiques.

* Dans cet environnement, les politiques monétaires restent globalement accommodantes, ce qui maintient le contexte de taux bas. La Fed a été finalement l’une des rares banques centrales à remonter ses taux en 2015. La banque centrale américaine, qui souhaitait relever ses taux pour donner un message positif sur la croissance et pour reconstituer des marges de manœuvre, a été forcée d’attendre décembre pour mettre en œuvre ce qu’elle avait annoncé. De son côté, par ses actions sur les taux (de façon directe et indirecte), la BCE a indubitablement recréé de bonnes conditions pour un meilleur accès au financement des entreprises ; mais par ses achats massifs, elle a également asséché la liquidité des marchés obligataires. Son programme d’achats se poursuivra au moins jusqu’en mars 2017. Au final, du fait de l’action des banques centrales et notamment de la BCE, la zone euro continuera d’évoluer dans un environnement de taux extrêmement faibles.

Dans un tel environnement, on retiendra cinq choses :

* Suite à la chute des prix du pétrole et en l’absence d’inflation salariale dans la plupart des économies avancées, un retour rapide de l’inflation vers les cibles des banques centrales est hors de portée en 2016. Les politiques monétaires vont donc rester très accommodantes. La Fed va « attendre et voir » avant de relever de nouveau ses taux directeurs ; la première hausse des taux de la Banque d’Angleterre (BoE) est tout sauf imminente ; et, last but not least, la BCE et la Banque du Japon (BoJ) vont toutes les deux probablement en faire davantage dans les mois qui viennent. Ceci dit, la politique monétaire ne peut pas tout et si les choses empirent, la politique budgétaire devra être mobilisée partout là où c’est possible (en Chine, aux États-Unis, au Japon voire dans certains pays européens).

* Les découplages et les divergences créent des opportunités en termes de valorisations relatives et attractivités relatives. Ce qui découle des découplages, c’est la hausse du dollar et des écarts de taux (courts et longs) entre États-Unis et Europe. Ce qui découle des divergences, c’est le retour au premier plan du risque pays et du risque spécifique (le secteur énergie dans le high yield US – en comparaison de son homologue européen – en a été l’un des exemples les plus frappants en 2015).

* Les périodes de stress créent des zones / classes d’actifs délaissées. Ce qui est délaissé – ou sous-valorisé – aujourd’hui, ce sont les actifs des pays émergents et les actifs indexés sur l’inflation, les premiers étant à court terme plus attractifs que les seconds, compte tenu de l’absence totale d’inflation.

* La prudence domine notre stratégie globale. Les révisions en baisse des prévisions de croissance ne sont pas terminées, et la situation géopolitique actuelle est probablement la plus délicate de ces dernières années : contrairement aux crises européennes, très localisées, il s’agit désormais de risques globaux, plus systémiques.

* La baisse de liquidité des marchés de taux continue de nous préoccuper. Depuis plus d’un an, nous insistons sur cet aspect. La faible liquidité, amplifiée par les politiques non conventionnelles des banques centrales, les contraintes réglementaires, l’alignement des positions des grands investisseurs (tous acheteurs de taux et de spreads) et le retrait relatif de nombre de pourvoyeurs de liquidité ajoutent du risque sur les marchés de taux… dans un environnement où la volatilité s’est déjà accrue.