Prétention française

François Hollande réclame un poste économique pour la France au sein de la future Commission européenne. L’Allemagne rechigne car Paris n’a mis en œuvre aucune réforme économique depuis deux ans pour redresser les finances publiques. Cette obsession française pour les fonctions prestigieuses explique largement la situation du pays.
 
Le chef de l’Etat a désigné son ancien ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici, pour siéger à Bruxelles. Il réclame le portefeuille des affaires économiques. Ce qui fait grincer des dents : la France a dû demander deux délais pour atteindre l’objectif de 3% de déficit public et elle va certainement en solliciter un nouveau.
 
Incapable de réduire ses dépenses publiques – seule la progression a été freinée ces dernières années –, tétanisé face à une dette qui représente quasiment 100% du PIB et qui ne cesse de progresser, timoré face aux réformes urgentes à mettre en œuvre, le gouvernement français pense donc qu’un de ses représentants est le mieux placé pour surveiller les finances publiques des pays de l’Union européenne.
 
De quoi faire agacer le très placide ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qui a déclaré en juillet : "Quelle serait la réaction de l'opinion publique, pas seulement en France mais dans toute l'Europe, si un tel poste était occupé par un candidat français ?" Il  a réaffirmé que la France ne devait pas bénéficier de délai supplémentaire pour réduire son déficit. "La France a déjà obtenu à deux reprises plus de temps ». Pour lui, le seul fait d'en débattre « ne crée pas de la confiance  mais au contraire de l'incertitude".
 
Comme pour lui donner raison, le gouvernement français a fini par reconnaître, le 14 août, qu’il ne tiendrait pas son objectif de ramener le déficit à 3% en 2015 et qu’il réclamerait donc de nouveau l’indulgence de ses partenaires.
 
Comment expliquer la position française ? Simplement : les dirigeants politiques français, de gauche comme de droite, pensent généralement qu’ils sont plus intelligents que leurs partenaires étrangers. Ils estiment que leur formation – le plus souvent Sciences Pô et l’ENA – leur donne un avantage intellectuel sur les autres.
 
Dans leur mode de pensée, seul le prestige compte. Ils n’ont que faire de la culture du résultat chère aux Allemands. Un Français ne peut pas exercer une fonction subalterne. C’est au nom de ce principe que Paris a bataillé pour placer ses hommes à la tête de grandes institutions internationales comme le Fonds monétaire internationale (FMI), la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) et la Banque centrale européenne (BCE).
 
Si les Français s’en sont plutôt bien sortis au FMI, il n’en fut pas de même à la BERD où Jacques Attali s’est pris pour le roi soleil, multipliant les dépenses pour embellir le siège et oubliant sa mission première, qui était de soutenir les anciens pays communistes.
 
A la BCE, ce fut pire. Jean-Claude Trichet, qui est un haut fonctionnaire, a voulu montrer qu’il était un vrai banquier central. Pour plaire aux Allemands, il a épousé leur discours sur l’inflation, multipliant les déclarations contre cette menace fantôme et ratant totalement la gestion de la crise de 2008. Il a fallu l’arrivée de Mario Draghi, un Italien connaissant les marchés financiers, pour que la BCE ajuste sa politique.
 
Moscovici est un homme intelligent mais son bilan à Bercy ne plaide pas pour lui. Il n’est pas le seul responsable. Dès son arrivée à l’Elysée, Hollande a eu une seule obsession : défaire tout ce que son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait fait. Ce qui a entraîné une perte de perte et d’énergie. Dans le même temps, il a nié la réalité la crise économique, pariant sur une retour de la croissance au second semestre 2013 pour résoudre tous les problèmes du pays. De fait, il n’a engagé aucune réforme de fond.
 
Il peut plaider qu’il a mis en place le crédit d'impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) pour aider les entreprises mais c’est une telle usine à gaz que tout le monde s’y perd. Même chose pour le Pacte de responsabilité, extrêmement compliqué et vidé d’une partie de sa substance puisque le Conseil constitutionnel a annulé les allégements de charges salariales sur les salaires inférieurs à 1,3 SMIC.
 
Par volonté de se démarquer de Sarkozy et aussi par idéologie, le chef de l’Etat a cassé la confiance. Le chiffre de la croissance au deuxième trimestre (zéro) l’illustre parfaitement : la consommation des ménages a progressé de 0,5% mais cela s’explique par une croissance de 3,5% des dépenses d’énergie compensant une baisse de 3,9% au trimestre précédent ; la dépense publique a augmenté de 0,5%. Coté négatif, l’investissement des entreprises a reculé de 0,8% et la contribution du commerce extérieur a été négative de 0,1 point de PIB.
 
Quel chef d’entreprise peut aujourd’hui prendre le risque d’investir en France alors qu’il n’y a aucune visibilité sur la fiscalité par exemple. Hollande et son gouvernement ont promis de ne plus augmenter les impôts mais les contribuables qui reçoivent leurs avis en ce moment constatent une hausse significative. Plus de 1,2 million d’entre eux, les plus modestes, ont déjà dû demander un délai pour payer en 2013 et ils seront encore plus nombreux cette année, selon les syndicats de l’administration fiscale.
 
Et ce n’est pas fini : la situation des finances publiques est tellement catastrophique que tout le monde s’attend à une nouvelle hausse des impôts et taxes. Comment dans ces conditions avoir confiance et prendre le risque d’investir et d’embaucher ?
 
Avant de réclamer des postes de prestige, le gouvernement français doit donc faire sa révolution et s’adapter enfin aux lois de l’économie, qui ne sont ni de droite ni de gauche. S’il prend, enfin, des mesures visant à réduire les dépenses publiques et à améliorer le fonctionnement de l’administration, il pourra demander un poste de prestige. 
 
Dans le contexte actuel, on ne voit pas les partenaires européens confier au plus mauvais élève de la classe la responsabilité de présenter les cours et de sanctionner.