Prédictions autoréalisatrices

Et si la zone euro finissait par exploser ?

Et si la zone euro finissait par exploser ? A force de l’évoquer depuis des mois, ceux qui misent sur cette possibilité, souvent par intérêt politique ou financier, vont finir par avoir raison face à des dirigeants politiques qui multiplient les erreurs.

Nous sommes typiquement dans le cas des prophéties autoréalisatrices : le débat permanent sur la disparition de la monnaie unique européenne a fini par modifier les comportements de nombreux acteurs, y compris ceux qui étaient le plus attachés à la construction de la zone euro.

Commençons par le début : les Anglo-saxons – investisseurs mais aussi media, dont les agences de presse financière, les régulateurs et les politiques – n’ont jamais vraiment accepté la création de l’euro. Certains, les politiques, ne voulaient pas d’un ensemble intégré pouvant devenir un acteur puissant dans les échanges internationaux. D’autres, plus nombreux, voyaient surtout le risque de perdre une activité lucrative : une partie des transactions sur les marchés de devises.

Ceux là spéculent depuis des mois sur la fin de l’euro. Des plateformes transactionnelles sur les devises testent même des solutions en vue du retour aux 17 monnaies nationales.

Un riche Britannique, Lord Wolfson, a même un prix doté de 250.000 livres (286.500 euros) pour récompenser celui qui trouverait un scénario de sortie en douceur de l'euro.

On pourrait en sourire. Mais cela montre que, aux portes de la zone euro, nombreux sont déterminés à faire échouer le processus d’intégration européenne.

Dans ces conditions, on pourrait s’attendre à une cohésion renforcée des dirigeants politiques de la zone euro, en particulier en Allemagne et en France. Or, c’est tout le contraire qui se passe.

Ainsi, comme l’a rappelé récemment Philippe Delienne, président de Convictions AM, la CDU, parti de la chancelière allemande Angela Merkel, a travaillé sur le scenario de la sortie d’un pays de la zone euro. Chose inimaginable il y a encore quelques mois

Jacques Delors, ancien président apprécié de la Commission européenne et un des architectes du système monétaire européen, vient lui-même d’apporter de l’eau au moulin des adversaires de l’euro en déclarant dans une interview au quotidien britannique et eurosceptique The Daily Telegraph que la monnaie unique était vouée à l’échec dès le départ. Il explique certes que des solutions existent pour sortir de la crise mais le fait d’évoquer le risque d’échec conforte les adversaires de la zone euro et inquiètent les investisseurs.

Ce que les responsables politiques ne comprennent pas c’est qu’ils n’ont pas le droit de réfléchir à voix haute. Soit ils ont une solution et ils la mettent sur la table. Soit ils jugent que l’euro n’a aucune chance de survie et ils en tirent les conclusions. Mais ils n’ont pas le droit de tergiverser comme ils le font depuis le début des difficultés de la Grèce, au printemps 2010. Ils ajoutent de l’incertitude à l’incertitude et les conséquences sont dramatiques pour les pays membres et leurs peuples.

Les atermoiements provoquent des tensions sur les taux d’intérêt des pays fragilisés. Alors que les taux à 10 de l’ensemble des pays de la zone euro se situaient sous la barre des 5% en novembre 2009, ils sont aujourd’hui de 30% pour la Grèce, de plus de 10% pour le Portugal, de 9% pour l’Irlande (même si la situation s’améliore pour ce pays qui était à 15% au printemps), de 7% pour l’Espagne et l’Italie. L’Allemagne est devenue une valeur refuge (2,3%) à un point absurde : compte tenu de l’inflation, un investisseur qui achète des obligations d’Etat allemande voit son patrimoine s’éroder.

Et la France ? Elle vient de réussir à emprunter à 3,65%, une baisse sensible. Alors que l’écart de taux avec l’Allemagne avait atteint 200 points de base mi-novembre, il est aujourd’hui inférieur à 100 points. Combien de temps cela va-t-il durer ? Personne ne peut se prévoir car les finances publiques françaises demeurent dans un état difficile et le président sortant Nicolas Sarkozy exclut, après deux plans en trois mois, de prendre de nouvelles mesures d’austérité à l’approche de l’élection présidentielle.

Il faut souligner aussi que la chancelière allemande Angela Merkel a une attitude intransigeante pour des raisons de politique intérieure, les élections générales étant prévues en 2013. Il y a peu de chance qu’elle change d’ici là.

On peut comprendre que les dirigeants politiques actuels se montrent prudents alors que les dernières élections ont provoqué la défaite des pouvoirs en place (Portugal, Espagne sans oublier les changements sans élection en Grèce et en Italie). Mais il est incompréhensible qu’ils ajoutent de la confusion et de l’incertitude par des propos inconsidérés. Car leurs pires cauchemars pourraient bien se réaliser.