Premières réflexions après le vote britannique

par Julien-Pierre Nouen, Directeur des études économiques, et Matthieu Grouès, Associé-Gérant, Responsable de la stratégie et de l'allocation d'actifs chez Lazard Frères Gestion

Les Britanniques ont finalement choisi de mettre un terme à près de 40 ans de participation à la construction européenne. Avec un niveau de participation élevé, ce sont 51,9% des électeurs qui ont fait ce choix. Durant la campagne, les arguments économiques sont passés au second plan derrière la question de l’immigration qui a polarisé le débat.
La réaction des marchés est évidemment mauvaise : c’est une source d’incertitude importante qui vient de se matérialiser.

Les indices actions européens ont ouvert la séance sur des baisses de l’ordre de -11%. Si les marchés risquent de rester volatils dans les prochains jours, il n’est pas impossible que le point bas soit atteint dès aujourd’hui. La devise britannique se retrouve sous pression, avec une baisse de 8,5% face au dollar (5% face à l’euro). Sans surprise, les obligations souveraines des pays core s’apprécient nettement, le taux à 10 ans des obligations allemandes est passé de 0,09% à -0,15%. Les primes de risque sur les pays périphériques augmentent. Mais au-delà de cette réaction épidermique, quel sera l’impact durable de ce vote ? S’il faudra du temps pour tirer toutes les conséquences tant économiques que politiques de ce vote historique, voici dans cette note nos premières réflexions « à chaud ».

Quel planning pour les prochaines semaines ?

À court terme, pas de changement. David Cameron a déclaré qu’il resterait premier ministre jusqu’en octobre, date à laquelle le parti conservateur désignera un nouveau premier ministre. Boris Johnson fait évidemment figure de favori. Ce sera à ce nouveau premier ministre de décider l’activation de l’article 50 du traité de l’Union Européenne.

Quand est-ce que l’article 50 du Traité de l’UE sera invoqué ?

Les partisans du Brexit ont argué de la possibilité de mener des négociations préliminaires. Les autorités européennes ont prévenu qu’un vote en faveur de la sortie rendrait nécessaire un recours rapide à l’article 50 pour commencer les négociations. Selon des experts constitutionnels, il n’y a pas d’autre voie pour lancer la procédure.

Que vont faire les banques centrales ?

À court terme, elles vont assurer une ample liquidité aux marchés financiers, pour amortir le choc, la banque du Japon et la banque d’Angleterre se sont déjà exprimées dans ce sens. À moyen terme, les banques centrales vont sans doute prendre le temps d’observer l’impact sur l’économie réelle. Concernant la Réserve Fédérale, la probabilité d’une hausse des taux durant les prochaines réunions s’est nettement réduite. La probabilité de nouvelles mesures de la BCE et de la Banque du Japon augmente. C’est particulièrement vrai pour cette dernière dans la mesure où le yen va sans doute s’apprécier assez nettement, comme d’autres devises refuge telles que le Franc Suisse. Des interventions de la BNS sont sans doute probables.

L’incertitude et la devise vont peser sur l’économie réelle

Comme nous le mentionnions dans notre note publiée le 30 mai 2016 « Brexit : plus qu’un risque, une incertitude », il n’y aura pas de changements concrets dans l’immédiat. C’est essentiellement par les canaux de l’incertitude et de la devise que cet événement va peser sur l’économie réelle. Au Royaume-Uni, l’investissement va sûrement baisser, la consommation va être pénalisée par le renchérissement des importations. Par ailleurs, la situation politique va rester compliquée, avec notamment le risque d’un nouveau référendum sur l’indépendance en Ecosse. Compte tenu du poids des exportations vers le Royaume-Uni dans le PIB de la zone euro (3%), les effets directs sur l’économie de la zone euro seront relativement limités (sans doute autour de 0,3 ou 0,4% du PIB) mais on peut s’interroger sur les effets indirects.

La contagion politique est l’élément le plus craindre

Le choix britannique pourrait apporter de l’eau au moulin des partis eurosceptiques partout en Europe. On peut imaginer que certains pays comme le Danemark, la Finlande ou les Pays-Bas en viennent à se poser la même question dans les années à venir. Ce week-end, l’Espagne doit voter à nouveau pour désigner son parlement. En Italie, le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui a adopté un positionnement très eurosceptique, a remporté des victoires symboliques lors des municipales du 19 juin comme la mairie de Rome. Or l’Italie votera en octobre sur la réforme constitutionnelle voulue par Mateo Renzi, un scrutin qui pourrait devenir un plébiscite pour ou contre le Président du Conseil. Une contagion politique mettrait sans doute du temps à se concrétiser et il est probable que cette thématique, même si elle ne sera jamais vraiment écartée, soit moins prégnante d’ici quelques semaines. Mais ce scrutin peut aussi jouer le rôle d’un électrochoc pour les dirigeants européens, les amenant à relancer le projet européen.

Conclusion

La baisse d’aujourd’hui correspond à une réaction épidermique qui est davantage celle des spéculateurs – cherchant à profiter de la volatilité en la provoquant – plutôt que celle des investisseurs de long terme. Pour autant, l’impact final sur l’économie mondiale et donc sur la capacité bénéficiaire des entreprises ne nous paraît pas justifier un mouvement d’une telle ampleur. Il est possible que certaines entreprises exposées au marché britannique révisent leurs prévisions de résultats, mais d’ici quelques semaines, le flux de nouvelles liées à ce sujet et susceptibles de faire baisser le marché devrait se tarir, ce qui devrait permettre au marché de se stabiliser voire de se redresser.