Quantitative easing : après la BoE, au tour de la Fed

par Helène Baudchon and Gregory Claeys, économistes au Crédit Agricole

La Fed a créé l’événement ce mercredi 18 mars en annonçant, à l’issue du FOMC, qu’elle allait acheter jusqu’à 300 milliards de dollars de titres longs du Trésor américain à l’horizon des six prochains mois.
– Elle rajoute ainsi son nom à la liste des banques centrales qui pratiquent le Quantitative Easing
–  L’ampleur du stimulus monétaire se trouve considérablement accrue.

Le FOMC des 17-18 mars s’annonçait comme un non événement. Il n’en a rien été, la Fed prenant définitivement les devants et se lançant à son tour dans le quantitative easing, en plus de tout le reste.

Elle rajoute ainsi son nom à la liste des banques centrales pratiquant une telle politique : après la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre et la Banque Nationale Suisse, la Fed a donc franchi le Rubicon, faisant monter d’un cran supplémentaire la pression sur la BCE pour que cette dernière, à son tour, aille un cran plus loin dans sa politique non standard.

Les marchés ont fortement réagi aux nouvelles initiatives de la Fed. Elles ont été jugées défavorables au dollar, qui s’est nettement déprécié face à l’euro. Elles ont été en revanche bien accueillies par les marchés obligataires, avec une baisse significative immédiate des taux longs, qui sont passés de 3 à 2,5 %. La réaction des marchés d’actions est plus mitigée mais positive. Ces mouvements participent à la détente des conditions monétaires et financières recherchée par la Fed. Il nous paraît néanmoins prématuré de considérer cette amélioration comme un véritable renversement de tendance. La situation n’est pas encore totalement sous contrôle. L’efficacité des importantes mesures de soutien à l’activité, l’immobilier et au système financier ne fait guère de doute. Mais, d’après nous, la sortie de récession et la reprise qui suivra s’annoncent toujours comme laborieuses.

La Fed l’a fait : ZIRP + CE + QE

La Fed se démarque par l’agressivité de son action. Elle mène depuis décembre 2008 une politique de taux zéro ou presque (Zero Interest Rate Policy) et les Fed funds sont partis pour rester à ce niveau, non plus un certain temps, mais pour une période de temps prolongée. Elle mène depuis la mi-septembre 2008 une politique d’assouplissement du crédit, visible dans le doublement de son bilan, qui est passé de 1 000 à 2 000 milliards de dollars environ.

Cette politique de credit easing vise à offrir de la liquidité et du financement là où ils font défaut. D’où son programme d’acquisition de titres émis et garantis par Fannie Mae et Freddie Mac et le lancement d’une facilité de financement (la TALF pour Term Asset-Backed Securities Loan Facility) dédiée initialement au redémarrage du marché de la titrisation des crédits à la consommation et aux PME.

A l’origine, il était prévu que la Fed achète 100 milliards de dollars de titres émis et 500 milliards de titres garantis par les agences gouvernementales Fannie et Freddie. Ce 18 mars, la Fed a annoncé qu’elle allait acquérir, d’ici la fin de l’année, 100 milliards de dollars supplémentaires de titres émis et 750 milliards de dollars de plus de titres garantis. A ce rythme, l’addition grimpe vite : ce sont, y compris les 300 milliards de dollars de titres du Trésor, 1 750 milliards de dollars qui vont s’ajouter à l’actif de son bilan (auxquels on peut ajouter les 200 milliards de dollars de la TALF. C’est, indéniablement, un montant conséquent, qui équivaudrait à une baisse de taux directeur d’environ 100 points de base.

Avant le FOMC, il était acquis que la Fed était prête à en faire plus sur le terrain du credit easing. Une augmentation de ses achats de titres émis ou garantis par Fannie et Freddie était l’option la plus naturelle.

Elle a de fait répondu à ces attentes mais elle nous a en revanche pris de court en annonçant dès ce FOMC qu’elle se lançait dans le quantitative easing, c’est-à-dire dans l’acquisition pure et simple de titres longs du Trésor. On la savait préparée. C’est désormais chose faite. A l’horizon des six prochains, elle va acheter pour 300 milliards de titres du Trésor, d’une maturité allant de deux à dix ans. Ces achats seront effectués par les primary dealers via un système d’enchères, à une fréquence de deux à trois fois par semaine. Démarrage prévu : fin de semaine prochaine.

La TALF n’est pas en reste. Elle a été dotée initialement de 200 milliards de dollars. Un allongement de la liste des actifs éligibles est d’ores et déjà prévu ainsi qu’une augmentation en conséquence de son budget à 1 000 milliards de dollars. Il se dit même que le Public Private Investment Fund, une des mesures phare du plan Geithner de stabilité financière et censé sortir du bilan des banques les actifs toxiques, pourrait prendre la forme d’une extension de la TALF à ces actifs.

Nécessité fait loi

Pourquoi tout ça, cette démesure ? Parce que la Fed craint par-dessus tout l’enclenchement d’une spirale déflationniste et que, pour l’éviter, il lui faut parvenir à détendre, par tous les moyens possibles, les conditions de crédit, monétaires et financières. Elle cherche à ce que les actifs sans risque perdent de leur attrait au profit des actifs risqués. En plus de cette question d’attraction relative, la Fed a une démarche préventive, à savoir empêcher une remontée préjudiciable des taux d’intérêt longs sans risque (en cas par exemple de tassement de la demande des investisseurs). 

En janvier dernier, elle se disait préparée à acheter des titres longs du Trésor si cela pouvait s’avérer efficace pour détendre les spreads de taux et de crédit. L’évolution de certaines données conjoncturelles depuis (la consommation en particulier), un semblant d’amélioration des conditions de marché (cf. le rebond récent des Bourses), et la moindre insistance sur cette option dans les derniers discours plaidaient pour que la Fed ne passe pas à l’acte dès mars. Mais les arguments pour prendre les devants l’ont emporté. Ce sont :

  • des données conjoncturelles plus mauvaises qu’attendu dans l’ensemble ;
  • le sentiment que, en conséquence, la Fed doive augmenter plus encore la taille de son bilan pour obtenir un stimulus monétaire suffisant, et ce en utilisant tous les moyens disponibles et en même temps ;
  • un durcissement des conditions monétaires et financières depuis le dernier FOMC ;
  • l’expérience visiblement réussie de la Banque d’Angleterre.

Dans son communiqué, la Fed ne s’étend pas sur les raisons qui l’ont poussée à agir vite. Après avoir pointé des perspectives de croissance « faibles » et le risque que l’inflation ne reste un certain temps sous un rythme compatible avec le plein-emploi et la stabilité des prix à plus long terme, elle juge que, « dans ces circonstances », elle « va employer tous les outils à sa disposition pour promouvoir une reprise économique et préserver la stabilité des prix ».

Et de lister ces outils : ZIRP, credit easing et maintenant quantitative easing. Ce multi-stimulus monétaire agit mécaniquement en tirant vers le bas les taux d’intérêt et vers le haut la base monétaire. Il vise à la fois de faire baisser le prix du crédit et d’en augmenter la quantité.

Pourtant, la transmission in fine au crédit et à l’activité pose un défi. Il n’est pas impossible que la baisse des taux sans risque provoque un écartement des spreads si elle ne se propage pas. Et rien ne garantit, à ce jour, que l’augmentation de la base monétaire (somme de la monnaie et des réserves des banques auprès de la banque centrale) n’entraîne celle de l’activité et du crédit. Le multiplicateur de crédit est à la baisse (la base monétaire croît plus vite que les agrégats monétaires M1 et M2, mesures de l’offre de monnaie), le reflet du comportement de rétention des liquidités des banques. La forte augmentation récente de M1 et M2 est néanmoins un bon signe. L’offre de monnaie est réputée être un indicateur avancé du cycle. Certes, on observe une chute de la vélocité de la monnaie (ratio entre un indicateur de dépense nominale et un indicateur d’offre de monnaie). Mais un tel mouvement est mécanique et habituel en phase de récession dans la mesure où le stimulus monétaire met du temps à agir sur la croissance. C’est son ampleur qui interpelle.

Mais elle n’est pas synonyme d’inefficacité de la politique monétaire : la transmission va se faire mais dans des délais vraisemblablement plus longs encore que d’habitude.

So british

Le 19 janvier dernier, la BoE a créé l’Asset Purchase Facility pour pouvoir acheter des actifs dans le but d’assouplir les conditions monétaires et financières par d’autres moyens que par la seule baisse de son taux directeur. Dans un premier temps, elle a utilisé cette facilité pour mettre en place une politique que l’on pourrait qualifier de credit easing. Depuis le 13 février, elle a ainsi acheté des papiers commerciaux (à hauteur de 1,9 milliard de £) afin de contribuer au retour de la liquidité sur un des segments les plus endommagés du marché du crédit.

Ces achats étaient au départ financés par l’émission de T-bills fournis par le Trésor britannique, ce qui ne provoquait pas un accroissement de la base monétaire.

Dans un deuxième temps, elle est rapidement passée à une véritable politique de quantitative easing. Sa réunion du 5 mars a en effet été l’occasion pour elle de franchir une étape supplémentaire : d’une part, elle a étendu ses achats aux bons du Trésor britannique ; d’autre part, elle a décidé de financer ces achats par de la création monétaire à travers une augmentation des réserves des banques commerciales.

Au total, le Trésor a autorisé la BoE à acheter jusqu’à 150 milliards de livres d’actifs. Pour l’instant, comme le montrent les minutes de la réunion de mars publiées cette semaine, le comité de politique monétaire (MPC) a décidé à l’unanimité d’utiliser 75 milliards de livres dans les trois prochains mois.

La majeure partie de cette somme est destinée à acheter des gilts d’une maturité comprise entre cinq et vingt-cinq ans, mais la BoE va aussi continuer à acheter des actifs privés. Non seulement, elle poursuit ses interventions sur le marchés des papiers commerciaux pour aider les firmes à se financer à court terme, mais elle a aussi annoncé cette semaine qu’elle commencera à acheter des obligations d’entreprises de qualité (minimum BBB-) à partir du 25 mars afin d’améliorer les conditions de financement des firmes « qui participent activement à la croissance britannique ».

L’objectif de la BoE est donc désormais triple. En premier lieu, en achetant des titres privés, elle désire améliorer la liquidité sur les marchés du crédit afin de favoriser une baisse des spreads corporate qui se situent toujours à des niveaux anormalement élevés. Ensuite, acheter des gilts lui permet de faire baisser rapidement le taux de référence sur lequel se forment les taux de marché, mais aussi de permettre au gouvernement d’emprunter sur le marché sans craindre de voir son coût de financement exploser.

Enfin, en finançant ces achats par un accroissement des réserves des banques, elle va provoquer un accroissement de la base monétaire en espérant que cela contribue à relancer le crédit et donc la croissance britannique.

Pour l’instant, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette politique de quantitative easing, mais les premiers signes en provenance des marchés financiers sont encourageants. L’annonce de la mise en place de cette politique et l’achat de gilts pour près de 7 milliards ont fait reculer les taux longs de plus de 60 pdb (les faisant ainsi passer pour la première sous les 3 %), soit un mouvement équivalent à ce qui aurait pu être obtenu avec une baisse du taux directeur de près de 200 pdb. Quant aux spreads corporate, s’ils sont toujours élevés, ils le sont désormais moins qu’en zone euro (du moins en ce qui concerne les sociétés non financières), suggérant ainsi que cette politique commence à porter ses fruits.

Retrouvez les études économiques de Crédit Agricole