Quel salaire pour les patrons ?

La crise financière internationale a débouché sur un curieux débat en France : la rémunération des chefs d’entreprise.

La crise financière internationale a débouché sur un curieux débat en France : la rémunération des chefs d’entreprise. Le président de la République, Nicolas Sarkozy, a exigé des organisations patronales qu’elles lui transmettent rapidement des propositions sur ce dossier. Le Medef et l’Association française des entreprises privées (AFEP) ont publié un “code de gouvernement d’entreprise” qui prône notamment l’interdiction de cumuler contrat de travail et mandat social, le plafonnement des indemnités de départ – les fameux “parachutes dorés” – d’un chef d’entreprise à deux ans de rémunération étant entendu que les indemnités ne seraient pas versées en cas de départ volontaire ou d’échec du dirigeant.

Le Medef et l’AFEP proposent par ailleurs que les stock-options soient attribuées aux patrons dont les entreprises ont prévu un système équivalent pour l’ensemble des salariés et souhaitent la fin de la distribution d’actions gratuites sans condition de performance. Le président de la République a renoncé à légiférer immédiatement sur le sujet, promettant de le faire si les entreprises cotées n’adhéraient pas à ce “code de gouvernement d’entreprise” avant la fin de l’année.

 La mobilisation de Nicolas Sarkozy suscite des interrogations dans les milieux financiers car même s’il y a eu des abus en matière de rémunération de patrons ces dernières années en France, il ne semble pas que ce soit un élément clé de la crise financière actuelle. En revanche, le système de rémunération des opérateurs de marché a été mis en cause pour plusieurs experts, dont Joseph Stiglitz, “Prix Nobel” d’économie en 2001. Pour certains, du fait de l’existence de bonus colossaux, les stars des salles de marché sont tentées de multiplier les transactions et de développer des produits de plus en plus sophistiqués. Selon les autorités new-yorkaises, les banques de Wall Street ont versé 33,2 milliards de dollars de bonus en cash et sous forme d’actions à leurs employés en 2007. Certains établissements distribuent la moitié de leurs bénéfices à leurs traders, analystes et autres opérateurs.

Les dirigeants de ces banques ne s’oublient pas. Lors d’une audition devant la Chambre des représentants, un parlementaire, Henry Waxman, a interrogé Richard Fuld, qui était le P-DG de Lehman Brothers, sur la légitimité de sa rémunération, estimée à 480 millions de dollars depuis 2000. Mais, il faut préciser que c’est un montant théorique. Richard Fuld, n’a pas vendu ses titres depuis l’été 2007. Il ne l’a fait qu’après la faillite de Lehman Brothers, empochant 500.000 dollars alors que les actios en sa possession valaient près de 250 millions de dollars l’année dernière. Si les salaires de certains chefs d’entreprise peuvent paraître indécents, c’est bien le système des bonus qui pose problème aujourd’hui. Deutsche Bank a ainsi annoncé son intention de le revoir.

Le sujet des bonus est moins important en France – on compterait 400 traders gagnant plus d’un million d’euros par an – car la capitale financière européenne est Londres. Là se trouvent toutes les banques d’investissement. Dans ce contexte, le gouvernement français a donc décidé d’intervenir sur la question du salaire des patrons. Des dirigeants d’entreprise jugent qu’il s’agit d’une approche populiste alors que les pouvoirs publics français ont décidé de dramatiser la crise financière ces dernières semaines après avoir longtemps minimisé son impact. Certaines “nouvelles” règles proposées par le Medef et l’AFEP et avalisées par le gouvernement ont un air de déjà-vu (critères de performance, transparence). Mais cela ne résout pas toutes les questions. Prenons les critères de performance. Ils sont fixés par le conseil d’administration, en particulier par le comité des rémunérations. Mais comment s’assurer que ces critères sont pertinents ? On a vu dans le passé qu’un P-DG pouvait être récompensé pour réduire l’endettement qu’il avait lui-même créé. Certains sceptiques ont aussi souligné que des chefs d’entreprise pouvaient transférer les sièges sociaux à l’étranger pour échapper aux nouvelles règles.

C’est illusoire dans la mesure où plusieurs pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et, surtout, les Pays-Bas (qui ont une législation suffisamment souple pour attirer les sociétés sur son sol) ont promis d’imposer de nouvelles règles en matière de rémunération des chefs d’entreprise. Il faut préciser que les Etats-Unis ont également ouvert ce débat. Reste la question d’un “transfert”. Un P-DG a-t-il intérêt à quitter son entreprise où il est confortablement installé pour aller prendre les rênes d’un groupe en difficulté s’il n’a pas un minimum de garanties, en particulier un “parachute doré” pour le cas où ses choses tourneraient mal ? Daniel Lebègue, président de l’Institut Français des Administrateurs (IFA), assure que le dirigeant concerné continuera de “trouver la récompense, la reconnaissance de ce qu’il fait au travers des éléments de sa rémunération”. Enfin, il demeure une question que le Medef et l’AFEP n’évoquent pas : quid des conventions existantes ? “Il faudrait une disposition législative pour les modifier les contrats existants. Nous ne sommes pas favorables à ce qu’on légifère sur la question des rémunérations. Mais il nous paraît difficile et incompréhensible qu’on laisse subsister les conventions actuelles. Nous avons appelé à modifier les conventions par avenant. . On ne peut pas laisser les choses en l’état.

Ce serait source de polémiques”, dit Daniel Lebègue. Le sujet de la rémunération des patrons n’a pas fini d’animer les débats en France. En principe, les choses sont simples : a priori, les seuls concernés par le salaire du patron sont les actionnaires de l’entreprise. Après avoir pris connaissance de tous les éléments de la rémunération du mandataire social, ils peuvent voter ou pas cette rémunération. Lindsay Owen-Jones a été le patron le mieux payé de France plusieurs années quand il dirigeait L’Oréal sans que cela ne provoque de polémique. En 2005, il a ainsi perçu 7 millions d’euros sans prendre en compte les stock-options. Personne ne s’en est ému. Il faut dire que durant son mandat de P-DG en 1988 et 2006, (il est seulement président du groupe depuis 2006) il a développé le groupe et enrichi ses actionnaires, permettant à la famille Bettencourt de figurer parmi les familles plus riches de France. Lindsay Owen-Jones faisait remarquer il y a quelques années que personne ne contestait les revenus du Top model Claudia Schiffer. On pourrait ajouter que personne ne conteste non plus le salaire des footballeurs (qui se chiffrent en millions d’euros) ou des animateurs de télévision.

Mais, comme l’admet un chef d’entreprise, il y a une différence : il existe un marché au moins européen pour les mannequins et les footballeurs et il n’y pas de marché des patrons. En outre, si la rémunération des chefs d’entreprise relève des actionnaires, il faut bien aborder la question de l’acceptabilité. A cet égard, l’élargissement de l’échelle des salaires au sein des entreprises cotées ces dernières années nourrit la polémique et peut aussi nuire à la productivité. Un salarié payé au SMIC ne verra probablement pas la nécessité de se mobiliser pour son entreprise s’il voit que les efforts sont souvent demandés aux employés comme lui tandis l’équipe de direction continue à percevoir des rémunérations très élevées. Il ne faut pas chercher plus loin pour comprendre l’attachement des salariés, en particulier des cadres, à la réduction du temps de travail. Il y a clairement un désengagement vis-à-vis de l’entreprise. Comment résoudre ce problème ? Ce n’est certainement pas en plafonnant les rémunérations des dirigeants d’autant que, comme on l’a vu, il existe divers moyens pour y échapper. En revanche, il faut certainement associer davantage les salariés à la réussite de l’entreprise.

Certains dirigeants de groupes industriels performants expliquent que leur priorité va d’abord aux clients en répondant à leurs besoins, puis aux salariés afin qu’ils répondent le mieux possible à ces besoins et enfin aux actionnaires, qui reçoivent une rétribution pour leur apport en capital. Distribuer des stock-options à l’ensemble des salariés est une pratique courante dans les jeunes entreprises du secteur des hautes technologies. Dans la Silicon Valley, de jeunes patrons expliquent depuis des années que tous les salariés d’une entreprise participent à sa réussite. “Si l’hôtesse d’accueil fait mal son travail, cela pourra avoir un mauvais effet sur un client venu pour un rendez-vous. Nous pensons donc que l’hôtesse d’accueil comme les personnes chargées de nettoyer les locaux sont aussi importants que nous ingénieurs”, nous expliquait il y a quelques années le P-DG d’une société de logiciels à Palo Alto, en Californie.

Pendant longtemps, des dirigeants de grandes entreprises en France se refusaient à attribuer des stock-options aux salariés en assurant que ce serait leur faire courir un risque de bourse trop important. Si on veut aujourd’hui mobiliser les entreprises, il convient d’aligner les intérêts de l’ensemble des salariés sur ceux des dirigeants qui eux-mêmes ont été alignés sur ceux des actionnaires. Ainsi, la question de la rémunération des patrons ne sera plus un sujet de polémique.