Quelle efficacité des politiques monétaires, conventionnelles ou non ?

par Hélène Baudchon et Frederik Ducrozet, économistes au Crédit Agricole

 Les politiques monétaires ont été efficaces partout pour détendre les conditions sur les marchés interbancaires.
Les taux d’intérêt appliqués par les banques de la zone euro aux nouveaux prêts des ménages et des entreprises baissent rapidement jusqu’en janvier.
La Fed mise tout sur sa politique non conventionnelle de credit easing. La BCE hésite à franchir le pas.

Face à la crise, les banques centrales n’ont pas chômé. Elles ont d’abord réagi, de manière standard, en baissant les taux. Mais même celles-ci se sont démarquées de la norme puisqu’elles ont été historiquement agressives. Elles ont également complété ces actions par des mesures moins conventionnelles (injections massives de liquidité et autres facilités de financement). Comment juger l’efficacité de ces mesures ? Le bilan est mitigé.

Baisse des taux interbancaires partout

Les 275 pdb de baisses de taux cumulées de la BCE depuis le mois d’octobre semblent avoir un impact de plus en plus visible sur toute la gamme de taux d’intérêt pratiqués par les banques. Les taux interbancaires, d’abord, ont très fortement baissé depuis le pic des tensions enregistré début octobre, lorsque le taux Euribor trois mois avait atteint le niveau record de 5,39 %. Cinq mois plus tard, ce taux de référence s’établit à 1,65 %. Un même mouvement de détente est visible sur les taux américains (cf. graphique). De ce point de vue, les politiques monétaires ont été plutôt efficaces.

Les baisses de taux de la BCE, et surtout ses mesures de soutien à la liquidité (injections illimitées à taux fixe, élargissement des collatéraux) ont permis de faire baisser l’ensemble de la courbe des taux interbancaires de 350 à 400 pdb selon les maturités. Or ces taux d’intérêt déterminent non seulement le coût de refinancement des banques à court terme, mais ils servent également de référence à une multitude de produits financiers, notamment structurés, qui sont proposés par les banques commerciales aux agents privés. Ces derniers devraient donc profiter de la baisse des taux d’intérêt, dans des proportions qui varient selon les pays et les caractéristiques des nouveaux crédits en termes de maturité, de montant et de risque.

Baisse des taux pratiqués par les banques de l’UEM

D’une façon générale, le canal de transmission de la politique monétaire par les taux d’intérêt semble encore opérationnel en zone euro. Les dernières données, qui portent sur les taux d’intérêt pratiqués par les institutions financières au secteur privé pour le mois de janvier, suggèrent que les baisses de taux continuent d’être transmises progressivement par les banques aux entreprises et aux ménages qui contractent un nouvel emprunt. Ainsi, le taux des nouveaux crédits à l’habitat continue de baisser rapidement, de 5,10 % en décembre à 4,79 % en janvier (toutes maturités confondues), soit une baisse cumulée de près de 70 pdb depuis leur pic et de 82 pdb sur une base annualisée. Les taux des nouveaux crédits à la consommation sont légèrement remontés en janvier, mais à 7,7 % en moyenne pour des maturités inférieures à cinq ans, ils restent inférieurs de plus de 40 pdb à leur point haut de 2008.

La baisse des taux sur les nouveaux crédits bancaires est la plus marquée pour les nouveaux prêts aux entreprises. En particulier, les crédits portant sur des montants supérieurs à 1 million d’euros et d’une maturité de cinq ans maximum reculent de 66 pdb en janvier à 3,74 %, et de 200 pdb depuis leur pic de septembre dernier (cf. graphique). Les autres crédits aux entreprises voient également leurs taux baisser rapidement sur les derniers mois. Les données des mois suivants devraient continuer de refléter les dernières baisses de taux de la BCE (50 pdb en janvier et en mars).

Fed : le non conventionnel devient la convention

Aux Etats-Unis, cette répercussion des baisses de taux directeurs sur les taux pratiqués par les banques n’est guère visible dans les données disponibles (cf. graphique). Manifestement, les canaux de transmission de la politique monétaire traditionnelle sont plus endommagés aux Etats-Unis qu’en zone euro. Cela ne veut pas dire que les baisses de taux ne servent à rien.

Au contraire, elles mettent en place les conditions de la reprise. La repentification nette de la courbe des taux ne laisse guère de doute à ce sujet. Mais cela va prendre du temps avant que le canal des taux et du crédit ne refonctionne normalement.

En attendant, pour contourner le problème d’une transmission très ralentie, la Fed s’est doté d’outils non conventionnels de stimulation monétaire. Sa politique d’assouplissement du crédit (credit easing) consiste à jouer sur la taille et la composition de l’actif de son bilan pour améliorer les conditions de crédit. Elle cherche ainsi à agir sur l’ensemble de la courbe des taux et les spreads de crédit. Ses achats de titres émis ou garantis par Fannie Mae et Freddie Mac ont eu, pour le coup, un impact notable sur les taux hypothécaires.

La Fed offre également, et surtout, de la liquidité et du financement là où ils font défaut, prenant ainsi le relais des banques dans leur fonction d’intermédiation financière. Il y a ainsi de grosses attentes à l’égard de la TALF pour faire redémarrer la titrisation des crédits à la consommation et aux PME. A ce jour, on ne peut pas dire que cette politique de credit easing soit couronnée de succès. M2 augmente (alors que pendant la Grande Dépression la Fed avait laissé l’agrégat monétaire se contracter), mais les banques font toujours de la rétention de liquidités, faisant chuter la vélocité de la monnaie. Le crédit continue de ralentir. Si ces efforts pour relancer la machine du crédit aux Etats-Unis sont ndispensables, ce qui le fera vraiment redémarrer, c’est le retour de la croissance. Historiquement, en effet, la reprise du crédit suit la reprise économique, et non l’inverse. D’où l’importance de toutes les autres mesures prises, en complément de la politique monétaire, pour stabiliser le système financier, soutenir le marché immobilier et stimuler la croissance.

La BCE peut-elle se contenter d’une politique conventionnelle ?

A ce jour, l’évolution des taux conforte la BCE dans sa conduite de la politique monétaire et dans son refus d’intervenir directement sur le marché du crédit. Il faut noter par ailleurs que les banques conservent un rôle fondamental dans le processus de distribution du crédit en zone euro. En termes nominaux, le crédit bancaire des entreprises représentait en 2003 plus de 40 % du PIB de l’UEM, contre moins de 8 % aux Etats-Unis (données Bundesbank et BRI). Au contraire, le recours à la dette obligataire est beaucoup moins développé en zone euro : l’encours total d’obligations corporate représentaient 7 % du PIB de l’UEM en 2003, contre 26,5 % aux Etats-Unis.

On peut toutefois objecter à la BCE que l’aspect prix n’est pas le seul à prendre en compte. En termes de volumes de crédits accordés, on peut s’attendre à une baisse marquée par rapport aux niveaux historiques. Les données récentes confirment ce ralentissement de la demande et de l’offre de crédit, même si les changements de comportement des agents et le recours accrû à des lignes de crédit garanties peuvent brouiller l’analyse. Les encours de crédit aux ménages et aux entreprises baissent graduellement depuis l’année dernière, mais ils étaient encore en hausse de 5 % sur un an au mois de janvier (+9,4 % a/a pour les prêts aux entreprises et +1,4 % a/a pour les prêts aux ménages).

En revanche, les flux de nouveaux prêts bancaires au secteur privé font état d’un recul marqué depuis le mois de décembre. La dynamique du crédit en Europe, davantage en termes de flux que de stocks d’encours, sera probablement suivie de près par la BCE dans les mois qui viennent, et des interventions directes ne peuvent selon nous être exclues en cas de nouvelle détérioration.

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