Quels effets d’une reprise plus rapide, plus forte et plus durable en Chine ?

par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis

L’économie chinoise semble redémarrer fortement au début de 2009, plus rapidement et plus fortement que les économies des autres pays. Ceci est dû au programme de dépenses publiques mis en place, et aussi à la capacité en Chine d’administrer le crédit et d’en réduire le coût, qui n’existe pas dans la plupart des autres pays.

L’importance de l’épargne disponible, des projets d’infrastructures utiles, le caractère administré du système bancaire et l’existence de facteurs fondamentaux favorables (gains de productivité élevés, ressources importantes en main d’œuvre) pourront maintenir une croissance forte malgré le niveau élevé d’endettement du secteur privé, alors que dans les pays de l’OCDE les causes du maintien d’une croissance faible sont nombreuses : poursuite du désendettement du secteur privé, hausse des primes de risque sur les financements (des marges de taux d’intérêt des banques), limités à l’accroissement des déficits publics. On peut donc faire l’hypothèse d’une croissance redevenant durablement forte en Chine, restant assez déprimée dans les pays de l’OCDE. Quelles seraient les conséquences de ce contraste entre la Chine et le reste du Monde ?

Il faut d’abord se demander si la croissance chinoise stimulera (par le commerce extérieur) ou freinera (par les prix des matières premières) celle des autres pays ; il faut ensuit s’interroger sur les effets de la disparition de l’excédent extérieur de la Chine qu’entraînera l’asymétrie de la croissance entre la Chine et le reste du Monde. Elle impliquera normalement une moindre accumulation de réserves de change en Chine, sauf si la croissance forte y attire des capitaux, donc une moindre contribution de la Chine à la croissance de la liquidité mondiale, ce qui n’empêchera pas la liquidité mondiale de progresser très rapidement avec les politiques monétaires très expansionnistes qui devront être maintenues dans les pays de l’OCDE : ce serait donc la fin des déséquilibres globaux, mais pas celle de l’excès de liquidité ; le poids économique, commercial, donc politique, de la Chine (de l’Asie) dans le Monde progresserait lui aussi rapidement, avec une incitation à déplacer le capital productif vers l’Asie.

Tous les indicateurs vont dans le même sens. Si on compare la Chine aux pays de l’OCDE, on voit un redressement plus rapide de la production industrielle, des importations, même de certains postes de la demande privée (ventes de matières).

On peut attribuer ce redressement rapide de l’économie chinoise :

  • à la mise en place rapide du plan de relance, qui explique la croissance rapide des investissements en infrastructures publiques et des productions associées, la reprise de l’investissement en construction;
  • au dirigisme étatique en matière de crédit, d’où la reprise forte du crédit bancaire, qui continue à reculer dans les pays de l’OCDE ; le crédit, de plus, est fait en Chine à des taux d’intérêt faibles, avec des primes de risque réduites, alors que dans les pays de l’OCDE, les marges de taux d’intérêt des banques ont beaucoup été accrues.

Nous pensons que le plus grand dynamisme, nettement, de l’économie chinoise observé aujourd’hui par rapport aux pays de l’OCDE sera une caractéristique durable.

Certes, les taux d’endettement sont assez élevés en Chine, et c’est, comme aux Etats-Unis et en Europe, le désendettement du secteur privé qui a déclenché la crise, mais les facteurs qui permettent d’obtenir une croissance durablement forte en Chine et qui ne sont pas présents dans les pays de l’OCDE sont nombreux :

  • redressement du crédit alors que le désendettement continue dans les pays de l’OCDE, la différence venant de l’attitude des banques et de la faiblesse des primes de risque, alors, on l’a vu plus haut, que celles-ci augmentent beaucoup dans les pays de l’OCDE. Evidemment, il est probable que cette distribution rapide de crédit en Chine conduira à l’apparition de nouveaux NPL (Non Performing Loans, dont le niveau officiel avait beaucoup baissé), mais les autorités chinoises restent prêtes à recapitaliser encore massivement les banques en cas de besoin ;
  • importance de l’épargne en Chine, qui a été accumulée largement sous la forme de liquidités, ce qui permet de financer un déficit public considérable pendant une très longue période de temps ;
  • croissance potentielle forte, avec des gains de productivité élevés et une progression rapide de la population disponible pour travailler avec les migrations potentielles des campagnes vers les villes. Les pays de l’OCDE ont des croissances potentielles beaucoup plus faibles, et n’ont pas la capacité de financer des déficits publics considérables en permanence.

Nous posons les questions suivantes :
1. la croissance plus forte en Chine qu’ailleurs va-t-elle aider ou handicaper les autres pays ?
2. la croissance plus forte en Chine qu’ailleurs va-t-elle modifier les « déséquilibres globaux » et la croissance de la liquidité mondiale ?
3. comment la croissance plus forte en Chine qu’ailleurs va-t-elle modifier le poids mondial de la Chine ?

1. Effets sur les autres pays

 La reprise de la croissance et des importations en Chine a deux effets sur les autres pays :

  • un effet favorable de stimulation par les exportations,d’autant plus important que le poids de la Chine est important dans la production des pays. Cette reprise des exportations profitera donc surtout au reste de l’Asie ;
  • un possible effet négatif si la relance de l’économe chinoise conduit à une forte reprise de la demande de matières premières et à une hausse des prix des matières premières.

On observe aujourd’hui un début de hausse des prix pour les métaux (hors fer) et le pétrole, pas pour l’alimentaire. L’effet net sur les pays qui exportent peu vers la Chine (France, Espagne, Italie, Royaume-Uni par exemple) pourrait donc être négatif.

2. Déséquilibres globaux et liquidité mondiale

S’il y a effectivement durablement une reprise forte de la croissance en Chine et pas dans beaucoup d’autres pays (dans les pays de l’OCDE), l’excédent extérieur de la Chine va disparaître, ce qui apparaît déjà.

 S’il n’y a pas de modification forte des flux de capitaux (au contraire la Chine connaît des sorties de capitaux), ceci va impliquer une bien moindre accumulation de réserves de change en Chine et une bien moindre création monétaire.

Ceci conduirait à la disparition des « déséquilibres globaux » et au report total de la création monétaire mondiale sur les pays de l’OCDE en difficulté.

Mais il est possible que la croissance forte en Chine y attire à nouveau des capitaux, ce qu’on ne voit pas aujourd’hui, d’où une augmentation quand même des réserves de change. 

3. Poids mondial de la Chine (de l’Asie)

La perspective d’une croissance forte à nouveaux, et durablement, en Chine, et aussi, en raison des liens commerciaux, dans le reste des émergents d’Asie, et d’une croissance restant très modeste dans les grands pays de l’OCDE, va évidemment accroître le poids de la Chine et de l’Asie hors Japon dans la production mondiale et dans le commerce mondial.

Cette perspective va accélérer le transfert de capital productif vers l’Asie, avec le faible intérêt d’accroître les capacités de production dans les pays de l’OCDE à croissance faible.

Synthèse

Nous avons montré que beaucoup d’arguments (efficacité de la relance budgétaire, contrôle des banques, croissance potentielle forte, épargne et détention d’actifs liquides très importantes) conduisaient à penser qu’il y aurait une reprise économique forte et durable en Chine, d’où aussi normalement dans les pays émergents d’Asie. Au contraire, dans les pays de l’OCDE, la hausse des primes de risque (des marges de taux d’intérêt sur les crédits), les limitations aux déficits publics, la faiblesse de la croissance potentielle, devraient conduire à une croissance durablement faible. 

Nous nous sommes intéressés aux effets de cet écart de croissance entre la Chine (l’Asie hors Japon) et les pays de l’OCDE :

  • il n’est pas sûr que dans les pays de l’OCDE qui ont de faibles exportations vers l’Asie, l’effet de transmission de la croissance en Asie soit positif, en raison de l’effet très probable de la croissance asiatique sur les prix des matières premières ;
  • la création monétaire en Asie va diminuer avec la réduction des excédents extérieurs, ce qui va repousser la charge de la création monétaire vers les pays de l’OCDE ;
  • le poids économiques commercial, donc normalement politique de la Chine (de l’Asie) va s’accroître rapidement.

Tout ceci montre que les effets de la reprise durable de la croissance en Chine sur les pays de l’OCDE ne sont pas sans ambiguïté positifs.

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