Refonder le capitalisme ?

La crise financière qui a débuté l'an dernier avec l'explosion du marché des subprimes n'en finit pas de provoquer des dégâts.

La crise financière qui a débuté l'an dernier avec l'explosion du marché des subprimes n'en finit pas de provoquer des dégâts. Nous avons vécu un début de mois de septembre particulièrement violent pour le secteur financier : Lehman Brothers a annoncé son intention de chercher un repreneur après avoir subi une perte trimestrielle de près de 4 miliards de dollars avant finalement d’être acculé à la faillite et être cédé par blocs (le plus important allant au groupe britannique Barclays). Merrill Lynch a été racheté par Bank of America et l’administration américaine a débloqué 85 milliards de dollars pour sauver l’assureur AIG. Auparavant, le gouvernement des Etats-Unis avait nationalisé de fait Fannie Mae et Freddie Mac, deux géants du crédit hypothécaire, et la Réserve fédérale avait organisé le sauvetage de la banque d’investissement Bear Stearns par JP Morgan. Depuis, Goldman Sachs et Morgan Stanley ont adopté le statut de holding, c’est-à-dire d’établissement financier régulé, pour éviter d’être emporté par la tourmente. Et les pouvoirs publics américains essaient de faire passer au Congrès un plan de 700 milliards de dollars afin notamment de loger dans une structure de défaisace les actifs toxiques des établissements financiers. Dans le même temps, au risque d’être accusées de casser le thermomètre, les autorités boursières ont interdit les ventes à découvert – une technique prisée des hedge funds qui consiste à emprunter des actions pour les vendre afin de les racheter à un prix inférieur – sur les valeurs financières.

Ce gigantesque plan de sauvetage qui fait dire aux malicieux que les Etats-Unis adoptent le collectivisme si longtemps honni peut-il permettre de mettre un terme à la crise actuelle ? Rien n’est moins sûr à court terme. Même si les marchés boursiers ont rebondi spectaculairement à l’annonce des mesures américaines ils demeurent en nette baisse depuis le début de l’année. Et certains stratégistes pensent que la baisse va se poursuivre. Les plus pessimistes estiment ainsi que le CAC 40 pourrait tomber à 3.600 points à la fin de l’année alors qu’il évolue actuellement autour de 4.100/4.200 points. Ce pessimisme s’explique par les craintes de récession aux Etats-Unis et en Europe. Les boursiers s’attendent à ce que de nombreuses entreprises révisent à la baisse leurs prévisions de résultats. A commencer par les sociétés financières. Les banques doivent revoir leur modèle après avoir essuyé une tempête particulièrement violente. Elles ont commencé à le faire et vont continuer. D’ores et déjà, certaines estimations font état du risque de perte de 250.000 emplois dans le secteur. Mais toutes les entreprises semblent concernées. General Electric, qui représente à lui seul, de part la diversité de ses métiers, une sorte d’indicateur avancé, a annoncé jeudi qu’il attendait pour cette année un profit net de 19,5 à 21 milliards de dollars alors qu’il tablait jusqu’ici sur 22 à 23 milliards. Le conglomérat américain a en outre suspendu son programme de rachat d’actions, ce qui en dit long sur l’inquiétude des entreprises, y compris des plus grosses, sur la solidité de leur bilan dans le contexte actuel. 

A côté de ces raisons fondamentales, les places boursières risquent de souffrir de la décision des autorités d’interdire les ventes à découvert sur des centaines de valeurs, selon des experts, qui notent que les hedge funds, qui sont friands de ces techniques, risquent de subir des pertes importantes. En outre, les hedge funds subissent depuis quelques semaines des retraits importants de la part de leurs clients. Or, ce sont des acteurs particulièrement actifs sur les marchés. La sortie des hegde funds des marchés aura pour effet d’accentuer la pression baissière qui pèse sur les cours. 

Plus fondamentalement, la question est de savoir combien de temps peut durer la crise. En d'autres termes, a-t-on touché le fond ? Historiquement, on commence à parler de sortie de crise quand le marché de l'immobilier commence à se stabiliser voir à remonter. Pour le moment, on constate que les prix de l'immobilier tant aux Etats-Unis qu'en Europe sont orientés à la baisse. Certains experts pensent que ce mouvement pourrait durer encore un an voire deux ans, ce qui laisse entrevoir une reprise en 2010. La sortie de crise n’est donc pas pour tout de suite car la crise actuelle est protéiforme. Partie des subprimes, elle touche tous les compartiments du marché du crédit et contamine les places boursières. Les autorités ont sauvé certains établissements financiers (AIG, Fannie Mae, Freddie Mac notamment) en soulignant qu'une faillite pourrait provoquer une crise systémique. Mais l’impact est limité. Car le vrai problème aujourd’hui est celui de la confiance. Le fait que les dirigeants politiques dramatisent la situation actuelle n’aide absolument pas. La crise que la planète finance traverse est certainement l’une des plus graves depuis la grande dépression des années 1930. Mais le capitalisme moderne a traversé de nombreuses crises. Dans l’histoire récente, on peut citer le krach de 1987, la crise de 1991-1992 consécutive à la première guerre du Golfe, l’éclatement de la bulle boursière spéculative autour des valeurs technologiques en 2000 et 2001. A chaque fois, après une période qui s’est traduit par des restructurations, le système s’est remis en marche. La crise actuelle est différente des précédentes par le fait qu’elle implique en premier lieu les institutions financières, qui sont des rouages essentiels du système capitaliste. Mais cette crise était prévisible tant nous avons appris que l’économie n’est que cycle : à un cycle d’expansion d’une dizaine d’années succède généralement un cycle d’ajustement (contraction ou récession) de deux à trois ans. La globalisation rend les cycles plus courts. Car nous vivons dans un monde globalisé.

Cette globalisation doit être examinée attentivement. Le mouvement s’est déroulé en plusieurs étapes. Les entreprises ont commencé par délocaliser la production de produits manufacturés dans des pays à bas coût de main d’oeuvre. C’est ainsi que la Chine est devenue l’atelier du monde. Puis ce fut le tour des procédures financières et comptables. C’est ainsi que l’Inde est devenu le “back office” du monde. La finance s’est globalisée pour pouvoir suivre les entreprises ayant des plans d’expansion à travers le monde. Les industriels des pays émergents ont bénéficié de ce courant financier. Le développement de nombreux pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil depuis une quinzaine d’années le confirme. Grâce aux créations d’entreprise et aux travaux d’infrastructures décidés par les gouvernements, des dizaines de millions de personnes qui sont sorties de la misère dans ces pays. Cette globalisation n’a pas touché seulement le financement des entreprises. Elle s’est répandue aux marchés financiers. Les Occidentaux, qui n’ont jamais été aussi riches même si des inégalités criantes demeurent ont découvert depuis une dizaine d’années que l’on pouvait placer relativement facilement son argent dans des titres de pays émergents. L’envolée des places boursières comme celle de Shanghaï et celle de Mumbaï jusqu’au début de l’année le montre de manière spectaculaire.

Ce mouvement a eu des effets positifs pour les épargnants mais il a eu aussi des effets pervers. Un investisseur sait qu’il doit en permanence veiller à la diversification géographique et sectorielle de son portefeuille d’actifs. Avec la globalisation, les marchés financiers ont convergé. Faute de diversification géographique, les investisseurs ont dû rechercher la diversification sectorielle. Et là les banquiers d’affaires n’ont pas manqué d’imagination pour leur concocter des produits offrant des rendements alléchants. C’est ainsi que le mouvement de titrisation a pris une ampleur considérable. Subprime, défaut de crédit : tout était commercialisable. Le système a craqué. Que faut-il faire aujourd’hui ? A l’heure où on entend de part et d’autre de l’Atlantique des discours sur la nécessité de “refonder” le capitalisme, il est bon de garder à l’esprit certains éléments factuels. L’argent dont dispose les occidentaux, en particulier les baby boomers, ne va pas disparaître même si les marchés boursiers baissent de manière importante. Après une période d’ajustement, qui sera plus ou moins longue les ménages et les investisseurs voudront de nouveau des produits financiers leur offrant des rendements alléchants, les uns pour préparer par exemple leur retraite et les autres pour pouvoir verser des rentes à leurs souscripteurs. On peut appeler cela la spéculation. Mais la spéculation est l’essence du capitalisme. Pour parler crûment, le moteur du capitalisme est l’appât du gain. Les dirigeants politiques sont-ils vraiment en mesure de proposer aujourd’hui un système qui empêche toute spéculation et tout “dérive” du système capitaliste ?