Royaume-Uni : et si le Brexit n’avait pas lieu ?

par Jean-Luc Proutat, Economiste chez BNP Paribas

Le Parlement britannique a donné son feu vert pour un déclenchement de la procédure de sortie de l’Union européenne (Brexit), qui interviendra d’ici fin mars 2017.

La ligne dure sur laquelle se positionne la première ministre, Mme May, est potentiellement la plus dommageable pour le Royaume-Uni, comme pour l’Union.

Mais elle peut s’infléchir dans les deux ans à venir, qui représentent un temps court pour négocier mais long sur un plan politique.

La période actuelle est celle où tout est envisageable, même l’inenvisageable ; le Brexit pourrait ainsi ne jamais avoir lieu.

C’est presque fait. D’ici quelques jours, le Royaume-Uni déclenchera officiellement l’article 50 du Traité de Lisbonne signifiant sa sortie a priori irrévocable de l’Union européenne (UE), après quarante-quatre ans d’appartenance. S’ensuivra une période de vingt-quatre mois durant lesquels Londres et Bruxelles conviendront des termes du divorce, autant que de leurs relations futures.

S’accorder n’étant pas une obligation, tout est envisageable, y compris l’échec. Passée la date butoir de mars 2019, l’UE appliquerait alors par défaut au Royaume-Uni le régime extérieur commun: droits de douane, avances de TVA, contrôles aux frontières, visas pour ses ressortissants, etc. Bien entendu, la réciproque vaudrait. Le risque d’escalade serait grand, la rupture, coûteuse.

Une ligne dure qui va droit dans le mur

Pour l’île, qui réalise la moitié de ses échanges avec l’UE, maintenir une ligne dure est potentiellement catastrophique. Une étude récente du CEPII1 montre que, pour la seule industrie automobile britannique, un tarif douanier commun réciproque de 10% entraînerait une chute de 3% ou 48 000 unités de la production, la perte d’un millier d’emplois, et une hausse de 6% du prix des voitures. Il s’agit d’un minimum, puisque ce scénario n’imagine aucune fermeture de site.

Ceci n’est qu’un exemple, les secteurs insérés dans le commerce mondial ayant en réalité tous quelque chose à perdre au Brexit. Dans les transports aériens, l’agroalimentaire, l’aéronautique, la chimie-pharmacie, la mécanique, les échanges sont souvent intra- groupes. Ils ne reposent pas seulement sur des accords tarifaires, l’accès au marché unique étant régi par des milliers de dispositions techniques, environnementales, sanitaires, sociales. Leur élimination revêt un caractère si disruptif qu’elle en devient inconcevable, au sens propre du terme.

Ce n’est pas tout. Le Brexit, a fortiori s’il est « dur », représente une menace pour l’intégrité même du Royaume-Uni. En Ecosse, mais aussi en Irlande du Nord, la population a majoritairement voté pour le maintien dans l’Union ; autant dire que la rupture franche prônée par Londres passe mal. De fait, la première ministre du gouvernement d'Édimbourg, Mme Sturgeon, vient de confirmer son intention d’organiser un nouveau référendum sur l'indépendance de l’Ecosse, fin 2018 ou début 2019.

Le malheur des uns ne garantissant pas le bonheur des autres, les pays de l’UE n’auraient rien à gagner à un cavalier seul britannique. Pas seulement parce qu’ils devraient se passer d’une contribution budgétaire annuelle nette d’une dizaine de milliards d’euros2. Le Royaume-Uni est aussi un pays avec lequel il est profitable de commercer. Sa fiscalité avantageuse, son statut de place financière internationale, attirent les capitaux et lui permettent de couvrir aisément ses déficits… qui ont pour contrepartie de nombreux surplus dans l’Union. Il compte parmi les rares sources d’excédents du commerce extérieur français.

Partie pour rester ?

Comme dans un équilibre de Nash, les stratégies individuelles autour du Brexit ont un coût collectif qui dépasse celui du compromis, qui s’impose dès lors en tant que solution. Les incitations pour y parvenir peuvent être économiques : la nature ayant horreur du vide, des activités seront transférées hors de Grande-Bretagne à mesure qu’approchera l’échéance de la sortie. Des décisions d’investir qui n’insultent pas l’avenir aujourd’hui seront repoussées demain. Dans la population britannique, l’envie de renverser la table faiblira aux premiers bris de verres.

Courte pour négocier, la période des deux ans à venir sera longue à l’échelle du temps politique. Elle peut maintes fois rebattre les cartes. Dans quel sens ? Une voie de sortie possible, parfois qualifiée de « soft Brexit » consisterait pour le Royaume-Uni à quitter l’Union tout en restant dans l’Espace économique européen (EEE), à l’image de la Norvège, de l’Islande ou du Lichtenstein. Le pays conserverait un accès libre de droits au marché unique, moyennant une contribution financière maintenue mais réduite. Il lui faudrait néanmoins respecter les quatre libertés fondamentales de circulation des biens, services, capitaux et personnes, une concession majeure pour les tenants de la ligne dure.

Préférable à une rupture, l’éloignement n’est pas pour autant une bonne affaire. La liberté acquise par le Royaume-Uni à l’égard des règles communautaires (la Norvège peut, par exemple, protéger davantage son agriculture) aurait pour contrepartie une perte d’influence sur celles-ci. En outre, l’appartenance à l’EEE ne garantit pas que le secteur financier conserve son passeport pour opérer dans l’Union. La City plaide pour un système d’équivalence, dont la mise en place risque toutefois de prendre beaucoup plus que deux ans. Le temps pour le Royaume-Uni de reconsidérer son choix et pour ses citoyens de retourner aux urnes ?

NOTES

  1. Centre d'études prospectives et d'informations internationales. Cf. Mayer, T. 2016. “Brexit, Trumpit : la fin des accords régionaux ? Conséquences pour l’industrie automobile.” Lettre du CEPII n°371, novembre 2016.
  2. 11,5 milliards d’euros en 2015.

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