Stratégie de sortie : mode d’emploi

par Hélène Baudchon, économiste au Crédit Agricole

Les banques centrales ont à leur disposition de nombreux outils pour retirer en temps et en heure le stimulus monétaire injecté. Toute la difficulté sera de déterminer à quel moment et à quelle vitesse resserrer les conditions monétaires et financières.

La question de la stratégie de sortie des politiques monétaires non conventionnelles menées pour juguler la crise a commencé d’être évoquée peu de temps après la mise en place des toutes premières mesures, à savoir dès le tournant 2007-2008.

La nouveauté et l’agressivité des initiatives prises ont fait naître le débat. C’est plus récemment que l’habituelle question du « quand » s’est ajoutée à cette question du « comment », à la faveur des signes d’amélioration de la sphère financière comme réelle.

Ce sera dans tous les cas un processus multiforme tout comme l’a été l’assouplissement, et il se fera en ordre dispersé, en fonction des perspectives de croissance, d’inflation et du système financier de chaque pays.

Pourquoi sortir ?

Si l’on en croit la théorie monétariste selon lequel l’inflation est avant tout un phénomène monétaire, on comprend pourquoi la question de la stratégie de sortie occupe le devant de la scène. Les politiques actuellement suivies, qui ont conduit à un gonflement des bases monétaires, sont jugées potentiellement inflationnistes. Pour ne pas s’exposer à ce risque de dérapage de l’inflation les banques centrales doivent retirer à temps le stimulus monétaire injecté. Mais, comme ce stimulus a été injecté pour une grande part de manière inhabituelle, la crainte est que les banques centrales ne possèdent pas les outils pour défaire ce qu’elles ont fait en temps et en heure.

Comment sortir ?

Si les inquiétudes susmentionnées apparaissent légitimes, elles ne sont, à notre sens, pas justifiées. Pour les changements de taux, les banques centrales sont en terrain connu. Pour le reste, ce que les banques centrales ont fait, somme toute facilement, elles peuvent aussi facilement le défaire : ce qu’elles ont injecté comme liquidités, elles peuvent à l’inverse les drainer quand ce sera possible et surtout nécessaire. C’est surtout la partie dégonflement des bilans qui est innovante sachant que, selon toute probabilité, ces bilans ne reviendront pas à leur taille initiale avant longtemps, ce qui inscrit la complète normalisation des politiques monétaires, dans la durée.

Pour commencer, il faut distinguer deux grands groupes de stratégies de sortie possibles : les passives et les actives, selon que la banque centrale laisse faire ou intervient sur son bilan. Pour les banques centrales qui pratiquent les deux types de politique, le retrait du credit easing (ensemble de mesures visant à assouplir les conditions de crédit) devrait poser moins de problème que le retrait du quantitative easing (achats de titres longs publics ou assimilés pour détendre les spreads de taux et de crédit), car il sera pour une bonne part endogène, ne nécessitant pas une intervention particulière de la banque centrale. L’amélioration de la situation économique et financière va réduire d’elle-même les besoins des banques en « monnaie banque centrale ». Ce type de stratégie passive est déjà en cours.

Les options de stratégie active de sortie sont diverses :

  • non-reconduction des programmes d’achats de titres ou interruption avant l’heure ;
  • vente des actifs acquis directement sur le marché ou sous la forme de reverse repos (cette dernière mesure permettant de se débarrasser des actifs en question sans vraiment les vendre). La vente directe sera probablement une solution de dernier recours, les banques centrales privilégiant traditionnellement le buy and hold et voulant éviter de créer un évènement de marché ;
  • vente de « vieux » actifs, titres publics en particulier acquis avant la crise à un prix moins élevé qu’aujourd’hui, sans risque de réaliser une moins-value ;
  • durcissement des conditions d’accès aux différentes facilités de financement ;
  • arrêt pur et simple de ces facilités de financement ;
  • augmentation du taux d’intérêt sur les réserves obligatoires (RO). Après l’avoir combattue, ce serait une incitation à la rétention de réserves afin de contrôler l’offre de crédit et donc le risque inflationniste. Cette possibilité de faire varier la rémunération des réserves obligatoires permet également de déconnecter la gestion du bilan de la banque centrale des décisions de taux, ce qui est très utile dans la configuration actuelle de réserves excédentaires : cette situation n’empêche pas les hausses de taux à des fins de réglages monétaires ;
  • émission de sa propre dette par la banque centrale (la BCE et la Banque du Japon peuvent déjà le faire, la Fed devrait demander l’autorisation du Congrès) ;
  • réactivation du Supplementary Financing Program (SPF) du Trésor américain (mesure spéciale Fed).

Dans le cadre de ce programme, le fruit des émissions de bons du Trésor est directement placé au passif de la Fed : lorsque les acheteurs paient pour ces titres, le compte du Trésor à la Fed est crédité et les réserves excédentaires sont réduites d’autant. L’inconvénient principal de cette option est qu’elle pourrait donner l’impression d’une perte d’indépendance de la Fed vis-à-vis du Trésor.

Le champ opératoire apparaît ainsi assez vaste mais revêt une logique commune. Toutes ces différentes mesures correspondent bien à un durcissement de la politique monétaire par un autre moyen que le relèvement des taux directeurs. Elles devraient contribuer à la remontée des taux courts de marché et à limiter la croissance des agrégats monétaires et du crédit. Et en plus d’avoir les outils, les banques centrales ont, d’après nous, le temps et la crédibilité nécessaires pour mener à bien leur politique monétaire sans compromettre leurs objectifs.

Quand sortir ?

Quand commencer à resserrer et par quoi (mesures conventionnelles et/ou non conventionnelles) est une question bien plus difficile que le comment. Les politiques non standard d’assouplissement du crédit ayant été mises en place une fois les limites de l’assouplissement monétaire standard proches, l’ordre naturel des choses serait de mettre un terme complet aux premières avant de remonter les taux directeurs. L’assouplissement du crédit s’est substitué aux baisses de taux ; le débouclage de ces mesures peut être entrepris en substitution des hausses de taux.

Cette séquence, naturelle, peut néanmoins être bousculée. En effet, le niveau élevé des réserves excédentaires n’empêche pas un resserrement monétaire classique. Il n’est pas indispensable que le retour des bilans à leur taille d’avant-crise précède la première hausse de taux (d’autant que ce processus de dégonflement va s’inscrire dans la durée). Néanmoins, des hausses de taux seraient difficilement justifiables si elles n’étaient pas accompagnées d’une réduction significative des réserves excédentaires puisque le maintien de certaines de ces mesures, est fondamentalement incompatible avec des circonstances qui dicteraient une augmentation des taux.

Le premier pas vers le resserrement monétaire est déjà d’arrêter d’assouplir la politique monétaire puisque de nombreuses facilités ou programmes de rachat courent jusque début 2010 aux Etats-Unis par exemple. Aussi récemment que le 6 août, la BoE a annoncé une extension de son programme d’achats d’actifs (l’Asset Purchase Facility) de 125 à 175 milliards de livres. Par ailleurs, une contraction du bilan induite d’un resserrement passif n’est pas nécessairement le signe d’une politique monétaire moins accommodante si c’est le fruit d’un meilleur fonctionnement des marchés financiers.

Par la suite, comme dans tout cycle monétaire se pose la double question du meilleur moment pour entamer le cycle et de la vitesse à laquelle procéder. Aujourd’hui, il s’agit de ne pas resserrer trop tôt ni trop vite pour ne pas saper les bases fragiles de la reprise ni trop tard pour contenir l’inflation.

Commencer par le drainage peut permettre de gagner du temps, le temps de s’assurer de la solidité de la reprise et de sa capacité de résistance à une politique monétaire moins accommodante tout en tempérant les craintes à l’égard de l’inflation. A priori, ce type de resserrement se fera progressivement.

C’est pour les hausses de taux que la question de la vitesse se pose vraiment. Les banques centrales ont à choisir entre quatre stratégies possibles : resserrement graduel et précoce ou tardif ; resserrement agressif et tardif ou précoce. Si l’on suit l’argumentaire de F. Mishkin, la question de l’agressivité ne fait pas de doute. Ce serait la réaction symétrique logique après une action particulièrement agressive mais nécessaire face à la crise financière et au risque de spirale déflationniste. Et en principe, pour une banque centrale dont l’objectif principal est la stabilité des prix et qui se préoccupe autant de l’inflation que de la déflation, la politique monétaire devrait être symétrique à la baisse et à la hausse. En pratique cependant, ce n’est pas ce que l’on observe, les banques centrales se montrant plus agressives dans les phases de baisses que dans les phases de hausses de taux.

Cependant, la récession laisse inutilisées d’amples capacités de production et donc peu de place à des pressions inflationnistes en provenance de la sphère productive. Le taux de chômage part de tellement haut que, lorsqu’il se mettra à baisser, ce ne sera pas non plus annonciateur de pressions salariales imminentes. Il n’y a pas plus de risque que les liquidités injectées se déversent brutalement dans l’économie et fassent s’envoler l’inflation « trop d’argent pourchassant trop peu de biens ». Ces liquidités sont actuellement retenues dans les bilans des banques et, compte tenu de leur situation, ce sera au compte-goutte qu’elles se transformeront en crédit.

Les banques centrales ont donc du temps devant elles avant de devoir durcir leur politique de taux, une question qui devrait se poser seulement début 2011. 

Le champ des possibles paraît donc vaste mais les banques centrales ont deux atouts pour mener à bien cette tâche ardue. Elles jouissent d’abord d’une grande crédibilité vu le succès de leur politique d’ancrage nominale. Ensuite, elles peuvent user du verbe pour guider les anticipations de marchés. Vu le caractère inédit des mesures mises en œuvre, les banques centrales vont devoir redoubler d’efforts pour communiquer efficacement sur le quand, le comment et à quelle vitesse, elles comptent retirer le stimulus monétaire injecté. Autrement dit, la communication sur la stratégie de sortie fait partie de la stratégie de sortie. Cela va leur permettre de dire ce qu’elles font, d’être crues pour ce qu’elles disent pour finalement faire ce qu’elles ont dit avec le maximum d’efficacité.

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