Télécoms : comment affaiblir un secteur crucial

Les opérateurs français de téléphonie seront-ils contraints prochainement d’accepter d’être rachetés par des concurrents étrangers pour une somme modique ? Ce serait le résultat d’une politique menée par le gouvernement et le « gendarme » du secteur pour affaiblir des entreprises jugées trop puissantes sans se soucier des conséquences.

Lors de ses vœux du nouvel an, mercredi 23 janvier, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et postales (Arcep), Jean-Ludovic Silicani, a reconnu que les opérateurs se trouvaient « dans une situation moins favorable que par le passé ». Mais, a-t-il immédiatement ajouté, « notre conviction est que leur avenir réside dans leur capacité à investir pour faire émerger de nouveaux services de communications répondant aux besoins ».
 
Fort bien mais comment atteindre cet objectif quand, comme il le reconnaît lui-même, le chiffre d’affaires est en baisse (-3,5% sur les neuf premiers mois de 2012) ainsi que le résultat brut d’exploitation (Ebitda, -7% au premier semestre) ? Il ne le dit pas. Chaussant des lunettes roses, il affirme que la marge d’Ebitda des opérateurs mobiles historiques (Orange, SFR et Bouygues Telecom) est « globalement stable » et supérieure à 30%. Ce qui n’est pas tout à fait exact et les résultats annuels publiés prochainement le montreront.
 
Selon Jean-Ludovic Silicani, ce niveau de marge a été « suffisant pour financer un montant record d’investissement », dépassant 9 milliards d’euros.
 
En faisant cette déclaration, il omet une chose importante : confrontée à une concurrence féroce encouragée par le gouvernement et par le développement de nouveaux services, les opérateurs historiques n’ont pas d’autre choix que d’investir pour satisfaire leurs clients. Mais ce choix d’allouer des ressources aux investissements se fait forcément au détriment d’autres parties prenantes : les salariés (avec des suppressions d’emplois) et les actionnaires (avec la réduction du dividende).
 
Le président de l’Arcep oublie plusieurs éléments dans son analyse : si les marges sont élevées dans les télécoms c’est parce qu’il s’agit d’un secteur à forte intensité capitalistique (il faut dépenser beaucoup d’argent dans les réseaux et les rentabiliser afin de pouvoir innover) ; si les emplois  n’ont pas encore été détruits massivement du fait de l’arrivée de Free Mobile en janvier 2012, cela ne saurait tarder car il faut un temps d’adaptation ; enfin, si les actionnaires désertent les valeurs de télécoms, comment les opérateurs pourront lever de l’argent pour continuer à investir ?
 
Il faut dire que l’Arcep se donne pour mission principale de défendre le consommateur. Jean-Ludovic Silicani s’est ainsi dit « fier » d’avoir permis « de redonner, en temps de crise, du pouvoir d’achat aux Français ». 
 
C’est sa ligne de défense pour justifier l’arrivée de Free Mobile. Il va jusqu’à défendre la stratégie commerciale du quatrième opérateur de proposer un « découplage entre l’achat d’un terminal et d’un service ». Il omet de dire que si Free Mobile prône ce modèle c’est parce qu’il n’a pas les moyens de subventionner un appareil, comme le font ses concurrents. L’arrivée de Free Mobile est sans doute une bonne chose pour une catégorie de clients. 
 
Le régulateur et le gouvernement ont parfaitement le droit de soutenir un acteur mais ils doivent en mesurer les conséquences et ne pas faire dire n'importe quoi aux indicateurs économiques. Ils doivent ainsi s’interroger globalement sur l’impact de leur choix de privilégier le consommateur à l’investissement. Ils ont oublié qu’un consommateur était aussi un travailleur et s’il perd son emploi il ne pourra plus consommer autant même si les factures de communications baissent un peu.
 
Car, contrairement à ce qu’affirme Jean-Ludovic Silicani, l’affaiblissement des grands opérateurs aura forcément des conséquences sur la capacité d’investir, d’innover et de créer des emplois. On constate dès à présent que les Etats-Unis, en retard dans les mobiles dans les années 1990, sont désormais à la pointe de la révolution 4G. On voit aussi en Asie des opérateurs qui peuvent augmenter leurs prix pour les nouveaux services, ce qui leur donne des marges pour pouvoir continuer à investir dans les réseaux.
 
En Europe, les opérateurs ont des marges sous pression et voient leur trésorerie se réduire.  Comment peut-on prétendre qu’ils sont en mesure de soutenir la concurrence internationale ? Non seulement, à ce rythme, ils auront de moins en moins de latitude pour investir et innover mais ils risquent d’être la cible d’offres d’opérateurs asiatiques ou sud-américains.
 
Si les régulateurs et les pouvoirs publics sont vraiment soucieux de l’avenir de l’innovation dans un secteur crucial pour la compétitivité de l’Europe, ils doivent de toute urgence revoir leur stratégie, en clair abandonner une vision étroitement consumériste pour prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes à long terme.