Turbulences à l’horizon pour la Fed 
avec la nouvelle administration américaine

Par Valentine Ainouz et Bastien Drut, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

Donald Trump prendra ses fonctions de président des États-Unis le 20 janvier. Avec les républicains du Congrès, qui n’ont pas nécessairement la même façon de penser que lui sur de nombreux sujets, il tentera de mettre en place des réformes radicales, notamment au sujet de la Fed. Nous nous proposons ici de faire le point sur les principaux changements que cela pourrait occasionner pour cette dernière.

Quels changements de structure pour la Fed ?

La plateforme « A Better Way » promue par le leader de la chambre des représentants Paul Ryan consacre une section à la Fed. « A Better Way » indique qu’il est nécessaire d’assurer l’indépendance de la Fed et de faire en sorte « qu’elle ne soit pas soumise à des pressions politiques en établissant sa politique monétaire ». Mais « A Better Way » indique que l’économie américaine se porterait mieux si la Fed « était plus prévisible dans la conduite de sa politique monétaire et plus transparente dans son processus de prise de décision » et propose de « moderniser la Fed ».

Un projet de loi de modernisation de la Fed est déjà engagé : le Fed Oversight Reform and Modernization Act (the FORM Act), appelé H.R. 3 189 et sponsorisé par Bill Huizenga, a déjà été approuvé par la Chambre des Représentants. Le FORM Act requerrait du FOMC davantage d’explications sur ses décisions de politique monétaire. En particulier, il requerrait du président du Board of Governors d’expliquer au Congrès pourquoi ses décisions relatives aux fed funds diffèrent d’une « règle de politique de référence » (« Reference Policy Rule »), c’est-à-dire d’une règle de Taylor classique. Le projet de loi Federal Reserve Transparency Act (aussi appelé « Audit the Fed »), qui n’avait pas franchi le Sénat en 2015, proposait la même idée.

Donald Trump s’est montré très critique envers la politique menée par la Fed ces dernières années et notamment car les fed funds n’auraient pas été remontés assez rapidement. Il y a notamment eu beaucoup d’agitation médiatique au sujet de la non-reconduction de Janet Yellen au poste de présidente du FOMC (son mandat de présidente court jusqu’à février 2018). Donald Trump devra désigner au moins deux membres au Board of Governors prochainement (voir encadré « La composition du FOMC en 2017 »). John Allison fait partie des personnes que Donald Trump a rencontrées récemment et qu’il pourrait nommer au Board of Governors. J. Allison est en faveur d’une règle de Taylor classique. Parmi les autres noms évoqués, on trouve celui de… John Taylor, le théoricien de la règle de Taylor. Les nominations qu’effectuera Donald Trump modifieront grandement l’équilibre des pouvoirs au sein du FOMC.

Toutefois, l’adoption d’une règle de Taylor est très controversée.

Neel Kashkari, président de la Fed de Minneapolis et ancien candidat républicain au poste de gouverneur de Californie, est contre l’adoption d’une règle de Taylor (« A computer can’t do the Fed’s job », Wall Street Journal, 18 décembre 2016), notamment car le taux neutre a fortement faibli depuis quelques années.

Dans une note publiée le 5 janvier, il affirme que l’application d’une règle de Taylor ces dernières années aurait impliqué que 2,5 millions d’Américains de moins seraient en situation d’emploi. Jerome Powell, membre du Board of Governors, avait déjà fait un discours le 9 février 2015 pour dénoncer la possible adoption d’une règle de Taylor, en indiquant qu’une telle règle était déjà utilisée à titre indicatif mais qu’il doutait que « les décisions importantes puissent être réduites à une seule équation ».

Les membres du FOMC ne savent pas sur quel pied danser

La Fed a relevé le 14 décembre dernier la fourchette de taux directeurs 25 pb, à 0,50/0,75 %. Le marché anticipe désormais deux hausses de taux pour 2017 et quasiment deux autres pour 2018. Les investisseurs ont rapidement conclu que la politique économique de la nouvelle administration américaine allait fortement tirer la croissance et l’inflation. Les taux 10 ans américains sont passés de 1,82 % fin octobre à 2,44 % fin décembre.

Les interrogations au sujet de la politique économique de la nouvelle administration restent très fortes et le moins que l’on puisse dire est que les membres du FOMC ne savent pas sur quel pied danser : « De nombreux participants [au FOMC] ont souligné qu’il y avait actuellement une incertitude substantielle à propos de la taille, de la composition et du timing d’éventuels changements de la politique budgétaire mais ils ont également souligné qu’une politique budgétaire plus accommodante pourrait stimuler la demande agrégée au-dessus des niveaux soutenables, ce qui nécessiterait une politique monétaire plus restrictive qu’anticipé. » Les minutes du FOMC nous apprennent également que la moitié des participants au FOMC du 14 décembre a incorporé une hypothèse d’une politique budgétaire plus accommodante dans leurs prévisions, l’autre non. Pour rappel, Janet Yellen avait déclaré en conférence de presse le 14 décembre que des mesures de stimulation budgétaire n’étaient pas nécessaires pour permettre à l’économie américaine de revenir au plein- emploi. John Williams, le président de la Fed de San Francisco, a fait des commentaires de même teneur début 2017.

Une accélération de la normalisation monétaire serait à ce stade du cycle contre-productive

Le cycle actuel s’est démarqué par une croissance élevée des profits des entreprises américaines. Les marges ont même atteint ces derniers trimestres des plus hauts historiques. Un paradoxe au vu de la faible croissance économique observée durant ce cycle. Cet accroissement des profits s’explique par la progression très limitée des salaires et les importantes réductions de coût mises en place après la Grande Récession de 2008/2009.

Autre caractéristique de ce cycle: les profits élevés n’ont pas impliqué une augmentation du taux d’investissement. Les entreprises ont profité ces dernières années de conditions de financement extrêmement accommodantes pour s’endetter massivement. Elles ont majoritairement financé des opérations de rachats d’actions et de croissance externe. Les dépenses d’investissement sont demeurées très faibles. L’environnement de demande atone semble expliquer cette tendance. Or, la faiblesse de l’investissement aujourd’hui hypothèque la croissance potentielle de demain. Les politiques monétaires ultra-accommodantes ont été impuissantes à endiguer ce phénomène.

L’impact de la politique de Donald Trump sur l’économie américaine est difficile à anticiper. Il est peu probable que la politique budgétaire soit aussi proactive que ce qui est actuellement escompté et une accélération de la normalisation monétaire serait à ce stade du cycle contre-productive :

  • La croissance mondiale reste faible. Puisque les politiques monétaires de la BCE et de la BOJ restent extrêmement accommodantes, une hausse des taux longs américains se traduirait inévitablement par une appréciation du dollar, qui serait préjudiciable aux perspectives de croissance et d’inflation. Rappelons que le dollar s’est apprécié de plus de 4 % en termes effectifs depuis l’élection de D. Trump.
  • L’économie américaine est proche de la fin de son cycle. La dette des entreprises non financières est au plus haut. Le durcissement des conditions financières qui en résulterait (appréciation du dollar et hausse des taux d’intérêt à long terme) a le pouvoir de mettre rapidement la croissance sous pression.

Un rééquilibrage des profits en faveur des salaires est nécessaire. L’économie américaine est proche du plein-emploi. La mise en œuvre du programme de D. Trump (stimulus budgétaire et mesures protectionnistes) pourrait provoquer des tensions sur les salaires. Un rééquilibrage des profits en faveur des salaires pourrait être une nouvelle négative – à court terme – pour les profits des entreprises mais serait une excellente nouvelle pour l’économie américaine. Une demande plus dynamique est un élément indispensable pour soutenir la reprise de l’investissement.

ENCADRE – Composition du FOMC en 2017

En temps normal, 12 membres votants participent aux réunions du (la dernière fois que 12 membres étaient réunis, c’était en juillet 2013) :

  • 7 membres au Conseil des Gouverneurs
  • le président de la Fed de NY occupe un siège permanent
  • 4 présidents votants (sur les 11) du système de la Réserve fédérale (dont le mandat est d’1 an sur une base tournante).

Actuellement, le Conseil n’est composé que de 5 membres car le Sénat s’est opposé aux nominations de Barack Obama. Donald Trump va choisir 2 nouveaux membres. Des rumeurs circulent au sujet d’une retraite de Daniel Tarullo; dans ce cas, Donald Trump devra choisir 3 membres pour le Conseil. Les nominations devront être validées par le Sénat.

En 2017, les quatre membres votants de la Réserve fédérale seront:

  • Charles Evans, Chicago. A participé au vote en 2007, 2009, 2011, 2013 et 2015. Il s’est opposé à la décision officielle à deux reprises (novembre et décembre 2011) car il était en faveur d’un assouplissement de la politique monétaire. Il fera partie des principales « colombes » en 2017. Cela étant dit, il a déclaré le 24 octobre qu’il était favorable à 1 hausse des taux en décembre 2016, à 2 relèvements en 2017 et à 3 en 2018.
  • Patrick Harker, Philadelphie. Il n’a participé à aucun vote. Universitaire. Il se décrit comme un faucon. À plusieurs reprises en 2016, il a déclaré que 2 ou 3 relèvements des taux seraient nécessaires en 2016. Il sera sans aucun doute l’un des membres les hawkish du FOMC.
  • Robert Kaplan, Dallas. Il n’a participé à aucun vote. A travaillé pendant 23 ans pour Goldman Sachs et se décrit comme un spécialiste des marchés financiers. Il plaide souvent pour la patience pour décider de l’orientation de la politique monétaire. Il s’inquiète de la dette des étudiants et des tendances démographiques. Ses votes suivront probablement ceux du Conseil.
  • Neel Kashkari, Minneapolis. Il n’a participé à aucun vote. Il a été candidat républicain en 2014 pour devenir gouverneur en Californie. Il a contribué à l’élaboration du programme TARP en 2008. Il s’oppose à la loi Dodd-Franck car, selon lui, elle n’empêchera pas la prochaine crise. Il est favorable à une augmentation importante des fonds propres des banques (15 % des actifs). Bien que Neel Kashkari soit Républicain, il n’est pas en faveur d’une règle mécanique de politique monétaire.