Un début d’année en mode « risk on » …est-ce durable s’agissant de la zone euro ?

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

Le début d’année 2012 contraste singulièrement avec l’année 2011 (le second semestre notamment), essentiellement pour trois raisons :

  • D’une part, la publication d’indicateurs économiques mieux orientés. La stabilisation des indicateurs précurseurs en Allemagne tels que l’indice IfO ou le ZEW mais aussi la publication d’un PIB plus solide qu’anticipé en France sont venus rappeler que le noyau dur de la zone euro n’a pas lâché. Cela n’empêche pas la zone d’entrer en récession, mais cela remet au goût du jour les espoirs de voir le creux d’activité être atteint au cours du premier trimestre ;
  • D’autre part, la confirmation que les banques ont accès à de la liquidité long terme auprès de la Banque Centrale Européenne. La deuxième opération de LTRO a une nouvelle fois permis à plusieurs centaines de banques européennes (plus de 800) d’améliorer leur situation de liquidité ;
  • Enfin, les négociations entre Etat grec et créanciers privés d’une part, et entre Etat grec et Troïka d’autre part, ont abouti, ce qui a permis le déblocage du second plan d’aide à la Grèce (130 Milliards d’euros) et la mise en place du PSI, programme d’échange de dette grecque ;

Au total, les actifs risqués sont nettement repartis à la hausse : +8% pour le high yield européen, 13% pour le DAX, 8% pour le CAC.

Le risque de faillite bancaire cède du terrain … une des grandes conséquences des LTROs

La décision – à deux reprises – de la BCE de fournir des liquidités 3 ans aux banques est très importante, et cela pour au moins quatre raisons :

  • En premier lieu, cela désactive les craintes tenaces qui ont émaillé 2011, celles de voir les banques devoir faire face à un déficit de liquidité (« liquidity shortage »). Sur ce point, la BCE a frappé fort. Après le premier LTRO, la durée moyenne des prêts de la BCE est passée de 30 jours à 650 jours suite au premier LTRO et à plus de 950 jours suite au second. Cela donne une idée précise de l’impact sur la liquidité des banques.
  • Ensuite, cela fait disparaître une partie de la prime de risque associée aux valeurs bancaires, le risque de faillite, ni plus, ni moins. En 2011, il n’y a pas eu une seule semaine sans rumeur de faillite (la BCE avait-elle vraiment la volonté et la capacité de soutenir les banques ?), sans crainte de ne pas être capable de subvenir aux besoins de liquidité, sans exagération sur le besoin de recapitalisation des banques … Le message est désormais clair : la BCE soutient toutes les banques.
  • En alimentant en liquidité les systèmes bancaires, la BCE réduit également les besoins d’émissions des établissements bancaires, ce qui donne une marge de manœuvre supplémentaire aux Etats qui, on le sait, ont déjà des programmes d’émissions chargés en 2012.
  • Enfin, la décision de la BCE permet de mieux dissocier le risque bancaire et le risque souverain, deux risques jusqu’ici perçus comme similaires. Pour faire bonne figure, les banques ont été « forcées » en 2011 de réduire très significativement leur exposition aux dettes souveraines européennes, des décisions d’autant plus difficiles (voire même impossibles) que certaines banques (en Espagne, en Italie et au Portugal notamment) étaient essentiellement détentrices de dette domestique. Ce vaste mouvement a d’ailleurs été un des facteurs qui a précipité la chute de certains marchés de dette et le très fort élargissement des spreads contre Allemagne (Italie et Espagne en tête). Les banques ont également été forcées de pousser plus loin encore le « deleveraging », la contraction du crédit, le retrait de certaines activités (trade finance notamment), la réduction des expositions aux produits dérivés … tout était bon pour assainir les bilans, réduire les risques et tenter de déconnecter les banques du risque souverain, sans grand succès … du moins avant la mise en application des LTRO.

La disparition du risque de faillite bancaire a permis un très net repli des CDS des banques, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis (rappelons qu’ils sont aussi élevés en Europe qu’outre Atlantique, ce qui donne une bonne idée du caractère systémique de la crise).

Il ne faut donc pas sous-estimer l’importance des LTRO menés par la BCE. Il s’agit sans conteste d’une décision judicieuse, qui permet de désactiver des risques qui jusqu’ici ont « empoisonné » les marchés européens. Deux nuances doivent néanmoins être apportées.

D’une part, la liquidité fournie aux banques ne se traduit pas – pas encore ? – par une amélioration des conditions de crédit auprès des entreprises et des ménages. Rappelons aux esprits chagrins que même si la BCE n’a pas mis en place un programme de quantitative easing, elle a tout de même désormais en sa possession près de 400 milliards d’euros de dettes souveraines euro (53 Mds de Grèce, 30 Mds de Portugal, 25 Mds d’Irlande, 195 Mds d’Italie et 85 Mds d’Espagne), et elle aura fourni aux banques près d’un trillion d’euros de liquidités à 3 ans. En tout et pour tout, si l’on compare les « efforts » de la BCE (évolution de son bilan rapporté au PIB de la zone) à ceux menés par la Banque d’Angleterre ou la Réserve fédérale, on constate tout simplement que la BCE est désormais bien au-delà de ses deux homologues. Plutôt que d’acheter des actifs toxiques aux banques, elle aura préféré fournir tout simplement de la liquidité aux banques … on ne saurait le lui reprocher.

Certes, les banques ne prêtent toujours pas, et les conditions de crédit restent serrées pour les entreprises notamment. Dans certains pays, Espagne et Italie notamment, les banques sont même revenues sur le marché de leur dette souveraine (voir graphique). Gageons que l’atténuation de la crise de la dette et la perspective d’indicateurs économiques plus favorables feront infléchir cette tendance. C’est un test clef. Nous avons depuis longtemps mis en avant que plus la contraction de crédit est sévère (longue et forte), et plus la récession sera sévère (longue et profonde). D’autre part, le rating des banques n’est pas encore sans risque. Moody’s a tout récemment annoncé les résultats de son étude sur les établissements bancaires. La perception de la détérioration des conditions dans lesquelles les banques opèrent, la dégradation des notes des souverains et la poursuite des mises sous surveillance d’une partie d’entre eux, et enfin l‘opinion selon laquelle les risques et la profitabilité des opérations de marché vont être durablement affectés, tout cela a incité Moody’s à revoir en profondeur les ratings. Sur les 114 banques analysées, 109 ratings long terme et 66 ratings court terme sont en passe d’être abaissés. Quelques conclusions méritent d’être rappelées.

De nombreuses grandes banques vont peut-être devoir faire face à de multiples dégradations de leur note long terme : 2 notes, voire 3, dans le pire des scénarios, pour des institutions comme Crédit Suisse, UBS, Morgan Stanley, BBVA, CaixaBank, UBI Banca, Erste Bank, ou encore les banques danoises.

Sur la dette long terme, les banques françaises s’en sortent bien mieux que généralement anticipé : contrairement à des établissements comme Barclays, Goldman Sachs, Lloyds, Citibank … leur rating long terme n’ira pas en-dessous de A2 et leur rating court terme restera P-1 (Prime-1).

Rappelons enfin que le rating court terme est en danger pour quelques établissements de renom : certains (notamment aux Etats-Unis) risquent de passer P-3 (Prime-3), ce qui posera de rédhibitoires difficultés d’accès aux « money market funds ». Tout cela est désormais très largement anticipé, mais le destin des ratings des banques est encore lié à celui des souverains.

La Grèce … désormais à l’abri ? Pas aussi simple que cela …

La Grèce poursuit l’austérité, et parvient à convaincre ses partenaires du bien-fondé de leur aide.

Deux bonnes nouvelles coup sur coup : l’accord entre les créanciers privés et le gouvernement grec pour procéder au déroulement du programme d’échange (« PSI programme »), et l’accord entre la Troïka et le gouvernement grec permettant le déblocage du second plan de sauvetage, d’un montant de 130 milliards d’euros.

La grande difficulté de l’année 2011 aura été d’atténuer la contagion de la Grèce aux autres pays. Le Portugal et l’Irlande, puis l’Espagne et l’Italie, puis la France et l’Autriche et enfin l’Allemagne ont tous connu, à des degrés divers, des difficultés : pertes de ratings, difficultés de financement, voire même pour certains, rumeurs de défaut.

1ère étape  : convaincre la communauté financière que la Grèce restait un cas spécifique. Il était difficile de gérer le cas de la Grèce alors que d’autres pays étaient également pris dans la tourmente. Depuis le début de l’année, cela est devenu chose plus aisée. Il faut d’ailleurs noter que depuis le début de la forte dégradation de la crise (juillet 2011), ou depuis la période correspondant aux plus hauts niveaux atteints par les spreads de taux contre Allemagne (le 25 novembre dernier), seul le marché obligataire grec a vu sa situation se détériorer. Pire, depuis le début de l’année, et cela en dépit des avancées majeures dans la « résolution » de la crise grecque, seul le spread grec s’est dégradé. Cela montre bien le caractère spécifique de la Grèce d’une part, et la résignation dans la perte à venir sur la restructuration de la dette grecque. Il n’en demeure pas moins vrai que la déconnection des autres dettes reste un succès pour les européens. Il faut également noter la très forte surperformance du marché obligataire irlandais depuis l’été 2011 : les efforts menés par ce pays sont allés bien au-delà des résultats escomptés, et l’Irlande ne fait plus partie des pays dont le défaut semble inévitable.

2ème étape  : acheter du temps. La mise en application du PSI et le déblocage du second plan de sauvetage permettent de gagner du temps, c’est indéniable. 130 milliards d’euros, c’est la recapitalisation des banques, ainsi que l’équivalent de la dette et des déficits publics à financer d’ici à 2014. Autrement dit, à supposer que la Grèce reçoive effectivement le montant d’aide, les européens ont reporté le problème à fin 2014. Car soyons clairs : la Grèce n’est pas solvable, même avec un ratio de dette sur PIB de 120%.

3ème étape : restaurer la crédibilité de la zone euro. Restaurer la crédibilité passe par un vrai suivi des performances économiques et financières (un nouveau pacte de stabilité), un efficace dispositif anti contagion, la mise en place du Mécanisme de Stabilité Européen, une modification des procédures de vote et de certains aspects du Traité européen, l’activation d’un investisseur de dernier ressort, une recapitalisation ordonnée des banques, une restructuration ordonnée de la Grèce, des mesures visant à atténuer les craintes de déficit de liquidités des banques, des perspectives de croissance non étouffées par l’austérité budgétaire … certains critères, nous venons de le voir, sont en cours d’amélioration, d’autres ont été mis en place.

Au total, le cas de la Grèce est indéniablement davantage sous contrôle qu’il ne l’était il y a seulement quelques mois. Tout n’est évidemment pas réglé, mais le caractère spécifique de la Grèce est désormais plus apparent. Même si tous les risques systémiques n’ont pas totalement disparu, la contagion s’est graduellement éloignée, ce qui donne du temps aux européens pour améliorer discipline et gouvernance.

Le redéploiement actuel du risque dans les portefeuilles internationaux contraste singulièrement avec les allocations d’actifs qui ont caractérisé l’année 2011. Les dernières enquêtes de l’année passée montraient d’ailleurs que les niveaux de risque n’avaient pas été aussi faibles depuis la crise financière, et que les portefeuilles internationaux n’avaient pas été depuis longtemps autant investis en cash. Une situation peu banale en temps de crise, mais qui démontre bien le potentiel d’appréciation des classes d’actifs risqués … dés que les indicateurs de redéploiement du risque allaient se mettre au vert. C’est désormais chose faite. Même si tous les problèmes ne sont pas réglés (Grèce, ̈Portugal, rating des banques …), la situation de crise a cédé du terrain. Or elle est à l’origine d’une sous-valorisation excessive des classes d’actifs risqués dont il convient aujourd'hui de tirer parti.