Une bulle de la consommation

par Rudi Van den Eynde, Senior asset manager chez Dexia Asset Management

Le secteur de la consommation discrétionnaire regroupe les médias, l’automobile, la distribution et le luxe, les biens de consommation durables, l’habillement, l’hôtellerie et les loisirs. Le dénominateur commun, et dans le cas présent, le problème commun, est de toute évidence la consommation. Depuis deux ans, la vitalité de la consommation mondiale (et plus particulièrement dans les pays anglo-saxons) est soutenue par le niveau peu élevé des taux d’intérêt réels et la hausse ininterrompue des prix de l’immobilier. A cela s’ajoute une culture de la dette et un système financier trop disposé à financer cette dette, avec pour conséquence la formation d’une bulle de la consommation.

Le revers de la médaille, en cas d’augmentation de l’endettement, est bien évidemment une sensibilité accrue (y compris à l’échelle nationale) à la hausse des taux d’intérêt, signe avant-coureur du malaise. Lorsque l’appréciation des prix des produits alimentaires et des matières premières a contraint la Réserve fédérale à finalement abandonner sa politique monétaire accommodante, la hausse des prix de l’immobilier a commencé à donner des signes de stabilisation. Parallèlement, les consommateurs ont vu leur pouvoir d’achat fortement amputé par cette même hausse des prix de l’énergie. 

Autant de facteurs qui en soi auraient suffi à annoncer un ralentissement modéré des tendances de consommation. Mais c’était sans compter sur la pernicieuse Loi de Murphy et la crise des marchés financiers qui a sensiblement aggravé les problèmes. L’autre effet secondaire d’un endettement élevé est les tensions que cela fait peser sur le système financier. Dans le cas présent, les tensions ont été particulièrement fortes et ont entraîné un resserrement du crédit. L’économie mondiale va manifestement devoir faire face à une période de récession qui va dissiper tout espoir de reprise de la consommation.

L’impact sur le secteur varie bien évidemment en grande partie en fonction du sous-secteur d’activité et de l’entreprise concernée. Les consommateurs commencent généralement par réduire leurs budgets vacances et leurs dépenses automobiles, par exemple. Ainsi, l’automobile étant un secteur très capitalistique avec des coûts fixes élevés, cela explique pourquoi les constructeurs sont malmenés par les investisseurs. De nombreuses entreprises liées à la consommation ont un levier opérationnel important.

Dans le cas de la distribution et des sociétés de croisières par exemple, toute baisse d’un point de pourcentage de leur chiffre d’affaires se traduit par une contraction de 5 % de leur résultat net. Sans surprise, la distribution est particulièrement à la peine dans les pays où une bulle immobilière s’était formée et où l’excès d’endettement consécutif s’avère indigeste. Les chaînes de magasins de vêtements comme Next, Marks & Spencer et Inditex sont frappés de plein fouet et ne sont distancées que par les distributeurs de produits électroménagers et électroniques comme Dixons et Kesa.

Le secteur du tourisme n’est bien évidemment pas à l’abri de cette tendance ; même si certains tours opérateurs comme TUI Travel ou Thomas Cook bénéficient d’une certaine flexibilité en termes de coûts (contrairement aux sociétés de croisières comme Carnival), ils n’ont pas résisté au mouvement baissier du secteur.

Dès lors que les signes de détérioration de l’environnement macroéconomique se sont matérialisés, la frugalité du consommateur n’était plus le seul problème qui se posait. Ainsi, les recettes publicitaires sont très importantes pour les groupes de médias et nombre d’entre eux prévoient des coupes sombres au cours des prochains trimestres. Les journaux – très dépendants des annonces immobilières et d’emploi – et les chaînes de télévision en clair sont touchés, ainsi que les éditeurs de magazines comme Lagardère. Les agences de publicité (WPP, Havas, Publicis) n’échappent pas à la tendance et connaissent les mêmes difficultés que leurs clients. Les voyages d’affaires et d’agrément sont écourtés et les chaînes hôtelières enregistrent un recul de leur revenu par chambre disponible. Même les groupes d’habillement traditionnellement plus défensifs tels Adidas et Puma sont rattrapés par le sentiment négatif.

Manifestement, investir dans le secteur de la consommation discrétionnaire n’était pas très conseillé. Nous avons dans un premier temps orienté nos choix d’investissement de façon à rester à l’écart des entreprises vulnérables sur le plan financier et confrontées à des besoins de refinancement. Certaines stations de télévision en clair, certains opérateurs Haut Débit (comme Virgin Media), voire certains opérateurs de satellites, généralement défensifs, ploient en effet sous une dette très importante. Il en est de même pour certains distributeurs comme DSGI ainsi que pour les chaînes hôtelières espagnoles Sol Melia et NH Hoteles. Les plus touchés sont les exploitants de pubs britanniques dont l’endettement massif les empêche d’atteindre un plancher absolu de valorisation et dont les cours de bourse ont atteint un niveau dérisoire.

Alors que la crise s’intensifiait, nous nous sommes concentrés sur les valeurs plus défensives : les entreprises plus robustes et financièrement plus saines, comme Vivendi notamment. Les télécommunications génèrent près de la moitié des résultats du groupe, le solde provenant d’activités plus cycliques mais d’excellente qualité. Activision pour sa part est le numéro un mondial des jeux en ligne et ses derniers titres ont rencontré un succès retentissant.

Nous étions également positifs (et nous le sommes toujours) sur Pearson, très bien positionné dans l’éducation (livres scolaires, tests de QI, etc.), une activité qui malgré les inquiétudes liées au financement des établissements scolaires, reste relativement stable. Sa filiale Penguin est le numéro un mondial dans l’édition et la publication de livres de poche (une activité elle aussi relativement épargnée par la crise). Elle affiche l’une des situations les plus robustes du secteur. Les marchés émergents constituent un gisement de croissance : l’Inde compte ainsi plus de locuteurs anglophones que les États-Unis.

A l’autre extrémité du tableau, parmi les grandes capitalisations, figure le groupe PPR malgré certaines marques reconnues comme la Fnac, Gucci ou la Redoute. Le bilan de PPR est très contraint et l’unique pilier de croissance du groupe, les activités du pôle Luxe (avec Gucci comme fer de lance), subit un net ralentissement. Même aux niveaux modestes observés actuellement, nous préférons nous tenir très à l’écart de PPR pour le moment.

Quelles perspectives ?

Ce qui soulève la question de savoir quelle sera l’évolution de la situation. Le désendettement des consommateurs va prendre du temps et nous ne prévoyons pas de stabilisation des marchés des actions à court terme. Toutefois, certaines des entreprises les plus exposées se négocient aujourd’hui à des niveaux de valorisation qui méritent au moins une investigation plus approfondie. Certaines vont probablement réussir à survivre et offrent un excellent potentiel dans une perspective d’investissement à long terme.

Les groupes de luxe mieux positionnés tels LVMH, Richemont et Swatch sont ceux qui viennent à l’esprit en premier. A notre avis, certaines sociétés de loisirs présentent aussi un potentiel de création de valeur à long terme (Carnival Cruise est la plus importante société du secteur des croisières), de même que certaines chaînes d’hôtels de qualité comme Whitbread et Accor. Les agences de voyages comme Thomas Cook et TUI Travel intègrent dans leur cours des perspectives plutôt catastrophiques.

Dans la distribution, des valeurs solides comme Inditex, H&M, Marks & Spencer et Kingfisher devraient résister. Enfin, les agences de publicité plus performantes telles Aegis et WPP offrent aussi un important potentiel de création de valeur. Au sein du secteur de l’automobile, des constructeurs comme Daimler et Volkswagen (nous recommandons uniquement une exposition aux actions préférentielles) devraient nettement rebondir car ils disposent de plusieurs atouts (produit, marque commerciale, distribution et solidité financière).

Le secteur ne manque pas de valeurs de qualité ; toutefois, malgré des valorisations modestes, nous préférons attendre davantage de signes positifs tangibles avant de prendre un engagement plus concret. Mieux vaut céder aux spéculateurs les premiers 10 % du rebond ; ces entreprises de qualité recèlent en effet un potentiel de hausse durable et significatif qui ne se matérialisera toutefois qu’une fois la conjoncture stabilisée. L’essentiel est de choisir le bon moment et ne pas oublier que la patience est une vertu.