Venezuela, ou le naufrage de la révolution bolivarienne

par Lysú Páez-Cortez, économiste chez Natixis

Ces dernières semaines les risques d’une explosion sociale et politique semblent s’accroitre au Venezuela. Une aggravation prononcée des pénuries alimentaires, l’approfondissement de la crise énergétique, la multiplication de la violence (pillages, lynchages…) et une amplification des tensions politiques entre le gouvernement de Maduro et les forces d’opposition semblent dresser un scenario ineffable, catastrophique, pour l’avenir à court terme du pays. Au moment où l’opposition lance une procédure de demande de referendum pour révoquer le mandat de Maduro, celui-ci riposte en décrétant le 13 mai « l’état d’exception et urgence économique » pendant 60 jours, un dispositif qui lui donne des droits extraordinaires. Ne serait-ce un pas de plus vers l’autoritarisme ?…

Un cas terminal de « maladie hollandaise »

Le Venezuela repose sur plus grandes réserves prouvées de pétrole au monde (300mds de barils). Pays mono-producteur, il a subi pendant la dernière décennie une vague de profonde désindustrialisation (soutenue par des expropriations et nationalisations) qui a accentué la dépendance du pays aux importations.

  • La chute de la production pétrolière de 3mbj en 2002 à moins de 2.4mbj actuellement, résultant l’abandon des investissements dans l’industrie, la chute des exportations de pétrole en plus de la chute soutenue des prix du brut, a asséché les comptes du pays dont les recettes dépendent à 96% des exportations pétrolières.
  • Il affiche dans la région la piètre performance économique depuis quelques années. D’après la Banque Centrale, le PIB aurait reculé de 5.7% en 2015. Le FMI estime que le PIB reculera de 8% en 2016 et de 4,5% en 2017 ;
  • D’après la Banque Centrale, l’inflation se serait établie à 180% en 2015 ; selon les prévisions du FMI elle devrait atteindre 720% en 2016 et 2.200% en 2017 (FMI).
  • Le déficit public se situe autour de 20% du PIB. 

  • La monnaie locale ne cesse de se déprécier. L’écart entre le taux de change officiel, le taux SIMADI et celui 
du marché noir continue de se creuser, ils sont à 9,90VEF/USD, 426,00VEF/USD et 1.075,00VEF/USD 
respectivement.
  • Les réserves de change ont fortement chuté depuis le début de 2016 ; elles sont à leur plus bas niveau en 13 
ans, à $12.2Mds (vs $16.4Mds fin 2015). 


Un bras de fer politique très tendu

  • Le bras de fer entre le gouvernement et l’opposition, en place depuis décembre 2015, ne cesse de tendre. D’une part le gouvernement détient le contrôle sur le pouvoir électoral (CNE) et le Tribunal Suprême de Justice (TSJ), et de l’autre l’opposition détient la majorité parlementaire depuis décembre 2015. Dans une démarche de non-reconnaissance du nouveau parlement, toutes les lois ou décrets qui ont été votés depuis par l’Assemblée Nationale ont été systématiquement rejetés par le TSJ sous demande du Président Maduro, refusant ainsi à reconnaitre la légitimité du parlement et bloquant tout dialogue ou possibilité de mettre en place des réformes.

Face à la vertigineuse dégradation des conditions économiques et d’état de droit, l’opposition a lancé fin avril la procédure pour la demande d’un referendum visant à la destitution du président Maduro. Un total de 1,85 millions de signatures a été recueilli en deux jours contre 195,000 nécessaires (soit 1% de la population votante) pour introduire la demande. Ces signatures doivent être validées par le CNE dans un bref délai, pour permettre à l’opposition de recueillir les 4 millions de voix nécessaires (20% du patron électoral) pour convoquer le referendum révocatoire; mais le CNE ne semble pas pressé de le faire. De plus, la semaine de travail étant réduite à deux jours par semaine pour faire des économies d’énergie, toutes les instances administratives opèrent au ralenti. Cette démarche semble avoir déclenché une vague de répression et d’actions de la part du gouvernement qui évoque une tentative de coup d’Etat.

« Chronique d’une explosion annoncée »…

Depuis quelques semaines les évènements semblent s’accélérer.

  • La première semaine de mai, les forces de sécurité sont intervenues pour empêcher des manifestants 
réclamant le referendum d’atteindre le CNE ;
  • Vendredi 13 mai, évoquant des « menaces extérieures » (US) et la « guerre économique » (menée par 
l’opposition), Maduro a annoncé le prolongement de l’état d’urgence économique à tout le pays pour une 
période de 60 jours, avec l’intention de le prolonger davantage jusqu’en 2017. 

  • Samedi 14 mai, de manifestations d’opposition en rejet du décret se sont poursuivies ; 

  • Mardi 17 mai, l’Assemblée Nationale rejette de décret présidentiel. L’opposition, de la voix de l’ex-candidat 
présidentiel Henrique Capriles, fait appel à la désobéissance civile et militaire.
  • Mercredi 18 mai, des nouvelles protestations sont convoquées à Caracas.

Les marchés continuent de pricer un défaut dans les mois à venir

Avec des échéances de paiement de la dette en agenda à hauteur de $2Mds USD en octobre, $3Mds en novembre et $4Mds en avril 2017, le défaut ne serait qu’une question de temps. Même si les expectatives d’un possible défaut sont passées de 80% en février à 60% actuellement, elles restent non négligeables. D’après le vice-président pour les affaires économiques, le pays cherche à réduire davantage ses importations, à $20Mds (leur plus bas niveau en 12 ans), histoire de disposer des moyens pour faire face aux obligations au S2-16, quitte à approfondir les niveaux de pénurie de biens qui frappe la population. Il semblerait donc que le gouvernement continuera à faire tous les efforts nécessaires pour éviter le défaut. 


Mais dans l’immédiat, ce sont les tensions politiques, le virage autoritaire de Maduro et le manque de dialogue qui donneront le ton dans l’issue de cette impasse (économique, sociale et politique), la pire dans l’histoire du pays. Après 17 ans de populisme, le naufrage de la « révolution bolivarienne » et de son « socialisme du XXIème siècle » semble inéluctable.

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