Zone euro : dégradation du marché du travail

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

La récession affecte le marché du travail de la zone euro. L’emploi a commencé à se contracter au T3 2008. Les données d’enquêtes suggèrent que cette dégradation pourrait se poursuivre dans les prochains mois. 

Le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 595 000 au T4 2008, l’une des plus fortes hausses jamais enregistrées. C’est en Espagne que la hausse a été la plus marquée au T4 2008, même si la dégradation s’étend à d’autres pays. Les données d’enquêtes font état d’une augmentation du chômage dans tous les pays de la zone euro.

Compte tenu de l’ampleur de la récession, le taux de chômage pourrait s’établir à plus de 10 % à la fin de l’année, voire au-delà en 2010.

La récession affecte le marché de l’emploi (1)

La zone euro est confrontée à une récession sans précédent. Après avoir subi une contraction au cours des deux précédents trimestres, le PIB s’est replié de 1,5 % au T4 2008, son plus mauvais résultat historique. Les perspectives pour 2009 sont plutôt médiocres ; les enquêtes de confiance réalisées auprès des chefs d’entreprise début 2009 font état d’une poursuite de la contraction de l’activité. L’indice PMI composite de l’activité, qui constitue généralement un indicateur pertinent de la croissance du PIB, a atteint un nouveau plus bas historique en février. Les incertitudes qui pèsent sur l’économie mondiale se répercutent sur la confiance des entrepreneurs. Au vu de la contraction de la demande, les entreprises n’ont pas besoin d’accroître leurs capacités de production. Ainsi, l’enquête réalisée par la Commission européenne révèle que le taux d’utilisation des capacités dans le secteur manufacturier s’est établi à 75 % en janvier, son plus bas niveau historique. Dans cet environnement, les entreprises appréhendent toujours d’investir et d’embaucher. Les dernières données disponibles font apparaître une contraction de l’emploi depuis le T3 2008 (-0,1 % t/t, contre +0,2 % au T2 2008), une tendance confirmée en glissement annuel également : le taux de croissance de l’emploi est ainsi revenu à 0,7 %, contre 1,3 % le trimestre précédent.

L’emploi a commencé à se détériorer dans tous les pays et tous les secteurs dès le T3 2008…

D’un point de vue sectoriel, c’est dans la construction que les destructions d’emplois ont été les plus massives. Au T3 2008, l’emploi s’est contracté de 1,5 % t/t, après s’être déjà replié au cours des deux trimestres précédents. Compte tenu de l’effondrement de l’activité dans le secteur de la construction dans certains pays (en Espagne et en Irlande notamment), les perspectives d’emploi dans ce secteur sont extrêmement médiocres pour les prochains trimestres.

Les problèmes ne sont pas limités au secteur de la construction. Les conditions se sont aussi sensiblement détériorées dans le secteur manufacturier, très affecté par la crise financière et le ralentissement de la demande mondiale. La production industrielle s’est effondrée au cours du dernier trimestre 2008, reculant de 5% t/t, sa plus mauvaise performance historique. Les données d’enquêtes des mois de janvier et février 2009 font état d’une poursuite probable de la contraction de la production manufacturière. Il ressort notamment de ces enquêtes que les entreprises considèrent que leurs stocks sont relativement élevés. 

Ce qui pourrait impliquer que le ralentissement va se poursuivre en raison de l’ajustement des stocks au fléchissement de la demande.

Au T3 2008, l’emploi dans le secteur manufacturier s’est contracté de 0,3 % t/t. Enfin, l’emploi devrait également commencer à se contracter dans le secteur des services (il était toujours en territoire positif au T3 2008).

…et les perspectives sont médiocres

Les données d’enquêtes suggèrent que la détérioration de l’emploi pourrait se poursuivre dans les trimestres à venir. L’indice composite PMI pour l’emploi, qui suit généralement avec retard la composante relative à l’activité, a plongé à un plus bas historique en février. Les indicateurs relatifs aux perspectives de l’emploi de l’enquête de la Commission européenne font état d’une tendance similaire. Celle-ci se retrouve dans l’ensemble des secteurs, quoique dans une moindre mesure dans les services.

Le repli de l’activité devrait se poursuivre pendant plusieurs trimestres. Sur l’ensemble de l’année, le PIB pourrait reculer de près de 3 %. Conformément à la détérioration des perspectives de croissance, nous prévoyons une contraction de l’emploi pendant plusieurs trimestres.

Les données nationales confirment la poursuite de la détérioration ayau T4 2008(2). Le marché de l’emploi espagnol est particulièrement vulnérable à la récession actuelle. Le nombre de destructions d’emplois a sensiblement augmenté au cours du second semestre de l’année dernière. Au T4 2008, l’emploi en Espagne s’est contracté de plus de 2 % t/t(3), confirmant la tendance baissière observée au cours des deux précédents trimestres. Les problèmes auxquels l’Espagne est confrontée sont principalement imputables au retournement du marché immobilier. Au T4 2008, l’emploi dans ce secteur a reculé de plus de 12 % t/t. En Allemagne, la croissance de l’emploi est restée positive au T4 2008 mais marque une nette décélération, alors qu’elle s’est repliée pour le deuxième trimestre consécutif en France et qu’elle est restée stationnaire en Italie au T3 2008.

Le chômage a déjà commencé à progresser

En janvier, le nombre de personnes sans emploi a augmenté de 256 000, la plus forte hausse depuis début 1995. Le nombre de demandeurs d’emploi a crû de 595 000 du T3 au T4 2008. Il faut remonter au début des années 1990 pour retrouver des hausses similaires, signe supplémentaire que la récession actuelle pourrait bien se révéler au moins aussi sévère qu’en 1993.

Là aussi, les différences entre les pays sont assez marquées. Dans la zone euro, la forte augmentation du chômage au T4 est imputable essentiellement à l’évolution du marché de l’emploi en Espagne. Au T4 2008, le nombre de demandeurs d’emploi a crû de 484 000, après avoir progressé de 291 000 et de 311 000 respectivement au cours des deux trimestres précédents. Le chômage progresse aussi en France depuis le deuxième trimestre 2008, +108 000 personnes au T4 2008(4), quoique à un rythme beaucoup moins soutenu qu’en Espagne,. A l’inverse, en Allemagne, le chômage était toujours orienté à la baisse à la fin de l’année dernière. Au T4 2008, le nombre de personnes sans emploi a diminué de 31 000, après un recul de 75 000 environ au cours de chacun des deux trimestres précédents. En décembre, toutefois, cette tendance a commencé à s’inverser avec une augmentation de 10 000 du nombre de chômeurs(5).

Le taux de chômage(6) (harmonisé) est ainsi monté en flèche en Espagne, à plus de 14 % en décembre, contre 13,7 % en novembre. Cette tendance a été confirmée en janvier, le taux de chômage ayant atteint environ 15%. En revanche, en Allemagne, il n’a progressé que très faiblement, passant de 7,2 % (taux harmonisé) en décembre et novembre à 7,3% (taux harmonisé) en janvier, sa première hausse depuis plus de trois ans(7). 

Les données d’enquêtes font toutefois état d’une probable nouvelle dégradation du chômage en Allemagne. Dans le secteur manufacturier, qui représente près de 27 % de l’activité totale mesurée en termes de valeur ajoutée, contre une moyenne de 18 % dans les autres grandes économies de la zone euro, l’emploi devrait se contracter sensiblement en Allemagne. Allant dans le même sens, les données d’enquête font état de nouvelles destructions d’emplois en France et en Italie, dans des proportions plus importantes encore dans ce pays.

Jusqu’où le taux de chômage peut-il augmenter ?

Lors de la récession du début des années 1990, le taux de chômage avait progressé de 9,3 % au T1 1993 à 10,8 % au T2 1994. Aujourd’hui, la contraction de l’économie est plus prononcée (en 1993, le PIB s’était replié de 0,8 %) ; le taux de chômage risque donc, selon nous, de monter en flèche.

Grâce aux réformes introduites au cours des dernières années dans certains pays, le marché de l’emploi de la zone euro est aujourd’hui plus flexible que durant les années 1990. Ce qui suppose qu’au cours des périodes de ralentissement ou de récession, il se peut que le chômage augmente plus rapidement mais recule plus fortement en période de reprise ou d’expansion économique. Selon l’OCDE, le taux structurel de chômage ou « NAIRU » dans la zone euro a reculé de 9 % au début des années 1990 à 7,4 % environ à la fin de 2008. C’est en Italie et en Espagne que l’amélioration est la plus notable ; le NAIRU a ainsi reculé de près de trois points de pourcentage en Italie entre le début des années 1990 et la fin de 2008 et de plus de 4 pp en Espagne entre début 2000 et fin 2008.

Sous l’effet des réformes du marché de l’emploi, le nombre de salariés sous contrats temporaires dans la zone euro a progressé, pour s’établir à 16,4 % (en pourcentage de l’emploi total) au T3 2008, contre 13 % au début de 1997, alors que le nombre de personnes à temps partiel dépasse 19 % (en pourcentage de l’emploi total), contre 14 % sur la même période. C’est en Italie que le recours au travail temporaire a augmenté le plus fortement. Les salariés sous contrats temporaires, en pourcentage de l’emploi total, sont passés de 6 % au début de 1993 à plus de 13 % au T3 2008.

Compte tenu de tous ces éléments, nous anticipons une augmentation sensible du taux de chômage au cours des prochains mois. Une version dynamique de la « loi de Okun », fondée sur la relation entre les variations du chômage et la croissance du PIB, indique que le taux de chômage, qui se situait à 8 % en décembre, pourrait s’établir à plus de 10 % à la fin de l’année, voire au-delà en 2010.

Modération sensible des coûts salariaux au cours des prochains mois

Selon les dernières statistiques disponibles, la hausse des coûts salariaux s’est poursuivie à un rythme relativement soutenu au cours du second semestre 2008. La rémunération par employé devrait avoir progressé de 3,5 % en glissement annuel au T3 2008, égalant le record du trimestre précédent. La détérioration de la situation de l’économie et du marché de l’emploi devrait néanmoins se traduire par une modération des dynamiques salariales en 2009 (voir graphique 7) ; le phénomène devrait s’accentuer dès le printemps prochain. Les coûts salariaux unitaires pourraient avoir augmenté de nouveau au second semestre 2008, essentiellement sous l’effet de la baisse de la productivité du travail. Les coûts salariaux unitaires ne devraient diminuer de façon plus prononcée qu’à partir du second semestre 2009, lorsque le ralentissement de la croissance des salaires devrait être plus perceptible et que la productivité du travail devrait commencer à se redresser, ne serait-ce que lentement.

NOTES

(1) Dans cet article, les données commentées sont celles publiées par Eurostat (données harmonisées) qui permettent les comparaisons entre pays. Il existe des écarts avec les données nationales en termes de niveau absolu, mais la tendance est similaire. Celles- ci sont rappelées à chaque fois que nécessaire.
(2)Les données d’emploi dans l’ensemble de la zone euro seront publiées à la mi-mars.
(3)Selon les données nationales (’INE), la baisse a été de 2.4% t/t.
(4)Selon les données nationales (Ministère du travail), le nombre de demandeurs d’emploi, inscrits en catégorie 1 (personnes cherchant un emploi à temps plein et à durée indéterminée et qui ont éventuellement exercé une activité réduite d’au plus 78 heures dans le mois)a augmenté de 156k au cours des trois derniers mois de 2008, puis de 90k en janvier 2009.
(5)Selon les données nationales (Bundesbank), le nombre de chômeurs a commencé à augmenter dès novembre 2008 (+4k). EN février 2009, la hausse cumulée (depuis novembre 2008) était de 138k.
(6) Seul Eurostat publie des données mensuelles.
(7)En données nationales (Bundesbank), la progression s’établit à trois dixièmes de point en trois mois (7,9% en février 2009).

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas