Zone euro : du renforcement à la résilience

par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas

D’après les médias, la proposition franco-allemande de créer un budget pour la zone euro remporterait de plus en plus de suffrages parmi les autres pays de la zone, ouvrant ainsi la voie à une multiplication des efforts pour faire avancer ce projet. Si le chemin à parcourir pour y parvenir devrait être long, les efforts entrepris méritent d’être soutenus car, en cas de succès, la résilience de la zone euro en sortirait renforcée, ce qui est grandement nécessaire.

Selon l’OCDE, la résilience représente « la capacité des ménages, des communautés et des États à absorber et se remettre de chocs, tout en adaptant structures et moyens d’existence aux facteurs de stress à long terme, au changement et à l’incertitude ». Les facteurs de stress potentiel sont actuellement nombreux : crainte du protectionnisme, inquiétudes liées à la hausse des taux d’intérêt américains, accumulation de l’endettement dans certains secteurs, incertitude (géo)politique, etc.

Plusieurs moyens permettent d’améliorer la résilience économique. L’un d’eux consiste à prendre des mesures contracycliques, comme baisser les taux d’intérêt lorsque l’économie entre en récession. La résilience est alors fonction de la marge de manœuvre des politiques monétaire et budgétaire des pays. Or, pour nombre d’économies développées celle-ci est limitée. C’est notamment le cas dans la zone euro en raison du niveau élevé de la dette publique et de la faiblesse des taux directeurs de la BCE. Le problème y est d’autant plus sérieux qu’il n’y a pas de politique budgétaire commune et qu’il existe un risque de contagion réel et/ou financier lié à des chocs qui frapperaient plus sévèrement encore les pays les plus faibles.

Des politiques visant à stimuler la croissance potentielle peuvent également contribuer à conforter la résilience : accélérer la croissance dans la durée réduit le risque de ralentissement fort et, in fine, de décrochage de l’économie sous l’effet de vents contraires. Ce concept renvoie à une nette détérioration de la performance économique, la croissance étant passée en deçà d’un certain seuil[1]: la confiance recule, déclenchant une dynamique négative qui se renforce d’elle-même. La croissance potentielle dépend, dans une très large mesure, de la capacité d’une économie à innover et à accélérer la productivité. Comme le soulignait Mario Draghi dans un discours récent[2], « la profondeur des marchés financiers facilite dans une large mesure la diffusion de l’innovation, en fournissant aux entreprises le capital-risque leur permettant de commercialiser de nouvelles technologies » ajoutant que « l’achèvement de l’union bancaire et celui de l’union des marchés de capitaux constituent à cet égard des mesures d’amélioration essentielles ».

Le troisième moyen de renforcer la résilience est de réduire la sensibilité aux chocs d’une économie, en menant des réformes structurelles lorsque la conjoncture s’y prête, conformément à l’adage selon lequel « le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille ». La manière dont l’activité est financée joue aussi un rôle important. On a souvent soutenu que la mise en place d’une union des marchés de capitaux allait encourager le partage des risques grâce à des portefeuilles d’investissements plus diversifiés au plan international. Cela implique que l’impact d’un choc négatif dans un pays donné sur les cours des actions ou des obligations d’entreprise se propagerait à l’échelle internationale en touchant les investisseurs étrangers. De même, l’achèvement de l’union bancaire, en encourageant les services bancaires transfrontières et, par conséquent, la diversification internationale, favoriserait le partage privé des risques.

Plus important encore, selon Mario Draghi, l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux réduiraient la nécessité d’un partage des risques par le secteur public, basé sur la mise en commun de ressources financières. Ces mécanismes serviraient à créer un filet de sécurité pour la résolution des défaillances bancaires : « Le partage public des risques, en dotant le fonds de résolution d’un filet de sécurité, aurait pour effet de faire disparaître les incitations, au niveau national, visant à limiter les flux de capitaux et de liquidités. Cela se traduirait, à son tour, par une plus large intégration financière et un meilleur partage privé des risques au niveau de la zone euro ». Autrement dit, les progrès réalisés en termes de partage public des risques encourageraient le secteur privé à partager ces risques, réduisant ainsi le recours au secteur public.

En cas de chocs sérieux, le secteur public jouerait encore un rôle important en finançant des mesures contracycliques tout en tenant compte de la nécessité d’éviter l’aléa moral. Pour cette raison, le FMI insiste, après avoir formulé des propositions concrètes, sur le fait qu’un mécanisme central de stabilisation budgétaire peut également améliorer le respect des règles budgétaires dans la zone euro : « Notre projet de fonds vise à encourager l’épargne des pays membres ayant une marge budgétaire limitée — les encourager à constituer des réserves — tout en exigeant des contributions régulières de la part de tous les pays membres de la zone euro et, en même temps, en effectuant des transferts, sous condition de respect des règles budgétaires »[3]. Ce point est important : la perspective d’un soutien financier en cas de choc économique encouragerait fortement les pays à respecter, sur une base ex-ante, les règles budgétaires communes. Autrement dit, il leur serait plus facile d’expliquer à leurs électeurs les décisions prises en vue de respecter ces règles, si en retour le pays bénéficiait d’un soutien financier en cas de difficultés. Ces transferts seraient déclenchés automatiquement lorsque certains seuils de chômage seraient atteints.

Pour conclure, le renforcement de la résilience, c’est-à-dire la capacité de la zone euro et de ses pays membres à faire face aux chocs, peut a priori sembler tenir de la gageure compte tenu des marges de manœuvre limitées. Or, à y regarder de plus près, une stratégie en plusieurs volets permettrait de moins dépendre des instruments habituels de politique monétaire et budgétaire. Devant les limites des leviers contracycliques, une telle approche, ambitieuse et exigeante, est avant tout nécessaire, surtout dans un contexte de croissance mondiale qui devrait s’orienter à la baisse.

NOTES

  1. BRI, Do economies stall ? The international evidence, document de travail n°407, 2013
  2. « Economic and Monetary Union: past and present », discours prononcé par Mario Draghi lors de l’Europa-Konferenz, organisée par l’Institut Jacques Delors à la Hertie School of Governance, Berlin, 19 septembre 2018
  3. « A Financial Union for the Euro Area », discours prononcé par Poul M. Thomsen, directeur du département européen du Fonds monétaire international, lors de la Conférence du Forum financier belge, avec le soutien du SUERF, Bruxelles, 14 septembre 2018

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