Zone euro : le consommateur à bout de souffle

par Laurence Chieze-Devivier, stratégiste chez Axa IM

Dans le contexte actuel de récession marquée du commerce mondial, on peut s’interroger sur les composantes intérieures de l’activité, en particulier si les dépenses des ménages peuvent prendre le relais des exportations et ainsi éviter une profonde récession en zone euro. Malgré la forte décélération de l’inflation, qui exercera un effet positif sur le pouvoir d’achat, on peut craindre que les effets de la récession sur l’emploi et les salaires, sans oublier les effets de richesse négatifs liés à la dépréciation des actifs patrimoniaux, ne soient sévères et que par conséquent la confiance des ménages et leurs dépenses n’en soient fortement affectées.

Le consommateur, un soutien « traditionnel » à l’activité

La consommation des ménages est la première composante du PIB, représentant 56% du PIB de la zone euro. En moyenne, la croissance de la zone s’est établie à 2,2% depuis 1996, avec la consommation privée (+2% en moyenne) comme premier contributeur, à hauteur de 1,2 point en moyenne. En 2008, la consommation privée, tout comme le produit intérieur brut, a fortement ralenti (respectivement à 0,5% et 0,7%). La contribution des dépenses de consommation à la croissance n’a été que de 0,3 point de pourcentage, passant derrière la consommation publique. Ce ralentissement marqué des dépenses des ménages est imputable à la perte de pouvoir d’achat due à l’accélération de l’inflation qui a atteint un pic à 4,1%(A) en juillet 2008, en liaison avec la hausse des prix des matières premières, pétrole en particulier.

Des perspectives d’emploi très dégradées

Alors que les revenus réels étaient affectés par la poussée de l’inflation, l’emploi a commencé à se détériorer à partir du second semestre 2008. Sa progression a ralenti, passant d’un rythme annuel de plus de 3% en 2007 à 0,7% au 4T08, avec des reculs trimestriels de 0,1 et 0,3%(T). Cette détérioration est la conséquence directe de l’entrée en récession de la zone, dans le sillage de l’économie américaine. La situation varie néanmoins d’un pays à l’autre. L’emploi recule depuis le 1T08 en Espagne et en France, depuis le 2T en Italie, et probablement au 1T09 en Allemagne.

Parallèlement, le nombre de chômeurs a déjà considérablement augmenté depuis les points bas cycliques de 2007-08 : de 1 880 000 en Espagne, 382 000 en France, 240 000 en Italie et 230 000 en Allemagne. Au total, ce sont pratiquement 3 millions de chômeurs supplémentaires qui ont déjà été enregistrés depuis le point bas atteint au début 2008. Rappelons que le nombre de demandeurs d’emploi avait augmenté d’un peu plus de 2 millions lors de la récession de 1993. L’ajustement de l’emploi sera donc beaucoup plus marqué et rapide que lors des récessions passées, dans la mesure où les réformes du marché du travail mises en place depuis dix ans dans les pays européens ont accru la flexibilité de l’emploi. Ainsi, la part des emplois temporaires et des emplois à temps partiel a-t-elle fortement augmenté. Naturellement, en cas de retournement, les emplois temporaires sont les premiers touchés, car plus facilement non-reconductibles et alimentant ainsi une hausse rapide et importante du nombre de chômeurs. C’est notamment le cas de l’Espagne où les emplois à durée déterminée représentent plus de 30% de l’emploi salarié (contre 14% en Allemagne et en France) et où le secteur de la construction est un gros utilisateur de ce type de contrats. Ce secteur a d’ores et déjà perdu 580 000 emplois depuis le point haut du cycle au 3T07, soit une baisse de 21%.

Nous prévoyons un recul de l’activité considérable, de l’ordre de 3%, cette année en zone euro. L’emploi reculerait lui d’environ 2,5%, provoquant une hausse du taux de chômage au-delà de 10% à la mi-2010 pour l’ensemble de la région, la France et l’Allemagne, et flirtant même avec les 20% en Espagne. Dans ces conditions, l’épargne de précaution, liée à la montée des incertitudes, augmentera encore, s’ajoutant au processus de désendettement, freinant les dépenses des ménages.

Désendettement et hausse de l’épargne

Pour certains pays de la zone, la croissance rapide de ces dernières années a été stimulée par un recours accru au crédit des ménages, se traduisant par une hausse importante de leur taux d’endettement (80% du PIB en Espagne, 76% aux Pays-Bas, 82% en Irlande) et des prix de l’immobilier. Avec un resserrement de la politique monétaire européenne à partir de 2005, les ménages ont contourné, avec l’aide des banques, le renchérissement du crédit (hausse des taux hypothécaires) via un allongement de la maturité des prêts. Trois ans plus tard, avec la crise financière globale, la bulle immobilière éclate et les ménages sont contraints de réduire leur endettement.

Le désendettement des ménages est exacerbé par un accès au crédit rendu plus difficile, du fait de la détérioration des bilans bancaires (« credit crunch »). Evidemment, on peut craindre que les économies de la zone qui ont le plus stimulé leur croissance via une expansion forte du crédit, comme l’Espagne, l’Irlande ou, dans une moindre mesure, la France, doivent subir plus fortement la contrainte financière qui se met en place.

Pour l’instant, on constate effectivement une très forte décélération des crédits immobiliers aux ménages : ils stagnent en février pour l’ensemble de la zone et sont même en contraction en Allemagne et en Italie, depuis le milieu de 2008. Ainsi de manière étonnante, ce ne sont pas les pays où la croissance économique a été tirée par l’endettement, qui enregistrent le repli le plus brutal du crédit. Ainsi, en Espagne le rythme de croissance des crédits hypothécaires est passé de 35% (A) au pic du cycle à moins de 4%(A). Néanmoins, avec un endettement des ménages au-delà des 80% du PIB au 4T08, et compte tenu des tendances actuelles, le crédit aux ménages risque de se contracter au cours des mois, voire des trimestres à venir, tandis que l’effort de désendettement perdurera plusieurs années.

Au total, la baisse de l’endettement des ménages, liée au recul de leur richesse immobilière et financière, couplée à la baisse des revenus du travail (pertes d’emplois et modération salariale) est un facteur lourdement négatif pour les dépenses de consommation.

La désinflation sera bientôt terminée

La forte baisse de l’inflation depuis son pic à l’été 2008 a contribué à la relative résistance de la consommation en fin d’année dernière, tout du moins en France (+0,5% au 4T08), et à son recul de « seulement » 0,1% en Allemagne. L’inflation est passée de 4,1% en juillet à 1,6% en décembre et était, au même moment, proche de 1% en France et en Allemagne. Cette désinflation provient d’un fort effet de base lié à la hausse passée des prix des matières premières, en particulier de l’énergie. Cette tendance devrait se poursuivre jusqu’à la mi-2009. Au-delà, nous anticipons des prix des matières premières stables, qui cesseront donc de soutenir le pouvoir d’achat.

Le soutien de la politique économique

En réponse à la crise financière, la BCE a réduit ses taux directeurs de 300 points de base depuis octobre 2008, portant le repo à 1,25% en avril, mais reste opposée à une baisse au-delà de 1%. Depuis le début de cette année, cette politique monétaire relativement accommodante (au regard des taux zéro prévalant dans d’autres pays développés) a commencé à produire ses effets sur les niveaux de taux hypothécaires.

Parallèlement, au vu de nos prévisions de croissance et d’inflation négatives, les taux d’intérêt nominaux des obligations d’Etat à 10 ans seront amenés à baisser, renforçant cette tendance. Néanmoins dans le contexte actuel très particulier de crise financière mondiale, nous ne pouvons pas être certain que les politiques monétaires produisent leurs effets habituels, tant en délai qu’en ampleur. De ce fait, l’effet sur la demande finale et la consommation en particulier pourraient s’avérer moins puissant que par le passé.

Au-delà du jeu des stabilisateurs automatiques, la mise en place de plans de relance, via principalement des dépenses publiques en infrastructures et plus marginalement des aides aux ménages les plus démunis, soutiendra également l’activité. Pour les ménages, les mesures en faveur de la consommation ciblent en priorité le marché automobile en difficulté et le soutien aux ménages endettés sur le marché hypothécaire (Irlande, Espagne). La mise en place de primes à la casse permettra d’écouler les stocks des constructeurs – on a d’ores et déjà pu observer un rebond des immatriculations de véhicules neufs au cours du 1er trimestre -, mais au-delà, le redémarrage du secteur reste incertain. Le gouvernement allemand a déjà dépensé 1,5 milliards EUR pour cette mesure, montant qui sera augmenté de 3,5 milliards pour le reste de l’année. Les mesures en faveur des familles endettées, en limitant les défauts des ménages, participent également au soutien du secteur bancaire. Enfin, les baisses d’impôt concentrées sur les ménages à revenus les plus faibles seront certainement largement dépensées, mais leur effet ne sera que transitoire. Tant que le contexte économique ne s’améliorera pas, notamment en termes d’emploi, les ménages préfèreront épargner. Aussi, face à ces freins puissants à la consommation, il se peut que les gouvernements soient contraints d’adopter de nouvelles mesures de soutien au pouvoir d’achat, notamment en faveur des chômeurs. En attendant qu’une reprise du commerce mondial en fin 2009 ramène l’espoir.

Conclusions

Au total, la conjoncture actuelle n’offre guère d’espoir en matière de consommation. En 2009, le soutien budgétaire à la consommation sera freiné par la hausse du chômage et le retournement de l’inflation en seconde partie d’année, alors que l’accès au crédit devrait rester relativement contraint.

En 2010, le soutien budgétaire aux ménages s’estompera et il faudra alors compter sur la reprise du commerce mondial, via le redémarrage de l’économie américaine, pour contrer les effets de la remontée de l’inflation et d’une modération salariale plus marquée, alors que le chômage se stabilisera tout juste.