Zone euro : les conditions de marché s’améliorent, mais la BCE ne va pas modifier son analyse

par Clemente De Lucia , économiste chez BNP Paribas

  • Lors de la dernière opération de refinancement hebdomadaire de la BCE, la demande de liquidité a fortement baissé, témoignant d’une amélioration des conditions de marché.
  • Les attentes en matière de relèvement des taux directeurs sont renforcées par l’amélioration des conditions monétaires et financières. Toutefois, celles-ci restent tendues. En outre, au cours des derniers mois, le crédit au secteur privé a fortement ralenti.
  • Compte tenu de la fragilité de la reprise et de l’absence de pressions inflationnistes, la BCE devrait maintenir sa politique inchangée pendant une période prolongée.

 

Lors de la dernière opération principale de refinancement (Main Refinancing Operation, MRO, à échéance d’une semaine) qui s’est tenue le 27 octobre, la demande de liquidité a sensiblement diminué, s’établissant à EUR 48,7 mds, soit le montant alloué le plus faible depuis juillet 20031. La semaine précédente (le 21 octobre), lors de la précédente opération principale de refinancement, la demande n’était que légèrement supérieure (EUR 49,6 mds) et très inférieure aux montants allouée au cours des derniers mois. Le nombre de soumissionnaires a également continué à baisser. Il faut, toutefois, relever que, depuis que la BCE a étendu à 12 mois l’échéance de ses opérations de refinancement à plus long terme (Longer Term Refinancing Operation, LTRO), la demande pour les maturités plus courtes a diminué.

En juin, lors de la première des trois opérations prévues de refinancement à plus long terme, la BCE a fourni EUR 442 mds aux institutions financières de l’UEM, le montant le plus important jamais alloué en une seule adjudication. En septembre (lors de la deuxième LTRO) la demande ne s’élevait qu’à EUR 75 mds, en ligne avec les besoins de liquidité estimés. Le marché interbancaire semble donc retrouver une certaine autonomie par rapport à la BCE. Le niveau actuel des taux monétaires sur le marché signifie que les opérations de refinancement de la BCE sont désormais moins intéressantes pour les banques qui bénéficient d’un accès aisé à la liquidité interbancaire. De plus, le fait que les banques sachent que la BCE procédera, selon toute probabilité, à une dernière LTRO à 12 mois en décembre a également joué un rôle significatif. Si la BCE annonce que cette adjudication sera effectuée au taux refi, sans marge, il est probable que les prochaines LTRO d’échéance plus courte ainsi sans doute que les OPR ne susciteront pas une forte demande. Autrement, la demande de liquidité devrait augmenter d’ici à décembre.

Des liquidités excédentaires toujours importantes

Quoiqu’en diminution, les liquidités excédentaires (définies comme la différence entre les liquidités fournies via les opérations d’open d’une part et les réserves obligatoires et les facteurs autonomes d’autre part) sont toujours assez élevées. Cette situation limite les pressions à la hausse sur le taux au jour le jour, stable aux environs de 0,35%, soit 15 pb au-dessus du taux de rémunération de la facilité de dépôt.

Les conditions de marché s’améliorent

La baisse de la demande de liquidité pourrait témoigner d’une amélioration de la situation sur les marchés financiers. Le coût de la liquidité à trois mois est repassé en deçà du niveau qui prévalait avant la chute de Lehman Brothers. Cette situation a suscité des spéculations quant à la possibilité que la BCE commence, au cours des prochains mois, à mettre fin aux mesures non conventionnelles de politique monétaire qu’elle avait mises en œuvre. Le marché anticipe également de plus en plus un relèvement des taux. Le spread du swap Eonia 1-semaine/18 mois est désormais supérieur à 75pb, ce qui est cohérent avec des anticipations tablant sur une forte hausse des taux.

Mais les tensions sont toujours présentes

Depuis l’apogée de la crise financière, à la suite de la faillite de Lehman Brothers, le bilan de la BCE a fortement augmenté, essentiellement en raison des prêts consentis aux institutions financières et monétaires. La base monétaire, qui progressait jusqu’en octobre 2008 au rythme de 8 à 9% en g.a., a augmenté de 38% en novembre 2008 et affiche encore aujourd’hui une hausse d’environ 20% g.a. 

Les agrégats monétaires n’évoluent pas au même rythme. En particulier, si M1, l’agrégat le plus liquide, progresse à un rythme relativement rapide, la croissance de M3 n’a pas cessé de diminuer depuis septembre 2007 et la tendance s’est accentuée depuis octobre 2008. En septembre 2009 (dernières statistiques disponibles), le taux de croissance annuel de M3 est tombé à 1,8% en g.a., le rythme le plus faible jamais enregistré. Les multiplicateurs monétaires ont également diminué.

De même, les crédits au secteur privé ont fortement ralenti au cours des derniers mois. En septembre 2009, la variation annuelle des crédits au secteur privé est même passée en territoire négatif pour la première fois depuis la création de l’UEM. La variation annuelle du crédit aux ménages s’est contractée pour le deuxième mois consécutif, tandis la variation annuelle des crédits aux entreprises non financières devenait négative pour la première fois depuis la création de la série (janvier 2001). Compte tenu de l’importance des crédits bancaires pour le financement des entreprises, cette évolution est particulièrement préoccupante. A l’évidence, cette mauvaise performance en termes de crédit résulte de facteurs tenant à la fois à l’offre et à la demande. Toutefois, d’autres éléments suggèrent que les marchés monétaires ne fonctionnent pas aussi bien qu’avant l’éclatement de la crise financière. Le recours des banques commerciales à la facilité de dépôt de l’Eurosystème reste élevé, alors même que la rémunération offerte est presque nulle (0,25%).

La situation économique s’améliore mais reste fragile

Les derniers indicateurs économiques signalent que la reprise s’affermit. En octobre, l’indice PMI composite, suivi de près par les marchés, s’établissait au-dessus du seuil des 50 pour le deuxième mois consécutif. Ce rebond doit beaucoup au secteur manufacturier, qui avait été fortement touché par l’effondrement de la demande mondiale.

Toutefois, différentes difficultés risquent d’entraver le retour à la croissance. En particulier, la reprise pourrait s’essouffler l’année prochaine, lorsque les effets des mesures non récurrentes qui soutiennent actuellement la demande se dissiperont. De plus, le rebond technique résultant de l’arrivée à son terme du processus de déstockage n’est que temporaire. Dernier problème, mais non le moindre, l’ampleur des capacités excédentaires, la hausse du chômage et les tensions monétaires et financières persistantes, exacerbées par l’appréciation de l’euro, pourraient limiter la croissance de la demande domestique.

L’inflation reste contenue

Si les anticipations en matière d’inflation à moyen et long terme sont en ligne avec l’objectif cible de la BCE, «sous mais proche de 2 % », à savoir la stabilité à moyen terme des prix, moyennant un taux d’inflation « au-dessous mais à proximité de 2 % », les anticipations d’inflation à court terme sont bien plus basses. Après avoir été négative au cours de l’été, l’inflation devrait connaître un rebond au cours du second semestre, essentiellement en raison de l’inversion des effets de base. A contrario, l’inflation sous-jacente devrait continuer à subir des pressions à la baisse. L’ampleur des capacités excédentaires, conjuguée à une demande toujours faible, limite la capacité des producteurs à fixer les prix. Malgré la récente amélioration des indicateurs de confiance, les anticipations des entreprises en matière de prix ne parviennent pas à se redresser. Cela peut signifier que les entreprises doivent offrir des rabais pour stimuler la demande, compte tenu d’un environnement économique peu favorable. L’output gap devrait rester assez fortement négatif dans un horizon proche, alors que l’activité croîtra à un rythme très inférieur au potentiel pendant une période assez longue. De plus, la pression sur les salaires est inexistante. Dans un contexte de détérioration du marché du travail, la croissance des salaires devrait connaître un ralentissement significatif, ce qui tirera l’inflation à la baisse dans tous les secteurs à haute intensité de main-d’œuvre. Compte tenu de tous ces éléments, nous pensons que l’inflation devrait rester contenue au cours des prochaines années.

Globalement, compte tenu de la fragilité de la reprise économique, que menacent différents risques, et de l’absence de pressions inflationnistes, la BCE devrait maintenir sa politique monétaire inchangée, et le taux refi rester fixé à 1 % pendant une période prolongée.

NOTES

  1. Si on exclut une opération effectuée en décembre 2007, juste après que la BCE a alloué aux banques commerciales des liquidités supplémentaires pour les aider à passer le cap de la fin d’année.

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