Retour à la case départ

par Frédéric Buzaré, responsable de la gestion Actions de Dexia Asset Management

Un nouveau chapitre de la crise souveraine vient de s’ouvrir et le sentiment général est celui d’un retour du passé, même si la situation n’est pas comparable à la crise grecque du mois de mai. La crise souveraine de la zone euro semble suivre la voie de la débâcle de Lehman Brothers : un lent et inexorable glissement vers une issue catastrophique que les responsables politiques ont semblé impuissants à empêcher. Depuis le début de la crise, les responsables politiques ont augmenté leurs injections de liquidités qui ne font que traiter un symptôme de la crise actuelle, alors qu’ils devraient s’attacher à apaiser les inquiétudes sur le risque systémique, la résolution des problèmes de risque souverain en Europe ayant de nouveau été différée.

Si les mesures prises peuvent, à court terme, être un soutien aux prix des actifs, le report ci-dessus évoqué n’équivaut pas à une solution et il ne doit pas être confondu avec une perspective positive à plus long terme. La racine du mal provient d’un défaut de conception originel de la zone euro, créée avec une monnaie unique mais sans le niveau d’intégration fiscale et politique indispensable à sa stabilité macro-économique.

La distinction entre liquidité et solvabilité et entre dette bancaire et dette gouvernementale devient de plus en plus difficile à établir. Les inquiétudes sur le risque de crédit ont tendance à s’autoalimenter. L’année 2011 va être difficile : certains pays de la périphérie vont devoir refinancer une grande partie de leur dette existante et les coûts du recours à l’emprunt continuent de progresser. Une solution à la crise doit venir du niveau politique. En outre, les assurances données par les leaders européens sont sans valeur si leurs électeurs décident de les désavouer et de soutenir des politiques alternatives.

La crise irlandaise a provoqué une réévaluation du risque financier et souverain au cours de ces dernières semaines, largement dû à la prise de conscience du fait que la zone euro ouvre la voie à une future restructuration de la dette souveraine de sa périphérie. Même si le remaniement du mécanisme de sauvetage financier peut être interprété positivement, une recrudescence du sentiment d’incertitude est à l’œuvre. De fait, les investisseurs sont perplexes. Les marchés financiers ne sont pas convaincus pas que les dispositifs de sauvetage financiers parrainés par l’Union européenne et le FMI seront suffisants pour remédier au risque de solvabilité qui contamine l’Europe périphérique.

Un nouveau mécanisme de stabilisation européen (ESM)va remplacer le Fonds européen de stabilisation financière (EFSF) à partir de juillet 2013. Plus l’ESM sera flexible et réaliste, moins la zone euro sera vulnérable. Il existe un consensus sur le fait que les ressources de l’ESM devront être supérieures aux 440 milliards d’euros de l’EFSF. S’il est dit qu’une restructuration de la dette n’interviendra qu’en des circonstances exceptionnelles, le dogme “pas de restructuration de la dette souveraine” est désormais enterré, mais uniquement dans le but de maintenir la crédibilité du principe plus fondamental « pas de défaut souverain ». C’est un important pas en avant et une bonne nouvelle.

Maintenant, pour ce qui concerne les mauvaises nouvelles …

L’Europe continue à faire une fixation sur l’idée des pays les plus robustes consentant des lignes de crédit toujours plus importantes aux pays plus faibles, bien qu’à un coût croissant. Comme il ne s’agit que d’une solution provisoire, les investisseurs ne sont plus impressionnés. L’utilisation de l’EFSF a échoué à calmer les esprits, tout simplement parce que les maillons les plus faibles de l’Europe sont confrontés davantage à une crise de solvabilité que de liquidité. Ce que le marché souhaite est, soit une réduction de la dette, soit une augmentation de capital sans endettement. Si l’austérité budgétaire est nécessaire pour restaurer la confiance et garder le gonflement de la dette sous contrôle, elle ne devrait pas être considérée comme le seul outil disponible. Un affaiblissement des devises ou une amélioration de la compétitivité est indispensable pour redynamiser la croissance nominale. Sans une dévaluation sensible de l’euro pour stimuler la croissance et reflater les revenus nominaux, les programmes d’austérité ne pourront que freiner la croissance, peser à la baisse sur les prix et détériorer l’arithmétique de la dette dans l’Europe périphérique.

Alors que les marchés financiers se sont uniquement focalisés sur l’assouplissement complémentaire opéré par la Réserve fédérale, ils ont quelque peu sous-estimé le risque découlant des ajustements de la politique monétaire chinoise. La PBOC est engagée dans une politique de resserrement. Le mois dernier, nous avons signalé le problème de l’inflation en Asie et le mauvais coté des mesures d’assouplissement quantitatif (QE2). La Chine a augmenté le ratio des réserves obligatoires imposées à toutes les banques, dans un effort pour contenir les conséquences sur son économie de l’afflux de « hot money ».

Il n’est pas excessif de parler de lutte permanente sans merci entre les responsables politiques et l’économie en général. Jusqu’à présent, la crise de la dette périphérique n’a infligé que des dommages limités à l’économie mondiale. Si nous mettions de côté les difficultés des États périphériques, on trouverait un noyau dur étonnamment résistant connaissant une reprise plus forte que prévue paraissant même, disons le, pérenne. Alors que la phase initiale de la reprise allemande était principalement liée à une forte croissance des exportations, spécialement vers le monde émergent, le caractère durable de la reprise est dû à la hausse de la demande intérieure finale du fait que l’évolution vers un renforcement du secteur des services sous-tend une croissance plus équilibrée. Les impressionnantes statistiques du sentiment des affaires en Allemagne publiées récemment soulignent la reprise de la consommation, en cours dans ce pays. L’amélioration du marché du travail est un facteur de soutien de la consommation, une tendance qui devrait se poursuivre du fait que les consommateurs reprennent confiance avec une intensité jamais constatée au cours de ces trois dernières années. Aux États-Unis, la crainte de la déflation a nettement reculé.

Le bouleversement subi par la zone euro approche de son paroxysme, situation souvent susceptible de provoquer un changement indispensable de politique. Ces périodes sont toujours dangereuses mais sont aussi le point auquel une crise tend vers son intensité maximale et où le désespoir peut se transformer en opportunité. La tension régulière et permanente entre la vision « bottom-up » et le risque souverain semble devenue la norme. Des réformes plus structurelles seront nécessaires pour résoudre le problème souverain. Jusqu’à ce que la stabilité financière de la zone euro soit pleinement assurée, des vagues périodiques de tension et de crises constitueront des sources de difficultés majeures pour l’affirmation de la tendance positive des indices actions.

Nous pourrions avoir à subir une autre étape de réévaluation du risque souverain avant de pouvoir évoluer vers une plus grande confiance. En 2011, le marché va hésiter entre le scepticisme sur l’efficacité du QE2, la réponse politique de l’Europe et l’euphorie liée à la croissance alimentée par le boom des marchés émergents.

Le monde tel qu’il devrait être

Depuis le début de la crise, nous avons navigué sur des eaux agitées entre ce qui devrait être fait et ce qui pouvait l’être. Il existait un consensus en 2008 pour atténuer le risque d’aléa moral et il semble qu’aujourd’hui la situation soit plus équilibrée. Quand les détenteurs d’obligations n’assument pas les conséquences de leurs décisions d’investissement, l’aléa moral pervertit la façon dont les marchés du crédit limitent l’expansion alimentée par l’endettement, en augmentant les coûts de la dette lorsque les risques d’une augmentation de la dette l’emportent sur la rémunération. L’aléa moral génère une plus grande incertitude politique. Une telle incertitude sur le marché financier reflète la nature intenable du choix politique : soit stabiliser les coûts de financement à court terme à travers l’aléa moral, soit essayer de limiter l’aléa moral futur à travers le fardeau des pertes des détenteurs d’obligations dans toute future crise. Mener une telle politique de transition créé une période d’incertitude accrue.

Plus précisément, cette crise oblige à un re-calibrage de l’architecture financière de l’Union européenne. La zone euro doit faire face à deux énormes défis dans les mois et les années qui viennent. Tout d’abord, traiter la question de savoir comment sortir de la crise actuelle de la dette souveraine, c'est-à-dire celle de la création d’un cadre capable de faire face à n’importe quelle future crise souveraine. Malheureusement, il existe, dans une certaine mesure, un chevauchement entre ces défis, ce qui les rend d’autant plus difficiles à surmonter. L’intention actuelle est de mettre en place le cadre nécessaire à la gestion de crises futures avant que la zone ne soit pleinement sortie de la crise actuelle. Comme le nouveau cadre est susceptible de pousser à la hausse les coûts d’emprunts des pays périphériques, il rend encore plus difficile la sortie de la crise actuelle. Si un accord sur un cadre de gestion des futures crises est nécessaire, son calendrier de mise en place est inopportun. Les États périphériques ne sont pas susceptibles de sortir pleinement de la crise actuelle d’ici 2013, alors que les coûts d’emprunts auront probablement été poussés à la hausse par les nouveaux accords. Ainsi, la volonté de mettre au point le cadre de règlement des crises futures est susceptible de rendre plus difficile la sortie de la crise actuelle. De plus, rien de ce qui a été dit récemment n’indique clairement si une restructuration de la dette souveraine existante – ou éventuellement un transfert budgétaire unique – sera nécessaire pour sortir pleinement de la crise actuelle.

Bien que l’Union européenne se soit montrée sensible à la fin du cycle du crédit bon marché, les difficultés de l’Union européenne plongent leurs racines dans la profonde disparité de la compétitivité économique au sein de la région. Alors que l’économie allemande tire bien son épingle du jeu, ses activités industrielles et exportatrices se renforçant rapidement, les périphériques sont en phase de déflation et leurs économies ploient sous le poids de déficits publics excessifs. Confrontés à cette dichotomie, les responsables politiques semblent paralysés. Dans le même temps, il convient d’admettre que l’intégration européenne a toujours été un processus de crise et de réponse à celui-ci. La zone euro évolue de facto vers une union fiscale mais qui ne sera pas dotée d’une expression fédérale avant longtemps. Le paradoxe est que les pressions qui alimentent les débats sur sa désintégration sont le catalyseur d’une nouvelle intégration. La zone euro est condamnée à évoluer. Les pressions politiques et économiques vont la contraindre à de nouveaux ajustements politiques, à la fois en son centre et à sa périphérie.

Menace d’inflation sur les marchés émergents

Nous redoutons réellement que l’inflation ne devienne une préoccupation majeure en 2011 du fait de facteurs à la fois cycliques et structurels. Sur le plan cyclique, on s’attend à ce que les effets retard d’une politique monétaire ultra- expansionniste ne provoquent une hausse de l’inflation. Sur le plan structurel, l’évolution de la production, du secteur marchand vers le non marchand, va réduire la productivité générale, en favorisant une hausse de l’inflation. Le problème est particulièrement prégnant en Chine, pays dans lequel l’inflation alimentaire connaît des taux à deux chiffres.

Les responsables politiques vont se montrer vigilants sur la réduction des anticipations inflationnistes, probablement grâce à une combinaison de contraintes sur l’expansion du crédit domestique, la croissance monétaire, l’appréciation des devises et les hausses de taux d’intérêt. Jusqu’à présent, les intervenants semblent persuadés que l’inflation est sous contrôle, mais qu’en sera-t-il si la dérive se poursuit ?

Retour à 2008 ?

Les coûts de production sont, d’une façon générale, fortement orientés à la hausse. Du fait de la montée en flèche des coûts des matières premières au cours de ces derniers mois, ceci semble évident.

La hausse des coûts de production a clairement mis la pression sur les marges opérationnelles. En d’autres termes, les entreprises n’ont pas encore complètement répercuté sur les consommateurs la hausse des coûts de production. Cette situation n’est pas tenable et, avec le renforcement général de la croissance, il est logique d’anticiper une répercussion accrue qui, à son tour, provoquera une hausse du CPI. Les pressions sur les prix s’accumulent dans le pipeline. Si nous nous inscrivons dans une perspective plus large, il existe un risque que 2011 soit dans une certaine mesure un remake de 2008. A l’époque, l’inflation se propageait dans l’ensemble du monde émergent et les indications du CPI sur de nombreux marchés développés étaient également orientées à la hausse. Si la plupart des cours des matières premières ont atteint des records historiques, une importante exception subsiste : les prix du pétrole, quoique en hausse, restent en dessous de 90 dollars. S’ils devaient rejoindre le rallye général des matières premières, le risque d’un remake de 2008 prendrait une réelle consistance.

A la recherche de la croissance

La croissance s’est révélée comme le style gagnant de 2010 et explique également l’élargissement de l’écart de performance entre l’Europe du nord et l’Europe du sud.

La confiance dans la croissance s’améliore après une série de statistiques macro-économiques meilleures qu’attendues, particulièrement aux États-Unis et en Allemagne. Les marchés obligataires sont aussi en train d’opérer un renversement de tendance en faveur des marchés d’obligations d’État les plus sûrs. L’anxiété macro-économique est désormais largement circonscrite à la zone euro et, par conséquent, à l’accentuation de la divergence entre croissance et « value », entre scénarios mondial et local, et entre croissance et value en Europe. Le fait est que nous nous retrouvons avec un marché reposant sur deux piliers, avec une spectaculaire polarisation entre gagnants et perdants.

Le différentiel de croissance devrait rester le facteur de performance clé, comme le reflète la faible dispersion des PE à terme. C’est particulièrement vrai pour le secteur bancaire. La désaffection à l’égard des banques européennes et des valeurs financières en général est essentiellement une désaffection pour les valeurs de croissance. Le haut niveau d’intégration financière dans la zone est un résultat des effets de la déflation de la dette dans la périphérie de la zone euro dans l’ensemble du système financier.

Nouveaux stress tests

Le risque souverain en zone euro est inséparable des risques attachés aux banques supposées privées mais soutenues par les États, dont les actifs sont douteux et dont le refinancement est incertain. La République irlandaise a été submergée par l’insolvabilité de son système bancaire. Les stress tests appliqués aux banques européennes sont désormais discrédités, ce dont presque tout le monde était convaincu à la fin de l’été. Ils étaient focalisés sur la suffisance du capital et l’environnement macro-économique. Le drame irlandais a démontré que le focus aurait dû porter sur le legs des actifs en grande difficulté et douteux, et l’accès à un refinancement privé stable. La BCE a clairement expliqué qu’elle ne pouvait pas devenir une source permanente de financement pour les banques les plus fragiles de l’Union européenne.

Il est désormais tout à fait clair que de nouveaux stress tests, sous une forme ou une autre, sont indispensables pour restaurer la confiance dans le secteur bancaire. Il n’existe pas non plus de FDIC officielle comme le plan de secours des banques à l’échelle européenne.

Stratégie

Le leadership de marché reste inchangé à savoir le consommateur et les titres industriels. Au-delà des frontières sectorielles, la conjugaison de la dynamique et de la croissance est demeurée le style le plus performant. Les valeurs de rendement ont davantage souffert que les valeurs de croissance en novembre. L'an dernier, la dynamique bénéficiaire relative a conditionné les performances sectorielles, presque indépendamment des valorisations et, plus récemment, elle a entraîné un leadership de l'automobile, de la chimie et des matériaux de base. A court terme, les valeurs cycliques sont plus que jamais vulnérables et la grande question pour 2011 reste de savoir si les thèmes performants en 2010 continueront de tirer le marché à la hausse en 2011.

A noter que la situation est très similaire à celle du boom du cycle en 2003, même si à cette époque, nous n'observions pas véritablement de craintes persistantes quant à la reprise économique, à l'image de la crise souveraine en Europe. L'évolution exponentielle du temps de cycle est peut-être un effet indésirable supplémentaire des taux zéro et d'une liquidité massive. C'est la raison pour laquelle nous ne partons pas en quête de cyclicité à ce stade. À ce titre, nous sommes parfois quelque peu contrariant. Les valeurs exclusivement domestiques ne nous semblent pas suffisamment attractives. Une reprise des valeurs domestiques européennes nécessiterait un redressement étonnamment soutenu des prévisions économiques de l'Europe périphérique. Or ce scénario nous semble actuellement peu probable.

Du fait que le différentiel de croissance entre les marchés développés et émergents devrait se resserrer en 2011, la plupart des thèmes performants en 2010 devraient rester en place l'an prochain, avec une certaine volatilité cependant. Nous continuons de privilégier la croissance au rendement, tout en reconnaissant que les meilleures valeurs ont été identifiées et sélectionnées. Dans ce contexte, il sera plus important de détecter les nouvelles valeurs de croissance ou les valeurs de croissance sous-estimées.

Nous sommes depuis un certain temps prudents vis-à-vis des banques et conservons notre calme après l'euphorie des stress tests en juillet. Dans le même temps, les banques ont été le secteur le moins performant. Nous profitons de cette forte sous-performance du dernier trimestre pour clôturer progressivement la sous-pondération du secteur bancaire dans le cadre d'une préférence pour la qualité. Dans ce contexte de marché, nous restons convaincus que le secteur pétrolier intégré reste le meilleur choix. Si le pétrole a sous-performé le reste des matières premières, il a gagné en vigueur récemment. Les grandes sociétés d'extraction et de production sont attractives à tout point de vue. Elles sont sous-évaluées, distribuent des dividendes croissants et offrent un potentiel de croissance.

Notre vision de marché n'a pas changé. Nous n'avons jamais cru dans le scénario de récession en double creux, mais plutôt dans un monde à deux vitesses, avec un parcours chaotique pour les pays occidentaux, signe de l'importance croissante du market timing et du style.

Une nouvelle situation idéale est très probable sur les marchés d'actions, à condition que le second assouplissement quantitatif ne s'avère pas être une exception et que la coopération monétaire internationale se matérialise au cours des prochains mois. L'économie mondiale semble être sortie de son cercle vertueux estival. L'inflation des marchés émergents pourrait devenir un problème important et gâcher la fête. Si l'ADN des marchés d'actions est la croissance, une croissance excessive n'est pas souhaitable.

Aussi, dans les prochaines semaines, nous accorderons toute notre attention sur les prévisions d'inflation et sur le crédit bancaire afin d'évaluer l'efficacité des nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif, tout en continuant de suivre l'évolution de la demande réelle afin de trouver un équilibre entre les valeurs de croissance et celles de rendement.

A court terme, nous faisons preuve d'une patience prudente dans la mesure où certaines tendances sont sur le point de se matérialiser. Nous continuerons de clôturer notre sous-pondération des banques et attendrons une période plus propice pour accroître notre exposition aux marchés émergents.