2011 : L’année de la rotation sectorielle ?

par Frédéric Buzaré, Responsable de la gestion actions chez Dexia AM

  • Nous sommes actuellement les témoins d'une transition de marché des titres de croissance (« growth ») vers des titres sous-évalués (« value »)
  • … et des entreprises internationales vers les entreprises actives à l'échelle locale
  • Le rééquilibrage des marchés que nous avions prévu fin 2010 est en train de se matérialiser – Dans la mesure où les investisseurs s'inquiètent moins de la croissance économique, ils privilégient les titres «value»
  • D'après nous, cette tendance devrait perdurer au 1er semestre. Au second semestre, les titres «growth» et ceux exposés aux marchés émergents devraient revenir sur le devant de la scène 
  • Nous essayons de faire preuve de pragmatisme et de souplesse dans notre gestion quotidienne

 

1 – Le marché est en phase de transition …

Fin décembre 2010, lors de l'établissement de nos prévisions pour l’année 2011, nous affirmions que « 2010 serait une année de transition et que 2011 sera témoin d'un environnement de marché plus équilibré. Alors qu'elles ont atteint des plus hauts historiques, les corrélations sectorielles devraient diminuer, et la sélection de valeurs reviendra au devant de la scène. Nous pensons également que les investisseurs ont privilégié les titres «growth», qui ont sensiblement surperformé le style « value », et qu'ils deviendront plus sélectifs et rationnels. »

Nos affirmations se sont avérées assez prescientes, dans la mesure où l'environnement de marché actuel est caractérisé par plusieurs rotations sectorielles, stylistiques et de marché. L'évolution du leadership de marché que nous anticipions (probablement de manière quelque peu prématurée) se matérialise enfin. La surperformance des valeurs financières américaines et de certaines valeurs financières européennes, et la sous-performance des valeurs financières émergentes, confirme également cette évolution. Le leadership mondial évolue car le monde émergent n'est plus considéré comme une région économique « idéale ». En effet, le couple croissance/inflation semble se dégrader au sein de ces marchés, notamment en Inde et en Chine. Ce changement de leadership s'accompagne d'un changement de style. La logique binaire entre croissance et valorisation et entre valeurs internationales et locales, qui a caractérisé l'année 2010, s'essouffle.

2 … de la croissance à la valorisation

Le changement le plus important constaté depuis le début de l'année 2011 est la transition de la croissance vers la valorisation. Pourquoi ? Nous avons identifié deux facteurs fondamentaux de ce changement, en plus de l'intérêt excessif des investisseurs pour les titres «growth».

  • L'économie mondiale est en voie de reprise et les craintes déflationnistes ont disparu, incitant les investisseurs à acheter des titres «growth»/cycliques à n'importe quel prix.
  • Les rendements obligataires explosent, même au sein de pays refuge tels que l'Allemagne. Les rendements obligataires pourraient corriger leur boom de 2008/2009, raison pour laquelle ils sont positionnés pour une progression prolongée. Il est également juste d'affirmer que les paniers composés de titres «value» ne sont actuellement pas constitués d'entreprises volatiles et de faible qualité, comme ce fut le cas de 2004 à fin 2008. Aussi, les titres «value» ne sont plus considérées comme un substitut de faible qualité.

La surperformance des titres «value» a probablement surpris de nombreux investisseurs. Or elle se justifie. L'actualité favorable au sein des économies développées (États-Unis, Allemagne) ces derniers mois, ainsi que les propos plus optimistes des autorités européennes au sujet de la crise de la dette souveraine, semble avoir renforcé la confiance du marché vis-à-vis du cycle économique. En effet, l'indice du climat des affaires IFO a atteint récemment un sommet historique (alors que l'indice ZEW des taux des obligations souveraines allemandes a chuté) et la corrélation moyenne entre les performances des actions et l'évolution des spreads des obligations d'entreprises est en baisse par rapport aux niveaux très élevés de décembre. Dans ce contexte, les investisseurs procèdent finalement à des rotations en faveur des titres «value», qui enregistrent traditionnellement une performance satisfaisante à cette étape du cycle. Au cours des 30 dernières années, l'indice MSCI Europe Value a toujours surperformé l'indice MSCI Europe Growth au cours des 12 mois qui ont suivi un pic du taux de chômage américain (tel que celui enregistré fin 2010). Quand les craintes concernant la croissance économique s'apaisent, les titres «value» reviennent au devant de la scène et commencent à surperformer.

De manière générale, nous pouvons affirmer que le marché cyclique haussier de 2004 à 2008 fut imputable aux titres «value» (Le MSCI Value surperformant le MSCI Growth), alors que les titres «growth» ont surperformé les titres «value» depuis la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008.

La surperformance des titres «value» entre 2004 et 2008 concorde avec le fait que les investisseurs n'ont pas remis en question la pérennité de la reprise économique mondiale sur la période, même si certains grands déséquilibres, notamment sur le marché du logement américain, devaient survenir. En revanche, cette surperformance se justifiait, dans la mesure où les titres «value» sont perçus comme des entreprises de faible qualité et endettées, florissantes en cas d'abondance de liquidité et de crédit. Quand le climat économique se dégrade et que le crédit est limité, les titres «value» rencontrent des difficultés et les investisseurs s'orientent vers les titres «growth». Apparemment, en raison de la tempête financière qui s'est abattue sur les marchés de 2008 à 2009, les craintes étaient beaucoup plus fortes qu’au cours de la période 2004/2008, une période dans l'ensemble beaucoup plus stable. Les craintes déflationnistes de 2009 et de la plupart de l'année 2010 ont perturbé le rapport entre ces deux styles. Dans la mesure où la croissance était manifestement rare sur cette période, les investisseurs ont investi leurs liquidités dans les valeurs qui affichaient une croissance durable.

D'après nous, la récente (et temporaire ?) transition des titres «growth» (cyclique) vers les titres «value» est une sorte de retour à la moyenne, qui n'a rien d'extraordinaire. Depuis un certain temps, nous mettions en garde les investisseurs contre le consensus de marché, qui affirmait que 2011 serait dans la lignée de 2010 et que les investisseurs extrapoleraient les divergences extraordinaires de 2010. La réflexion binaire extrême qui était de rigueur en 2010 n'a finalement plus cours, et le leadership de marché est devenu comme prévu plus diversifié. La prédilection pour les titres «growth» était devenue exagérée et l'écart entre les titres «value» et les autres étaient devenus extrêmes. Une correction est donc parfaitement normale.

Cette rotation entre la croissance et la valorisation va-t-elle durer ? Nous pensons que oui, au moins pendant le premier semestre de l'année. Il est clair que de nouvelles craintes de récession en double creux et de débâcle de la dette souveraine pourraient mettre rapidement un terme à la surperformance des titres «value». Un recul de l'appétit pour le risque, provoqué par les problèmes persistants de la dette souveraine, pourrait entraîner une nouvelle surperformance des titres «growth». En revanche, notre scénario central ne table pas sur une nouvelle récession de l'économie mondiale.

3 … et des entreprises internationales aux entreprises locales

Soulignons également la transition des entreprises internationales (notamment celles dotées d'une solide présence sur les marchés émergents), qui ont surperformé sensiblement en 2010, vers les entreprises locales, qui ont fortement sous-performé, notamment celles originaires d'Europe périphérique (Italie, Grèce, Espagne, Portugal et Irlande). La forte divergence entre les valeurs internationales « growth » et les valeurs locales « value » qui domine le paysage financier depuis 2007 a atteint sa limite.

LVMH est une valeur emblématique de cette évolution. Sa performance relative fait suite à la détérioration de la dynamique bénéficiaire, celle-ci qui fut précédemment suivie par une amélioration de la performance relative. Les coûts augmenteront pour les entreprises qui incarnent ce thème quand la croissance de leur CA commence à se stabiliser.

4 – Impact actuel sur nos fonds d'actions européennes

Dans ce contexte, nous continuons d'écarter les titres «growth» de notre principal fonds européen, n'étant pas totalement convaincus qu'il soit judicieux d'opter pour un positionnement agressif prolongé sur les titres «value»: le simple fait que les valeurs tirées par la dynamique soient vulnérables ne justifie pas qu'il faille acheter aveuglement les titres «value».

Philips est généralement considéré comme un titre « value », présentant une décote par rapport à ses concurrents et des multiples faibles à un chiffre. En revanche, la société a déçu les investisseurs et la valeur s'est inscrite en baisse, en dépit d'une révision à la baisse de ses prévisions en octobre. La clé réside désormais dans le pouvoir de fixation des prix. Nous nous tiendrons à l'écart des entreprises qui, en dépit de leur style « value », ne disposent pas de pouvoir de fixation des prix ou subissent une compression de leurs marges (Ex.: Lafarge).

Nous profiterons également du rally généralisé des valeurs en difficulté pour solder celles qui ne remplissent pas ce critère de pouvoir de fixation des prix.

Les perspectives pour 2011 :

  • Dans la mesure où le 1er semestre sera dominé par l'inflation, les valeurs cycliques et de croissance tirées par la dynamique rencontreront des difficultés ;
  • Le second semestre sera dominé par le marché obligataire américain, et les valeurs GARP (croissance à un prix raisonnable) feront leur retour pour reconquérir leur leadership de marché.

Nous serons bien entendu pragmatiques et suivront de près les problèmes susmentionnés. L'inflation des matières premières est désormais répandue, les cours des matières premières industrielles essaient de dépasser leur sommet de 2008. Il ne s'agit pas de la bulle spéculative de 2008 mais plutôt du revers de la médaille de la reprise économique mondiale. Nous pourrions arriver à une situation d'incompatibilité entre les prévisions de croissance des marchés émergents et la hausse persistante des prix des matières premières. En 2008, nous avons assisté à un jeu classique de destruction de la demande. Les prévisions concernant les matériaux de base pourraient nécessiter d'être revues.

5 – Composition actuelle du portefeuille

Nous surpondérons les secteurs suivants :

  • Énergie (bonne dynamique bénéficiaire, hausse des prix de l'énergie, grandes entreprises du secteur sont bon marché tout en générant des flux de trésorerie stables et versant des dividendes élevés) ;
  • Banques (nous y jouons la carte de la rotation sectorielle, essayant de faire preuve de souplesse et de pragmatisme) ;
  • Matériel et équipement technologique (restera un secteur clé de croissance, grâce au lancement de nouvelles applications et au cycle de mise à niveau des PC) ;
  • Services aux collectivités (grosses sous-performances en 2010).

Nous sous-pondérons les secteurs suivants : 

  • Les matériaux (la croissance cyclique est devenue trop tendue et nous craignons une correction des prix des matières premières) ;
  • Biens d'équipement (idem : la croissance cyclique est excessivement tendue et un retour à la moyenne est à prévoir) ;
  • Alimentation, boissons et tabac (les entreprises telles que Danone et Nestlé se portent très bien mais nous sommes sceptiques quant à leur pouvoir de fixation des prix, à la lumière de l'inflation mondiale des produits alimentaires).