Etats-Unis : « Let’s Do The Twist », Zone euro : la BCE dernier rempart

par Koen Van de Maele, Responsable de la gestion obligataire, Nicolas Forest, Responsable de la Stratégie des Taux et Isabelle Rome, Responsable de la Stratégie Crédit chez Dexia AM

Etats-Unis : « Let’s Do The Twist »

Les bons du trésor américain ont poursuivi leur rally avec un rendement annualisé de près de 9 % depuis janvier 2011. Le taux américain à 10 ans a ainsi inscrit un nouveau record, en atteignant le niveau historique de 1,67 %. Des mauvais chiffres macroéconomiques combinés à un faible appétit pour le risque ont largement entretenu cette appréciation des obligations d’État américaines.

Alors que les États-Unis ont connu la plus grave récession de l’après-guerre, la reprise peine de plus en plus à se confirmer et la probabilité d’une nouvelle récession a fortement progressé. Ainsi la production manufacturière reste sur des indicateurs d’activité proche des 50, suggérant une croissance très modeste, tandis que les créations d’emplois furent à peine positives en septembre, maintenant le taux de chômage au dessus des 9 %. Une croissance positive mais faible (autour des 1,50 % pour 2012) ne suffira pas à faire repartir le marché de l’emploi qui, structurellement, pourrait perdre près de 30 000 emplois par mois rien que par la composante gouvernementale.

Notre scénario de faible croissance n’est pour autant pas un scénario de récession à la 2009. Avec une inflation totale proche des 3,8 % et une inflation « core » à 2 %, nous sommes bien loin du risque de déflation. Dans ce contexte, la politique monétaire de la Réserve fédérale est restée extrêmement accommodante. Alors que les taux directeurs sont au plus bas et que le second programme d’assouplissement quantitatif s’est achevé en juin, la réunion du FOMC de septembre a débouché sur une « Opération Twist », version 2011. La version originale de cette opération fut annoncée par John F. Kennedy, en 1961, moins de quinze jours après sa prise de fonctions et consistait à raccourcir la maturité de la dette publique américaine. Dans cette nouvelle mouture, la Fed procèdera à 400 milliards de dollar d’achats de dette à long terme (supérieure à 6 ans), financés par la vente de dette à court terme (moins de 3 ans) qu’elle détient actuellement dans ses portefeuilles. L’objectif consiste ainsi à aplatir la courbe des taux américains afin de stimuler l’économie et de permettre un véritable redémarrage du marché de l’emploi.

En outre, la Fed a également décidé de maintenir inchangée la taille de son portefeuille d’obligations adossées à des créances hypothécaires, en réinvestissant les tombées à maturité de ces titres. Elle a aussi confirmé qu’elle maintiendrait ses taux directeurs à des niveaux « exceptionnellement bas », au moins jusqu’à la mi-2013. Il faut désormais espérer que toutes ces mesures monétaires permettront enfin à l’économie américaine de sortir de l’ornière, car le déficit budgétaire prévu à 9 % du PIB pour 2011 continue de se creuser. Cette situation, combinée à la guerre de tranchée à laquelle se livrent démocrates et républicains, a d’ailleurs été sanctionnée par S&P lors de la perte historique de la notation AAA. Ironie de l’histoire, l’abaissement de la note de crédit a eu pour effet une appréciation massive des obligations gouvernementales US demeurant de facto la valeur refuge par excellence des investisseurs lors des épisodes d’aversion au risque.

D’un point de vue stratégique, nous conservons notre biais négatif sur la partie courte des taux ainsi que notre stratégie d’aplatissement de la courbe, instauré en anticipation de l’« Opération Twist » de la Réserve fédérale.

Zone euro : la BCE comme dernier rempart

La crise de la zone euro n’en finit de se propager et c’est la Banque centrale européenne qui, en dernier ressort, essaie de contenir l’incendie en intervenant massivement sur les marchés des dettes périphériques.

Le plan européen du 21 juillet, malgré quelques faiblesses, fournissait des premières réponses à la crise européenne. Malheureusement le temps politique n’est pas le temps des marchés et près de deux mois après, aucune mesure décidée n’a été mise en application et la crise s’est donc propagée à toute l’Europe.

Jusqu’ici jugulée à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal, le risque souverain a franchi le Rubicon en s’attaquant aux dettes ibériques et transalpines. Le mois de septembre a ainsi été ponctué par les rumeurs concernant l’approbation par les divers parlements nationaux des nouvelles capacités du fonds d’aide européen (FESF). Le processus de ratification devrait prendre fin dans le courant du mois d’octobre. Cependant, un nouveau débat s’est ouvert autour du FESF : certaines autorités souhaiteraient le pourvoir d’une force de frappe plus importante, en lui permettant d’utiliser la technique du levier financier. Cette solution n’a cependant pas la préférence de la BCE et des Allemands.

Dans ces marchés volatils, le mouvement d’aversion au risque s’est amplifié lors l’abaissement de la note souveraine de l’Italie, et s’est poursuivi ensuite lorsque la Grèce a annoncé qu’elle ne pourrait pas atteindre ses objectifs de réduction de déficit pour le 3è trimestre 2011. De plus, cette crise de la dette pourrait déteindre sur le système bancaire européen, à l’heure où les États sont embarqués dans des mesures d’austérité budgétaires et de diminution de leur endettement.

Dans ce contexte, la BCE a fort à faire : elle continue de procéder à des rachats de dettes souveraines, destinés à contenir tant bien que mal l’écartement des spreads de taux périphériques, tandis que l’inflation de la zone euro s’est affichée à 3 % en glissement annuel pour le mois de septembre. La BCE a également annoncé qu’elle allait remettre en place ses facilités de crédit à taux fixe et allocations illimitées sur des périodes d’un an et plus, afin de soulager les marchés interbancaires et réparer les canaux de transmission de sa politique monétaire. Dans ce marasme de mauvaises nouvelles, n’oublions pas que s’ajoute également le ralentissement inquiétant de la croissance des pays AAA. Tous ces éléments ont contribué à accentuer le plongeon du Bund allemand, qui a touché un niveau historique de 1,64 %. En bref, plus que jamais, seuls davantage de solidarité et de responsabilité à l’échelon européen peuvent apporter des solutions durables afin de mettre un terme aux crises souveraines et bancaires.

Dans cet environnement, nous conservons un biais négatif sur tous les pays périphériques, en attendant des jours meilleurs. Nous avons également mis en places quelques stratégies tactiques ciblant les rebonds du taux allemand à 10 ans depuis ses niveaux les plus bas.

Stratégie de crédit

– Accélération de l’aversion au risque dans un contexte de détérioration des indicateurs économiques.

Les écartements de spreads observés au mois d’août, ont connu une accélération marquée dès les premières semaines de septembre. Le crédit Investment grade, tout comme de nombreuses classes d’actifs risquées, a continué de souffrir dans un contexte général de détérioration de l’économie globale. Malgré les achats de dettes souveraines périphériques par la BCE, entamés à partir du 8 août, la volatilité est restée très élevée, alimentée par des signes de ralentissement économique des deux côtés de l’Atlantique. Dans ce contexte avéré d’aversion au risque, les obligations d’État allemandes et américaines ont à nouveau connu un mouvement de resserrement très important, franchissant facilement le niveau des 2 %, pour respectivement atteindre 1,65 % et 1,72 % confirmant une fois de plus le mouvement de fuite vers la qualité entamé au cours de l’été.

Dans un contexte délétère, la performance du mois de septembre a continué de subir l’écartement des spreads sur le marché du crédit. La prime de risque de l’indice iBoxx Corporate s’est écartée de 56 points de base (contre 90 points de base en août) pour atteindre 319 points de base, le spread du secteur financier s’élève maintenant à 444 points de base (358 points de base en août). contre 219 points de base pour le non financier (198 points de base en août), soit un écartement de 68 points de base pour l’un et de 18 points de base pour l’autre.

La correction a été également sévèrement marquée sur les indices iTraxx de dérivés de crédit, l’iTraxx Sub Fin s’écartant de 110 points de base (contre 140 points de base d’écartement en août).

Dans la continuation du mois d’août, l’écartement des primes de risque au cours du mois de septembre entraîne une nouvelle fois la performance mensuelle du crédit dans le rouge, non seulement en excess return vis-à-vis de la dette souveraine (-2,26 %) mais également en rendement total (-1,14 %), la baisse des taux d’intérêt ne compensant à nouveau que partiellement l’écartement des spreads).

L’environnement en septembre a de nouveau été très volatil et très illiquide, nous poussant à renforcer notre stratégie défensive au cours du mois par l’achat de protection supplémentaire en dérivés de crédit via l’indice Itraxx Financier Subordonné, tout en allégeant notre exposition aux secteur financier via la cession d’obligations subordonnées Tier one sur plusieurs émetteurs. Cela n’a toutefois pas été suffisant pour compenser l’écartement massif et la performance de notre stratégie crédit a souffert en septembre de -64 points de base (impact crédit -58 points de base, impact taux -6 points de base).

Un ralentissement économique constaté en zone euro

Le contexte politique lié à la crise de la dette souveraine ainsi que la publication de certains indicateurs, continuent de peser fortement sur le crédit en septembre. En Europe, les derniers chiffres du PMI manufacturier traduisent d’un ralentissement économique, s’affichant à 48,5 (contre 48,4 attendu). L’ISM manufacturier aux États-Unis s’affiche en léger progrès à 51.6, au-dessus de la zone de récession à 50 mais avec un marché de l’emploi extrêmement faible comme en témoignent les créations d’emplois qui ont été nulles au mois d’août. L’inflation qui restait stable à 2,5 % dans la zone euro, à fait une incursion sur les 3 %, faisant peser davantage de doute quant à une baisse rapide des taux

par la BCE. C’est toutefois au niveau de l’indicateur de confiance des consommateurs de la zone euro que les chiffres ont été très mauvais, s’affichant à -18,9 % (-16,5 % en août et – 11,2 % en juillet), au plus bas niveau depuis deux ans, traduisant les craintes d’une rechute en récession de l’économie européenne. Ceci pourrait accentuer la pression sur la BCE pour baisser les taux à terme.

En ce qui concerne les publications de résultats, ces dernières continuent de s’afficher en deçà des attentes des analystes (dernier exemple : L’Oréal).

Les financières, au cœur de la tourmente, continuent d’être très corrélées au risque pays, ce qui accentue davantage la différenciation entre les émetteurs et les écartements de spreads constatés dans la zone euro.

Positionnement stratégique et conclusion

Le contexte économique continuant d’être dégradé et la volatilité accrue, nous amène à maintenir un positionnement défensif. Nous restons très prudents envers notre exposition crédit et dans notre sélection d’émetteurs. Début septembre nous avons par ailleurs renforcé notre sous pondération sur le secteur financier via l’indice de dérivés Itraxx Financier subordonnée. Nous avons également allégé notre exposition crédit en vendant des positions « high beta » sur Swiss Re, Allianz, Munich Re, BNP Paribas en dettes subordonnées Tier 1, très sensibles dans un contexte d’écartement des spreads. Nous avons également allégé nos positions sur certaines sociétés industrielles cycliques, dans un contexte de ralentissement économique en cédant des positions sur Peugeot, Arcelor, Alstom.

Le marché primaire, dans ce contexte d’aversion au risque généralisé est resté très faible pour les obligations financières malgré quelques émissions d’obligations collatéralisées. Le ton a été un peu plus positif sur les non-financières avec quelques émissions.