Comment les Etats vont-ils rembourser leurs dettes s’ils ne peuvent avoir recours à l’inflation ?

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Dans le passé (période de guerre, années 70…), les Etats qui souhaitaient réduire leurs dettes s’en remettaient bien souvent à l’inflation (grâce à la maitrise conjointe des politiques budgétaire et monétaire). La monnaie qui remboursait et rémunérait la dette publique avait ainsi moins de valeur (moins de « pouvoir d’achat1 ») que celle qui avait été prêtée, ce qui permettait un repli mécanique des taux d’endettement.

Dans les faits, l’inflation était bien souvent obtenue par une monétisation de la dette publique, c’est-à-dire le rachat (ou la prise en pension) par la banque centrale des obligations publiques, générant ainsi une création monétaire ex-nihilo. Concrètement, via la monétisation de la dette publique, on assistait en fait à une taxation de deux catégories d’agents2 : les détenteurs de monnaie (ou d’actifs monétaires non-rémunérés) et, dans le cas (courant) où la banque centrale souhaitait mener une politique monétaire accommodante qui entrainait donc les taux d’intérêt réels à des niveaux négatifs, les détenteurs d’actifs payant des intérêts (obligations, crédit,…).

A bien des égards, un retour à une inflation plus forte pourrait, dans le contexte actuel de hausse vertigineuse des déficits publics, devenir « socialement optimum ». D’ailleurs, même Jacques Delors, le père de la désinflation compétitive à la française, dans une interview au journal le Monde du 28 mars, s’interrogeait : « pourra-t-on sortir de cette crise sans un petit peu d'inflation ? » et concluait qu’un « taux d'inflation au-dessus de 2% permettrait, sans être galopant, de faciliter la reprise et le remboursement des dettes ». Toutefois, l’inflation ne se décrète pas. Pour tout dire, même si les gouvernements occidentaux le souhaitaient, il est extrêmement peu probable qu’ils soient en capacité de faire remonter significativement (sous-entendu, au dessus de 5 %) l’inflation3.

Pour autant, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la taxation existe également avec une monétisation non-inflationniste. En effet, dans un contexte de stabilité des anticipations d’inflation, le rachat de dette publique par les banques centrales fait baisser les taux d’intérêt (via une hausse de la demande pour les papiers publics), ce qui implique que les préteurs ne sont pas rémunérés à un taux « juste ». En outre, dans un contexte d’expansion monétaire, l’explosion de la liquidité peut conduire à une hausse du prix des actifs4.

Plus l’offre d’actifs est rigide, plus le marché est étroit et plus la hausse des prix des actifs peut être forte. A ce titre, le marché des matières premières constitue un bon candidat pour un tel scénario. L’inflation du prix des actifs est une taxe à base beaucoup moins large que l’inflation des prix des biens (elle concerne moins d’agents économiques). Mais la hausse des prix peut être bien plus forte. En outre, il est admis que, d’une manière générale, les jeunes générations sont endettées et acheteuses d’actifs, alors que les vieilles générations sont plutôt prêteuses et détentrices d’actifs. La hausse du prix des actifs conduit donc plutôt à un transfert générationnel des jeunes vers les vieux, alors que la crise d’insolvabilité (surendettement) concerne majoritairement les premiers.

Etant donné les déficits abyssaux attendus en 2009 et 2010 (plus de 12 % du PIB aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, plus de 5 % en zone euro), cette taxation à travers la monétisation non-inflationniste des dettes publiques devrait toutefois être insuffisante pour permettre de maintenir la solvabilité de long terme des Etats. Le recours à une hausse de la fiscalité au cours des prochaines années devrait en conséquence être décidé. Si un retour à des niveaux de taxation identiques à ceux observés avant les années 805 semble peu probable, pour autant, comme le mouvement observé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni semble timidement le montrer, l’époque des surenchères électorales concernant les baisses d’impôt semble bel et bien terminée dans les pays occidentaux…

NOTES

(1) Cf. le site de la Banque de France qui donne l’évolution de la valeur d’une unité monétaire au cours du temps : http://www.insee.fr/fr/themes/indicateur.asp?id=29&type=1&page=achatfranc.htm
(2) Cf. Flash n°135, « Monétisation inflationniste et monétisation non-inflationniste, quelles différences ? », 24 mars 2009.
(3) Cf. Eco Hebdo n°15 et n°16, « Edito : pourquoi ne pas croire à un retour de l’inflation en Europe ? (1/2) et (2/2) », 10 et 17 avril 2009.
(4) Cf. Flash n°154, « Monétarisme et transferts intergénérationnels », 3 avril 2009.
(5) Aux Etats-Unis, entre 1932 et 1980, le taux marginal d'imposition applicable aux plus hauts revenus a été supérieur à 80 % en moyenne (sources : Thomas Piketty).

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