Comment mesurer le risque français ?

L’indice CAC 40 a touché les 5.000 points en séance vendredi 10 mars. Est-ce à dire que les investisseurs ne se soucient pas de la campagne présidentielle alors que les sondages prédisent la qualification de la candidate d’extrême-droite Marine Le Pen pour le second tour ? En réalité, l’inquiétude est palpable comme le montre l’écart de rendement entre les taux 10 ans allemand et français.

Le « spread » entre le Bund et l’OAT se situe aujourd’hui entre 60 et 70 points de base contre 20 en septembre. En cette année électorale en Europe (Pays-Bas, France, Allemagne et, sans doute, Italie), la France suscite les plus grandes interrogations en raison de sa place en Europe.

Comme le rappelle Philippe Weber, co-responsable des études et de la stratégie chez CPR AM, quatre principales promesses de la présidente du Front national inquiètent : un referendum sur l’appartenance de l’Union européenne ; la sortie de l’euro ; le refus des traités de libre-échange ; et le rétablissement des frontières nationales avec la sortie de l’espace Schengen.

Ce programme fait craindre de forts remous car c’est bien l’avenir de l’Union économique européenne dans son ensemble qui est en jeu, précise-t-il.

C’est ce que redoutent de nombreux investisseurs anglo-saxons qui estiment qu’après la victoire du Brexit au Royaume-Uni et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis – deux événements qui n’avaient pas été anticipés – la vague du populisme pourrait très bien submerger l’Europe.

Pour autant, cela n’empêche pas les indices boursiers de tenir. Pourquoi ? La croissance dans la zone euro a atteint 0,4% au quatrième trimestre et 1,6% sur l’ensemble de l’année 2016, soit au-dessus des prévisions initiales. Les indicateurs sont bien orientés pour les prochains mois.

D’un point de vue micro-économique, les résultats 2016 des entreprises ont enregistré des progressions significatives sur fond de croissance mondiale retrouvée et les places européennes bénéficient de la bonne orientation de Wall Street, qui anticipe un vaste plan d’investissement dans les infrastructures et un programme de dé-régulation.

Ce climat de confiance pourrait se dégrader très rapidement en raison des risques politiques. Et ce dès le 15 mars avec les élections aux Pays-Bas. Le Parti pour la liberté (PVV) d’extrême-droite est au coude-à-coude dans les sondages avec le "Parti populaire pour la liberté et la démocratie" (VVD) du Premier ministre Mark Rutte. Si le PVV a peu de chance de s’emparer du pouvoir, il peut jouer les trouble fêtes dans un système électoral proportionnel d’autant qu’une partie des électeurs adhère à son discours.

La campagne française soulève les plus grandes interrogations. Du fait du scrutin majoritaire à deux tours, Marine Le Pen n’a en principe aucune chance de l’emporter. Mais est-ce sûr ? Elle a face à elle un représentant de la droite, François Fillon, très affaibli par les affaires politico-financières ; un socialiste (Benoit Hamon) qui ne fait pas l’unanimité dans son propre camp ; un nouveau venu (Emmanuel Macron) qui n’a pas de base solide.

Dans les études d’opinion, la présidente du Front national est celle dont les électeurs sont les plus sûrs de leur choix (75%), devant Fillon (61%).

Les investisseurs se demandent si la France sera « gouvernable. » Un sujet extrêmement important alors que le pays – dont la dette publique atteint 2.000 milliards d’euros et qui est en déficit budgétaire et commercial chronique depuis 40 ans – doit encore faire des réformes structurelles pour améliorer la compétitivité de son économie dans un monde qui change à toute vitesse.

Si Le Pen l’emporte, ce sera un cataclysme économique en dépit de ce que disent ses partisans en se référant au « Brexit. » La Livre Sterling a perdu plus de 20% de sa valeur depuis le referendum de juin. On peut imaginer que l’euro chuterait en raison de la défiance des marchés financiers.

Si Fillon gagne, il aura du mal à mettre en œuvre son programme « radical » – suppression de 500.000 postes de fonctionnaires, retour aux 39 heures dans la fonction publique, réforme de la Sécurité sociale, retraite à 65 ans – car les opposants se mobiliseront plus facilement en s’appuyant sur ses différentes affaires familiales et ses liens avec de grands patrons.

Si Macron est élu, la situation est plus complexe. S’il n’a pas encore montré qu’il avait des convictions, on peut imaginer qu’il se calera sur ce qui s’est passé au cours du quinquennat qui s’achève et auquel il a participé, comme conseiller à l’Elysée puis comme ministre de l’Economie. Aura-t-il une majorité ? C’est la question alors qu’il n’a jamais été élu et ignore tout des rapports de force politiques.

Si Hamon devient président, on ne voit pas comment il pourrait convaincre l’aile du Parti socialiste de soutenir des mesures qui vont se traduire par une explosion des déficits publics et une envolée des taux d’intérêt.

C’est cette incertitude sur l’issue du scrutin et sur la capacité du nouveau président à mettre en œuvre un programme qui inquiète les investisseurs. On peut donc s’attendre à ce que le « risque français » provoque des secousses de plus en plus fortes sur les marchés financiers dans les prochaines semaines.