Octobre noir ?

Les indices boursiers n’ont cessé de monter au cours des derniers mois et la situation économique mondiale semble s’améliorer à la faveur, notamment, de l’élimination du risque politique en Europe. Tout irait donc pour le mieux ? En réalité, plusieurs dangers guettent les marchés financiers et une violente correction cet automne ne peut pas être exclue.
 
Les investisseurs sont actuellement dans une position d’attente. La progression des marchés a nettement ralenti. Ainsi, le S&P 500 a gagné 12% entre l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, le 8 novembre 2016, et le 1er mars. Depuis, il n’a progressé que de 1,5%.
 
Les chiffres sont respectivement de +15% et +1,3% pour le DJ Industrial, de +13,7% et +4,4% pour le Nasdaq Composite et de +12% et +5,5% pour l’Eurostoxx 50 européen. 
 
Pourquoi cet attentisme? Comme le soulignait récemment Olivier Garnier, Chef économiste de Société Générale, on bénéficiait d’une sorte d’alignement des planètes avec un rebond industriel mondial depuis l’été 2016, un raffermissement du commerce mondial, une réaccélération de l’activité en Chine depuis début 2016, des taux d’intérêt toujours très bas, un taux de change du dollar « ni trop faible ni trop fort » et un prix du pétrole jugé aussi à l’équilibre. Le tout couronné par un optimisme des investisseurs.
 
Comment souvent, si on l’excepte les risques géopolitiques réels (Corée du Nord, Syrie, Iran et maintenant l’affrontement Arabie saoudite-Qatar) mais imprévisibles, les motifs d’inquiétude proviennent des Etats-Unis. 
 
Contrairement à ce qu’il avait promis, Trump n’a mis en œuvre aucune réforme économique majeure. Obsédé par son prédécesseur Barack Obama, il s’est surtout attaché à annuler les mesures prises depuis 2008. Conséquence : son plan fiscal visant à réduire massivement les impôts pour relancer l’activité a peu de chances d’être adopté cette année.
 
C’est d’autant plus problématique que la croissance américaine est plutôt molle depuis 2009, avec 2,1% en moyenne par an contre 3,9% depuis l’après-Guerre. Selon les estimations de Christophe Donay, responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macro-économique chez Pictet Wealth Management, le PIB américain se situerait à 20.000 milliards de dollars contre 17.000 aujourd’hui si l’économie avait crû au même rythme que sous Reagan et à 18.500/19.000 si on avait enregistré la moyenne historique.
 
Dans cet environnement, les entreprises américaines se sont restructurées et ont nettement amélioré leur rentabilité. Les investisseurs ont tendance à penser que cette évolution va se poursuivre : le ratio cours/bénéfice est à 17,2 fois pour les entreprises du S&P 500 alors que la moyenne historique est de 14,3 fois. Notons qu’en Europe, le PE pour l’EuroStoxx 600 est de 15,4 fois contre une moyenne de 12,7 fois. Plusieurs gérants jugent qu’une progression des bénéfices justifie l’extension des multiples.
 
Selon Christophe Donay, un retour sur les moyennes signifierait une correction de l’ordre de 20% des indices boursiers.
 
A ce stade, personne n’anticipe une telle baisse. Mais elle ne peut pas être exclue totalement en raison des incertitudes de part et d’autre de l’Atlantique.
 
Si Trump ne parvient pas à faire voter un plan fiscal, prévoyant notamment de fortes baisses d’impôts pour les entreprises, la confiance reculera aux Etats-Unis et cela aura forcément un impact négatif sur l’investissement.
 
La Réserve fédérale américaine semble déterminé à resserrer sa politique monétaire. Mais une remontée rapide des taux et des surprises haussières sur l’inflation pourrait provoquer un désengagement des investisseurs. La Banque centrale européenne doit, de son coté, agir avec prudence pour sortir de son programme d’assouplissement (QE) pour éviter de nouvelles craintes sur la dette de certains Etats. L’Italie suscite l’inquiétude.
 
Sur la plan politique, depuis son élection, le président français Emmanuel Macron bénéficie d’un a priori favorable. Il vient d’obtenir une large majorité lors des élections législatives (350 sièges sur 577). Sa volonté de s’attaquer au marché du travail est bien perçue par les entreprises et les marchés financiers mais cela risque de heurter une partie de l’électorat. 
 
La faible participation au scrutin du 18 juin (42,6%) laisse supposer que certains se réservent pour descendre dans la rue à la rentrée. Que fera le chef de l’Etat si la mobilisation se révèle particulièrement importante ? Ne risque-t-il pas de dilapider son capital politique et ne plus pouvoir réformer d’autant que la réforme du code du travail ne donnera pas de résultats économiques à court terme ? 
 
Par ailleurs, Macron veut relancer la construction européenne en consolidant le couple franco-allemand. Mais les écueils sont nombreux : les élections en Allemagne en septembre puis, probablement, des élections en Italie. Sans oublier les négociations sur le Brexit, qui s’annoncent ardues face à une Première ministre britannique, Theresa May, affaiblie après les élections générales de juin. 
 
Les prochains mois seront donc difficiles, tant sur le plan économique que sur le plan politique. « 2019 sera une année difficile », selon Olivier Garnier car il pourrait y avoir alors la fin du cycle actuel.
 
Or, comme tout le monde le sait, les investisseurs sont en permanence dans l’anticipation. S’ils prennent conscience que les difficultés seront insurmontables et que les indicateurs déçoivent, ils pourraient prendre leurs bénéfices dès cet automne. L’enjeu pour les décideurs politiques et économiques est de tout faire pour éviter un « Octobre noir. »